Au coin de la cheminée
L’enfant noir (7e partie et fin)
Résumé de la 6e partie :Si Mohamed et son fils Si Amar lavent l’honneur de la famille en jetant le bébé noir vivant dans la tombe puis en égorgeant Zohra avant de l’y jeter aussi…
Le sang jaillit en sifflant, formant deux gerbes vermeilles qui éclaboussèrent les vêtements blancs des bourreaux. Ils se jetèrent en arrière et la victime resta libre de ses mouvements.
La tête ballante, les yeux sortis de leurs orbites, Zohra se dressa sur ses coudes, tendit ses reins comme pour se relever. Elle rampa un instant, mais bientôt un spasme violent agita ses jambes, elle oscilla et tomba la tête dans la fosse, sur le corps de son enfant qu’elle baigna de son sang. Son père et son frère, la poussant dans la tombe, sans qu’un muscle de leur face trahisse leur douleur, la recouvrirent de terre. Les vagissements de l’enfant devinrent plus faibles, puis s’éteignirent.
Le crime accompli, les deux marabouts s’agenouillèrent et levèrent vers le ciel leurs mains rouges, comme pour le remercier de leur avoir donné la force d’achever leur tâche. Ils firent alors les ablutions purificatoires et récitèrent de nouveau la prière, mais cette fois les assistants ne répondirent point ; l’horreur que ressentaient même les farouches Berbères, paralysait leurs voix.
La prière dite, Si Mohamed Aït Sidi Sedik se leva et se tournant vers sa femme, qui laissait couler silencieusement ses larmes
— N’oublie pas, dit-il, qu’aujourd’hui nous devons offrir le couscous au village, pour deux morts de notre maison, comme le prescrivent le Kanoun, sept plats pour une femme, trois pour un enfant.
Ce fut la dernière fois qu’il fit allusion à sa fille. Il rentra ensuite dans sa maison traversant la foule qui, respectueuse et terrifiée par le sacrifice, s’ouvrait devant lui.
Si Mohamed vécut une année encore, après avoir vengé d’une façon si inhumaine l’honneur de sa famille. Mais nul ne le vit sourire, et jamais les tolbas, ses élèves, ne virent non plus poindre sur son visage la moindre émotion ; son cœur était brisé et son âme toute en Dieu.
Son fils Si Amar lui succéda, au grand dépit des Hahlal, qui virent encore la toute-puissance religieuse leur échapper et se maintenir dans la famille de leurs ennemis, qu’ils avaient crus déshonorés à jamais.
La tradition a conservé le souvenir de cette lugubre histoire. Telle est l’horreur des Kabyles pour le mélange du sang : une blanche avec un noir, qu’ils glorifient encore la mémoire du vieux cheik et que ses descendants regardent comme la dernière des insultes toute allusion, même indirecte, à la faute de Zohra, faute si cruellement expiée.
Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès
14 janvier 2010
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