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Légendes de Kabylie-Le Trou des Ouled Zeïane (6e partie)

12 janvier 2010

Non classé

Au coin de la cheminée
Le Trou des Ouled Zeïane (6e partie)

Résumé de la 5e partie : M’ahmed tue son père et fait disparaître le corps dans le trou des Ouled Zeïane, après cela il vit dans la propriété familiale avec Idir son frère…

Il se montrait bienveillant et affable pour lui, comme si la mort du père eut fait cesser entre eux toute cause de jalousie. Seule, la belle-mère ne trouva pas grâce devant l’aîné et son premier acte fut de la renvoyer à son père, après l’avoir dépouillée de tous ses bijoux. Les anciens de la Djemaâ n’approuvèrent point cette conduite, mais comme M’ahmed avait pour lui le droit et le Qanoun, ils s’inclinèrent devant sa décision, bien qu’elle fût offensante pour le cheik vénéré, père de la veuve, et pour la mémoire de Mohamed Amokran.
Vers la fin de l’automne de la même année, la cueillette des olives était commencée : chaque matin, les deux frères, accompagnés de toute la maisonnée, accrue d’une nouvelle et jeune épouse de M’ahmed, descendaient au travail, de l’autre côté de la grande rivière. Il vint un jour à l’idée des hommes de faire un détour pour se rendre compte de l’état des greffes faites au printemps. Les femmes continuèrent leur chemin vers le fond de la vallée, M’ahmed et Idir se dirigèrent vers le Trou des Ouled Zeïane. Dans le ravin, les pousses étaient bien vertes, bien venues ; seul, l’olivier situé près de l’abîme dressait encore ses deux grandes branches sauvageonnes que M’ahmed n’avait point greffées. Le remords de son crime lui faisait redouter de séjourner en ce lieu. Quelle ne fut pas sa stupeur lorsqu’il aperçut, entre les pousses hérissées de l’arbre, un corbeau, le même corbeau qui le regardait d’un air de connaissance.
«Ah ! te voilà, murmura le parricide ; c’est toi qui as prédit le meurtre de mon père, c’est toi qui m’en as donné la mauvaise pensée, fils de Satan le lapidé ! Il t’a manqué ce jour-là, mais je ne te manquerai pas !» Il épaula, fit feu, sans voir qu’Idir, derrière l’arbre, regardait l’abîme, le dos tourné. La balle siffla, coupa les branches et vint frapper Idir au-dessus de la nuque, à l’endroit même où son père avait reçu le coup mortel. Le corbeau, lui, ne bougea pas ; il battit des ailes en ricanant un croassement joyeux et continua à regarder le meurtrier.
Celui-ci, les yeux hagards, terrifié par la coïncidence horrible, bourré de remords à la vue de son frère couché raide, s’approcha du trou, plus pâle que le cadavre. Il sentait le regard du corbeau sinistre peser sur lui et entrer, pour ainsi dire, dans sa moelle. Il resta là longtemps, anéanti. Puis, tout d’un coup, le sang-froid lui revint, avec tous ses instincts mauvais. «Après tout, pensa-t-il, le mal n’est pas grand, Idir ne m’aimait pas et je ne l’ai jamais aimé ; il me méprisait, excitait mon père contre moi : c’est lui qui est la vraie cause du premier malheur qui est arrivé. Le trou est encore là pour cacher le cadavre. A moi tous les biens du père, les oliviers, les terres, les vignes, les maisons ! A moi la femme d’Idir, que le Qanoun m’enjoint d’épouser, et elle est si jolie !
Du pied, il poussa le cadavre de l’adolescent que l’abîme engloutit en mugissant.
Le corbeau, d’un œil satisfait, suivait la scène ; il croassait doucement, regardant M’ahmed, le bec fendu comme par un éclat de rire.
«Chien, fils de chienne, hurla le misérable, heureusement qu’il n’y a que toi comme témoin !» (à suivre…)

Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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5 Réponses à “Légendes de Kabylie-Le Trou des Ouled Zeïane (6e partie)”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    Le Trou des Ouled Zeïane (7e partie)

    Résumé de la 6e partie n En voulant abattre le corbeau, M’ahmed touche son frère Idir et le tue. C’est alors qu’il le jette dans le même trou que son père…

