Le goût de l’orange
Soraya est palestinienne. Née à Brooklyn, de parents nés dans un camp au Liban. De Jaffa, la ville des oranges où son grand-père est né, elle a hérité les récits obstinés de la geste familiale jusqu’à l’expulsion en 1948 par les Israéliens. La maison ancestrale, la profusion des bougainvilliers, le goût subtil des oranges gorgées de lumière, le sel de la mer.
La voici donc, soixante ans après la Nakba, de retour dans la terre interdite, bien décidée à retrouver ses racines, prête à renoncer au confort du rêve américain pour une terre mythique, berceau de ses ancêtres.
Le film s’ouvre sur l’arrivée de la jeune femme à l’aéroport de Tel Aviv, confrontée d’emblée à la réalité d’un Etat installé dans la guerre et la paranoïa sécuritaire: interrogatoires successifs, vérifications interminables, fouilles au corps, humiliations.Mais rien ne peut entamer la détermination de Soraya.
Soraya n’a jamais mis les pieds en Palestine. Mais elle en reconnaît aussitôt le souffle, l’énergie, la lumière.
Emad est palestinien. Enfermé dans Ramallah, il n’a pas vu la mer depuis des années. Il n’en a pas le droit. Il vit avec un dernier rêve: obtenir un visa pour le Canada et partir, quitter ce pays qui n’en est pas un, où les Palestiniens sont assignés à résidence, où chaque adolescent a déjà connu la prison. Quitter cet univers quadrillé de check-points et de tourniquets, où l’horizon est barré par le spectacle des villages de colons qui cachent la mer.
Leur rencontre se fait sur le mode de la confrontation et de la complicité. A eux deux, ils vont vivre durant quelques jours une belle échappée, transgresser les interdits: aller voir la mer! S’y baigner avec jubilation, à la barbe des soldats! Se rendre à Jaffa, interdite aux Palestiniens, déguisés en juifs, retrouver le village d’Emad, détruit et livré aux touristes. Dawayama est un de ces villages,(il y en a plus de 500) qui ont été rasés par les Israéliens,entre 1948 et 1950, dont le nom même a été effacé de la carte. Retrouver ce village est un véritable périple, mais ils y parviennent et ce faisant, réhabilitent l’histoire de leurs aieux dont on voudrait effacer jusqu’au souvenir. Pendant quelques jours, ils vont vivre un rêve merveilleux au milieu des vieilles pierres et même faire des projets fous! Mettre au monde des enfants palestiniens qui seraient libres d’aller où bon leur semblerait!
Mais la réalité de l’occupation et sa puissance militaire et idéologique ont tôt fait de les rattrapper.
N’empêche. Dans ce corps à corps décisif avec le droit de rêver et celui de se taire, Soraya découvre que si elle est arrivée en Palestine, guidée par les récits de son grand-père, munie d’un visa de trois mois, avec pour seul bagage un amour inouï pour une terre de lumière, c’est pour s’éprouver palestinienne, en dépit de tout. De l’arbitraire absurde de l’occupation, de la résignation lâche de l’administration de l’Autorité qui lui refuse un passeport palestinien en vertu des accords avec Israël. Car c’est Israël qui décide qui est Palestinien et qui ne l’est pas.
Ce premier long-métrage que signe là Annemarie Jacir, est l’histoire d’une quête et d’une revendication identitaires qui résistent à la falsification, à la diaspora, à l’oppression. Au temps aussi. Un film empreint de poésie et de sensualité, l’affirmation parfois desespérée que rien ne peut contraindre un être dans ce qu’il a de plus intime et de plus enraciné: son identité.
Et cette identité, aucun Etat, aucune puissance armée n’en viendront jamais à bout. Que peut une armée contre le goût de l’orange natale? Contre le sel de la mer…
Keltoum Staali
Le sel de la mer
Film franco-palestinien
milh hadha el bahr
Annemarie Jacir
18 janvier 2010
LITTERATURE