par K. Selim
L’Algérie «d’en bas» manifeste, parfois par des grèves dures, une exigence de justice sociale qui a été durablement étouffée par la plongée dans la crise sécuritaire des années 90, mise à profit pour imposer un plan d’ajustement structurel douloureux, fondé essentiellement sur la compression du pouvoir d’achat des Algériens.
Dans cette montée des revendications, le dispositif de «contrôle social» organisé autour de l’UGTA est en train de craquer et amène les syndicats autonomes à réfléchir à une confédération syndicale alternative. Ce ne sera pas une partie facile. Le système n’ayant pas, c’est le cas de le dire, une vision anticipatrice, aura tendance à tout faire pour maintenir le statu quo.
Mais que pense le patronat en ce début de l’année 2010, lui qui semble un peu à l’abri de la fronde du fait que le secteur privé algérien continue de présenter l’anomalie d’être un désert syndical ? Même si certains responsables du patronat disent vaguement qu’un bon pouvoir d’achat des travailleurs est bon pour l’économie, les patrons algériens pensent surtout pour eux-mêmes.
Cette Algérie aisée n’est pas dans la fronde – son autonomie à l’égard de l’Etat et de ses marchés étant pratiquement nulle – mais dans la récrimination. Une douce récrimination. Le message envoyé par le chef du FCE à l’occasion de la tenue du séminaire sur le financement des grands projets est d’une grande limpidité. Laissé sur le carreau dans le précédent plan de 150 milliards de dollars qui a consisté à importer des infrastructures dont la réalisation a été confiée à des entreprises étrangères, le patronat algérien veut «sa part» dans le nouveau plan de 150 milliards de dollars. Récrimination justifiée dans l’absolu.
Le principe même d’un plan de relance dans un pays est normalement destiné à donner du travail aux entreprises nationales, publiques et privées, et à les renforcer. Les échéances courtes – qui n’ont d’ailleurs pas été respectées – de la livraison des infrastructures a, pour des raisons politiques, inversé la donne au profit des entreprises étrangères.
Aujourd’hui, comme pour les IDE qui ne sont guère venus, en dehors du créneau traditionnel des hydrocarbures, le patronat surfe allègrement sur le désappointement perceptible à l’égard des entreprises étrangères. Outre les retards et les surcoûts, on découvre que même des projets hypervisibles sont entachés de pratiques corruptrices. Ce qui fait que les réalisations coûtent en Algérie plus cher qu’au Maroc ou en Malaisie. Si c’est pour «faire ça», semblent dire les patrons, était-il nécessaire d’aller voir chez les étrangers ? Mais, bien entendu, ce n’est pas un bon argument.
Dans la logique de la prédation que le continent africain connaît si bien, le recours à l’étranger est une garantie de discrétion et parfois de protection dans les paradis policés d’Europe et d’ailleurs. Il faut surtout en tirer – quitte à se répéter – la conclusion que l’économie nationale a besoin de transparence, de compétence et de reddition de comptes. Et aussi d’un choix politique affirmé – ailleurs, cela se fait sans complexe – en faveur des entreprises algériennes. Encore faut-il que celles-ci cessent de fonctionner, en grande partie, dans l’informel. Le désert syndical dans le secteur privé n’est pas, loin s’en faut, un signe de vertu.
14 janvier 2010
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