La dernière arme molle contre la corruption: la déclaration de probité

La dernière arme molle contre la corruption: la déclaration de probité

par Kamel Daoud

Une nouvelle méthode de lutte contre la corruption va être annoncée en Algérie et c’est sérieux : c’est la méthode «crèche» ou la méthode préscolaire.

Explication : on va demander au corrupteur virtuel de se dénoncer lui-même et on va lutter contre la corruption en exigeant de tout opérateur économique de jurer qu’il ne va corrompre personne durant l’exercice de sa plus-value, de ses contrats et de ses marchés. Un ministère prépare, selon ce qu’on dit, un nouveau formulaire qui sera adjoint à tout dossier de marché public ou d’appel d’offres et que devront signer les soumissionnaires de toutes activités. Il s’agit d’une sorte d’auto-article 120 intitulé « déclaration de probité », encore à l’étude, mais qui devra, sous peu, être joint à tout dossier de soumission pour un marché public. L’Etat ne pouvant compter sur lui-même, sur ses services et institutions, compte donc sur la bonne volonté et la bonne conscience de chacun pour qu’il aille se dénoncer ou prévenir qu’il ne va pas corrompre.

Cette déclaration (dont le cadre juridique de référence est la loi n° 06-01 du 21 février 2006, selon le texte) impose au « partenaire co-contractant » de déclarer sur l’honneur « que ni lui, ni l’un de ses employés, représentants ou sous-traitants, n’ont fait l’objet de poursuites pour corruption ou tentative de corruption d’agents publics ». Mieux encore, le signataire « s’engage à ne recourir à aucune interférence ni pratique immorale ou déloyale dans le but d’avantager ses offres par rapport aux autres concurrents. (…). Le partenaire contractant s’interdit, conformément à la loi, de promettre d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, soit pour lui-même soit pour une autre personne ou entité, des cadeaux, des voyages d’information ou de formation, des prises en charge, etc., ou tout autre avantage quel que soit sa nature ou sa valeur, dans le but de faciliter ou de privilégier le traitement de son dossier, au détriment de la concurrence loyale ».

Le texte est long mais mérite d’être lu. Le recours à la pratique absurde et paradoxale de la «déclaration de probité» est un aveu lourd sur la gangrène nationale de la corruption et ses pratiques par les nationaux et par les partenaires étrangers.

Si aujourd’hui, la mode est à de telles pratiques, avec recours aux services des CRTI et du DRS pour démasquer des affaires au plus haut sommet de la rente nationale, dont la récente Sonatrach à quelques mois de l’ouverture de GNL 16, on se doute de ce que sont les réalités.

Pour la présente déclaration, il est expliqué la possibilité d’inscrire les contrevenants sur une « liste noire des opérateurs, la résiliation du contrat et/ou des poursuites judiciaires ». On l’aura compris : ce qui nous reste d’Etat est aux abois face à l’état des lieux. La corruption semble être si généralisée qu’on en arrive aux moyens de lutte les plus irrationnels.

Car derrière ce texte, on devine qu’une autorité algérienne officielle ne fait même plus confiance à des documents comme le casier judiciaire ni aux autres administrations. C’est l’aveu le plus officiel et le plus désarmant sur ce phénomène en Algérie : on est aujourd’hui presque tous corrompus. Sauf ceux qui vont signer ce document. Est-ce vrai ? Un peu.

A lire ce formulaire, on éprouve la sensation de son immense ridicule, mais on aboutit aussi au constat qu’il ne reste plus à faire que de compter sur la bonne volonté, les naïvetés salutaires ou la bureaucratie dissuasive. Cela va ressembler au destin de la fameuse « déclaration de patrimoine » qui ne vaut plus rien depuis des années. Le seul humour qui reste est de songer donc à l’outrecuidante identité du premier qui va signer le document de cette Plaisanterie, au sens du roman de Kundera, bien sûr.