Histoires vraies
La flèche du diable (2e partie)
Résumé de la 1re partie : Le père missionnaire, André Dupeyrat, en poste en Nouvelle-Guinée, est menacé de mort par les sorciers papous s’il ne part pas…
Qu’est-ce que la flèche du diable, Aitapé ?
— C’est terrible, père, terrible !
Et le Papou raconte une histoire effectivement terrible, plus que cela même : terrifiante.
Quand un sorcier de Nouvelle-Guinée a décidé la mort de quelqu’un, il commence par lui voler un morceau de son pagne. Il place ce bout de tissu dans un tube de bambou et y introduit un serpent. Les sorciers sont des experts dans le maniement des serpents, même les plus venimeux. Leur savoir-faire est ancestral ; ils se le transmettent de bouche à oreille.
Une fois le reptile enfermé dans le tube de bambou, il commence à s’agiter et à s’attaquer au morceau d’étoffe, qui est sa seule compagnie dans le noir. A ce moment, le sorcier frappe de manière répétée sur le tube. Le serpent n’a pas d’ouïe mais il est très sensible aux vibrations, et les coups produisent dans ce milieu clos un véritable cataclysme.
Au bout d’un moment, le sorcier arrête de frapper et passe à plusieurs reprises le bambou au-dessus du feu. Pour le reptile prisonnier, c’est une torture atroce et, dans les profondeurs de son instinct, il associe cette souffrance avec l’odeur du tissu qui est enfermé avec lui. La machine infernale est au point. Le sorcier n’a plus qu’à s’embusquer près de l’endroit où il sait que sa victime passera. Lorsqu’elle approche, il enlève le bouchon. Le serpent jaillit comme une flèche et plante ses crocs dans la chair de l’homme.
Aitapé a terminé son récit. Il tremble de tous ses membres. Le père Dupeyrat a écouté avec attention et il ajoute en lui-même une information que le Papou n’a pas dite : la Nouvelle-Guinée est l’endroit du monde où on trouve le plus de serpents mortels. Ils sont de toutes tailles, de toutes couleurs, de tous habitats, mais ils ont un point commun il n’y a aucun antidote à leur poison.
Au cours de ses déplacements en forêt, le missionnaire a déjà rencontré plusieurs d’entre eux. Il a même été attaqué à deux reprises et il s’en est sorti grâce à la canne ferrée qui ne le quitte jamais, ainsi qu’à son sang-froid et à ses excellents réflexes. Alors pourquoi n’en serait-il pas de même par la suite ? André Dupeyrat n’a pas peur des serpents. Bien sûr, il n’est pas inconscient, il sait le danger qu’ils représentent. Mais ils ne provoquent chez lui ni crainte irraisonnée ni répulsion. Et puis, il se sent protégé par le bon Dieu et la Providence. Dès cet instant, sa décision est prise.
— Tu as dit que les Papous vont venir à Fané ?
— Oui, père. Ils doivent être là.
— Alors, je vais leur donner ma réponse.
Suivi de son domestique tremblant, le religieux se dirige vers l’extrémité de la bourgade. Effectivement, les Papous sont là, des dizaines de Papous, des jeunes, des vieux, des guerriers en armes, des femmes portant leurs enfants dans les bras. Tous le regardent avec attention, l’air grave. Il prend la parole d’une voix forte, réunissant toutes les connaissances qu’il a dans leur langue.
— Je vais aller dans vos villages et je dirai la messe. Si les sorciers réussissent à me faire mourir, c’est que je ne suis pas le représentant de Dieu et les sorciers auront raison. S’ils ne parviennent pas à me tuer, c’est qu’ils ont tort et vous ne les écouterez plus jamais… Maintenant, rentrez chez vous !
Les Papous ont écouté le discours dans le plus grand silence et c’est dans le même silence qu’ils font demi-tour. Le père André Dupeyrat, lui aussi, rentre chez lui. Il a décidé de partir sans plus attendre, dès le lendemain. Il s’occupe de réunir les quelques affaires dont il aura besoin, et c’est alors qu’il fait cette découverte. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
14 janvier 2010
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