    M’ahmed avait eu, en effet, de la chance ; ses deux crimes pouvaient passer inaperçus dans cet endroit solitaire et mal famé. Il ramassa un des souliers du mort, resté au bord de l’abîme, et, le mettant dans son capuchon, il repartit vers la grande rivière, le fusil sur l’épaule, pour rejoindre les femmes.
    La rivière était grosse ; il déposa la savate sur la rive du gué et alla passer l’oued un peu plus bas. Lorsqu’il arriva près des femmes, elles lui demandèrent des nouvelles d’Idir qu’elles n’avaient pas encore vu ; elles n’avaient pas bougé de la forêt d’oliviers où elles faisaient la cueillette. «Il devrait être ici pourtant, dit M’ahmed, il est passé par le gué ordinaire, tandis que j’ai suivi l’oued pour tuer une oie sauvage. J’en ai bien tiré une, mais je l’ai manquée. Je vais repasser la rivière pour savoir ce que mon frère est devenu.»
    A peine fut-il de l’autre côté du gué qu’il poussa un grand cri et se mit à se désoler. Tous les travailleurs accoururent et M’ahmed, se lamentant, leur montra la savate, seule sur la rive, arrêtée dans une touffe de lauriers roses.
    Certainement, Idir avait voulu passer en haut du gué où le fond est mauvais ; il avait dû être entraîné par les eaux, sa chaussure était là, toute limoneuse, qui le prouvait suffisamment. Bientôt, tout le village accourut et, sans succès, on fouilla toute la rivière : le cadavre resta introuvable. Les femmes poussaient des cris perçants et la pauvre épouse d’Idir, sachant ce que l’avenir lui réservait, connaissant le mari qu’elle allait prendre, pleurait silencieusement sur la rive, affaissée dans sa douleur.
    Les anciens du village n’étaient pas sans trouver cette disparition étrange. Quel caprice avait pu pousser Idir à s’écarter du gué en temps de grosses eaux ? On l’avait vu partir du côté du Trou des Ouled Zeïane avec son frère, mais personne ne l’avait vu revenir. On s’étonnait. On tint conseil et, malgré la répugnance visible de M’ahmed, on décida que les environs de l’orifice seraient soigneusement explorés.
    On arriva sur les lieux témoins des scènes de sang que je viens de décrire. Rien, pas de traces, pas de sang. M’ahmed exultait, reprenait son assurance ; personne, pas même le corbeau. On abandonna les abords du trou et on alla à la recherche, par les ravins, les collines, criant, battant les fourrés ; le soleil baissait, lorsque toute la tribu se réunit, découragée, près de la route de Constantine. M’ahmed pleurait, hurlait, donnait tous les signes d’une douleur profonde et vraie ; mais quelle joie, quel triomphe intérieur pour lui.
    On revenait lentement, par groupes espacés le long de la route, silencieusement, lorsque tout d’un coup M’ahmed, qui marchait parmi les premiers, poussa un cri étranglé. (à suivre…)

    Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès

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  2. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    Le Trou des Ouled Zeïane (8e partie et fin)

    Résumé de la 7e partie n Après l’inspection de toute la région et même des alentours du Trou, on ne trouve aucune trace d’Idir. Bien qu’exultant intérieurement, M’ahmed montre des signes de tristesse profonde…

