Histoires vraies
La flèche du diable (3e partie)
Résumé de la 2e partie : Le père Dupeyrat décide de rester et de continuer à prêcher malgré la menace terrifiante des sorciers…
La chemise qu’il avait lors de sa tournée précédente, qu’il avait portée pendant plusieurs semaines sans pouvoir en changer et qu’il n’avait pas encore eu le temps de laver, a disparue. Le bon Dieu et la Providence vont avoir beaucoup de travail !
Le lendemain matin, André Dupeyrat, sa canne ferrée à la main, quitte Fané d’un bon pas. Sa tournée, comme les autres, va durer plusieurs semaines. Enfin, s’il arrive au bout. Car tel est l’enjeu du véritable combat qu’il a engagé. De sa vie ou de sa mort, dépend la réussite de sa mission. Il garde espoir, non seulement parce qu’il est d’un naturel optimiste, mais parce qu’il possède une arme, une arme secrète, qu’il emporte avec lui.
Ou plutôt, c’est Aitapé qui la porte, dans le sac qu’il a sur l’épaule. Le missionnaire lui a dit qu’il n’avait aucune obligation de l’accompagner et le Papou, malgré sa peur visible, a tenu à venir quand même.
Le premier village est tout proche. Un groupe d’habitants vient à sa rencontre pour lui souhaiter la bienvenue. Tout à coup, ils se mettent à pousser des cris et se jettent dans les fourrés. C’est quand ils ont disparu que le père Dupeyrat voit ce qu’ils cachaient par leur présence : devant lui, en plein milieu du chemin, frétille un long ruban argenté. Le serpent, très mince et très clair, presque blanc, doit mesurer un mètre cinquante ; sa tête pointue est si fine qu’elle se distingue à peine de son corps. André Dupeyrat ne sait pas son nom. Il ne sait qu’une chose : son poison est foudroyant, il tue en moins d’une minute.
Le reptile s’avance lentement. La partie supérieure de son corps est dressée, le reste suit en ondulant doucement. C’est la posture d’attaque. Il va frapper, mais il ne semble pas pressé. A présent, il ouvre sa gueule et lance en avant sa langue à deux pointes, en sifflant.
Le père Dupeyrat ne bouge pas. Il tient fermement sa canne dans sa main droite, à la manière d’un gourdin. L’animal semble hésiter, alors il en profite ; il se lance en avant et écrase sa canne sur lui avec tant de violence qu’il le sectionne en deux. Puis il va prendre les morceaux mutilés et les brandit dans ses mains, tout en appelant les villageois
— J’ai vaincu la flèche du diable ! J’ai vaincu les sorciers !
Effectivement, il constate que les regards qu’on lui lance sont à la fois craintifs et admiratifs. Le respect dont il bénéficie s’est certainement accru grâce à cet exploit. Il sait bien aussi que ce n’est pas terminé.
D’ailleurs, au même moment, il entend dans le groupe une voix anonyme lui lancer, en langue papoue :
— Il y en aura d’autres !
Quelques jours plus tard, André Dupeyrat se trouve dans un village beaucoup plus loin dans la forêt. L’accueil a été favorable. Les villageois se sont pressés pour assister à la messe. Mais le père ne se fait pas trop d’illusions sur leurs sentiments. Il s’agit moins de ferveur que de crainte. Les Papous assistent au duel qu’il livre aux sorciers et ils le redoutent tout comme ils redoutent ces derniers. Pour rien au monde, ils ne voudraient le contrarier.
A présent, le religieux se repose dans la case qu’on a mise à sa disposition. Il est allongé sur son hamac. Il demande à Aitapé, qui se trouve à ses côtés, de lui passer sa pipe et son tabac, lorsque celui-ci s’immobilise et se met à chuchoter :
— Attention, père, ne bouge pas ! Deux petits serpents noirs montent sur le piquet de ton hamac, près de ta tête. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
14 janvier 2010
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