    On apercevait l’olivier sauvage avec ses deux grands bras levés vers le ciel, comme pour en implorer le secours. Et, du Trou des Ouled Zeïane, un nuage noir sortit, tourbillonnant avec des cris étranges et rauques. En approchant de plus près, on reconnut que le nuage était un vol de corbeaux, un vol comme on n’en avait jamais vu ; tous ceux de la contrée étaient là, bien sûr. Et, sur l’olivier, le bec large ouvert comme dilaté par un rire inextinguible, un corbeau, le corbeau fantastique, battait des ailes pour applaudir aux cris de la bande, en fixant ses gros yeux sur M’ahmed le parricide, M’ahmed assassin des siens.
    C’en était trop pour ce dernier. Il tomba la face contre terre en criant «Hélas ! voilà le témoin de Mohamed Amokran !»
    Le jour se fit dans l’esprit des anciens les meurtres du père et du frère, l’ensevelissement des cadavres dans l’abîme. M’ahmed éperdu, rudement relevé, avoua tout.
    La justice est sommaire en Kabylie : le coupable, solide-nient ficelé avec la corde de son tarbouch, fut amené au pied de l’olivier. Le corbeau, témoin des crimes, s’enleva et tourbillonna lentement au-dessus de l’arbre de justice, suivi par tous les siens, qu’à coup sûr il était allé chercher, par ordre du Dieu tout-puissant, vengeur des crimes.
    Les Kabyles de la tribu ramassèrent chacun une pierre et, tous à la fois, pour que nul ne fût accusé plus spécialement du crime qu’ils allaient légalement commettre, la lancèrent sur le parricide. Chaque coup rendait un son mat, comme celui du fléau sur la gerbe. Les exécuteurs s’excitaient mutuellement, frappant de pierres toujours plus grosses, criant des malédictions. Le patient hurlait. Bientôt ce ne fut plus qu’un amas de chairs saignantes, puis un cadavre broyé que les pierres recouvrirent d’un lourd suaire.
    «L’arbre devint sacré, ajouta le narrateur ; le corbeau revient encore lorsqu’un malheur menace la tribu. Nous l’avons vu l’année de la famine (1867), l’année de la grande révolte (1871). Et pour qu’il ne revienne pas cette année et qu’à jamais soit maudit le lapidé, fais comme moi, Sidi, prends une pierre et jette la sur le tas.»
    C’est ce que je fis pour que Dieu nous garde de tout mal.

    Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès

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  3. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    L’enfant noir (1re partie)

    Deux Kabyles, assis un soir à la Djemâa d’Aourir, semblaient contempler le spectacle grandiose qui se déroulait devant eux. La vallée moutonneuse du Sebaou, dont les terres jaunâtres étaient parsemées, comme une mer par des îles, de champs verts de bechna, se teintait, reflétant les merveilleuses couleurs des couchers du soleil d’Afrique. L’indigo, le rouge sombre, le jaune éclatant y luttaient tour à tour, apparaissant et disparaissant, suivant les jeux de la lumière. Le ciel était, à l’Orient, d’un violet bleuâtre ; il s’éclairait à l’Occident, où les rayons de l’astre à son déclin lançaient des fusées de pourpre et d’or.
    Des gourbis épars des Amraouas, ces métis Arabes-Kabyles à la solde des Turcs, s’élevaient des colonnes de fumées blanches, qui montaient droit vers le ciel, dans l’air immobile, tandis que sur les villages berbères, la fumée se condensait en nuages azurés, semblables aux brouillards du matin. Les bruits du jour s’étaient assoupis ; on entendait seulement le ronronnement des moulins à bras, où les ménagères se hâtaient de moudre la farine nécessaire aux repas du lendemain, le bourdonnement des insectes nocturnes et la voix plus grave des cascades voisines. Le pas lent des bœufs, rentrant de l’abreuvoir, rythmait seul cette harmonie monotone, déchirée de temps à autre par la chanson d’un pâtre kabyle, dont les gammes aiguës montaient vers les nues, comme un chant d’alouette attardée.
    Les Berbères de la montagne sont moins contemplatifs que les Arabes nonchalants ; leur vie est trop occupée par la lutte contre leur terre ingrate, pour leur permettre les longues rêveries familières aux peuples pasteurs. Aussi, si l’admiration instinctive de ce magique spectacle absorbait une partie de leur être, les deux Kabyles dont nous avons parlé n’en tenaient pas moins une conversation animée, coupée parfois par les silences prudents de gens qui conspirent.
    — Ainsi, disait le plus âgé, tu es bien sûr de ce que tu me dis.
    — Parfaitement sûr, reprit l’autre qui semblait d’une condition inférieure à son interlocuteur. Ma femme Tessadit l’a vue hier, bien qu’on la cache à tous les yeux. Par mon ordre, Tessadit est entrée chez Si Mohamed Aït Sidi Sedik pour demander un peu de sel : elle a pu voir, dans un coin obscur, sa fille Zohra. Elle lui a semblé toujours aussi belle, mais ses grands yeux noirs sont bordés de bistre et brillent dans un visage bien pâle. Malgré les haïks qui l’enveloppaient, elle a pu juger que sa taille était épaissie. Je l’affirme, la fille de l’orgueilleux marabout est enceinte.
    Un long silence suivit ces paroles, un berger passait, conduisant son troupeau, qui vint baiser le burnous blanc du marabout.
    — Il y a assez longtemps, reprit ensuite ce dernier d’un ton ironique, que j’entends de tous côtés vanter la piété, la sagesse, la générosité de notre Zaouïa ! Que Dieu soit loué ; il ne passera plus pour le plus juste et le plus noble, quand on connaîtra la tâche indélébile que sa fille va imprimer sur son nom ! Les tolbas ne voudront plus d’un chef qui ne sait même pas diriger ses femmes et tolère leur mauvaise conduite. A mon tour d’être cheik de la Zaouïa, de toucher les grasses prébendes, d’avoir la place d’honneur dans tous les festins. (à suivre…)

    Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès

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  4. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    L’enfant noir (2e partie)

    Résumé de la 1re partie n Un habitant du village de Aourir apprend à un autre qui convoite le poste de cheik de zaouïa que la fille du marabout serait enceinte …

    Moi aussi, je suis marabout, Aomar, et ma famille, celle des Hahial, est au moins l’égale de celle de Sidi Sedik. Continue à faire bonne garde, informe-toi, tu seras récompensé par les douros de la zaouïa lorsque, après le renvoi de Si Mohamed, tu en seras l’oukil et moi le cheik tout-puissant.
    Le Kabyle s’inclina, les yeux brillant de convoitise
    — Ce qu’il nous faut connaître encore, ajouta le marabout, c’est le nom de l’amant de Zohra. Cette fille ne sort jamais de la cour de son père, et sa mère ne la quitte ni de jour ni de nuit. Personne n’entre et ne l’approche à l’exception de son frère et de Kara, l’esclave nègre. Ceux-ci font bonne garde. Qui a donc été assez hardi pour braver leur surveillance ou assez riche pour acheter leur silence ?
    — Je ne sais, répondit le Kabyle ; hier encore, j’ai voulu faire causer Kara, mais ce grand diable de nègre m’a regardé d’un tel air, que je me suis sauvé sans insister davantage. Il a eu un regard mauvais et je sais qu’il est de force à me broyer les reins d’une seule main ; c’est un vrai sauvage du Soudan.
    — Cherche encore, ami Aomar, cherche toujours lorsque tu auras trouvé, nous ferons un beau tapage.
    Là-dessus, les deux associés se séparèrent après que le Kabyle eut respectueusement baisé la main du marabout. Ils disparurent bientôt dans les ombres désertes de l’étroite rue du village. Depuis quelque temps, comme vient de nous l’apprendre la conversation des deux Kabyles, la fille du cheik de la zaouïa, le noble et respecté Si Mohamed Aït Sidi Sedik, passait pour être enceinte. Agée déjà de seize ans, son père, par affection pour elle, n’avait point voulu la marier. Il gardait près de lui cette enfant de sa vieillesse, dotée, au dire des femmes qui avaient pu l’approcher, d’une beauté merveilleuse. Il avait refusé les plus riches comme les plus nobles, ne pouvant se lasser des caresses de sa fille chérie et la livrer si gracieuse et si douce aux étreintes brutales d’un mari. Et voilà que cette fille faisait à son honneur l’affront le plus dur que puisse concevoir un Kabyle ! Le peu d’ennemis qu’il avait, les envieux de sa haute situation politique et religieuse, étaient dans la joie. La retraite du cheik de la zaouïa était certaine, obligatoire même, car les tolbas ne voudraient plus d’un maître déshonoré. Le vieux marabout était atterré : les coutumes de son village lui traçaient son devoir ; l’enfant était condamné avant de naître, le père pouvait faire grâce à la fille mère, mais les usages réprouvaient cette mansuétude. Longtemps il hésita ; l’affront était trop grand s’il ne le lavait dans le sang des coupables, il était perdu de réputation, son influence s’écroulait. Son amour pour Zohra l’emporta ; il résolut de la laisser vivre jusqu’à sa délivrance, puis de la faire disparaître du pays en la mariant dans un village éloigné (à suivre…)

    Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès

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  5. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    L’enfant noir

    Résumé de la 2e partie n Le père de Zohra ne sachant comment réagir, décide finalement de la garder jusqu’à son accouchement puis de la marier dans une contrée éloignée…

    Il pourrait encore ainsi, de temps en temps, revoir le visage chéri de l’enfant qui avait accaparé toutes ses tendresses. Zohra fut donc enfermée dans la maison, sous une garde sévère, mais qui n’empêcha pas le bruit de sa honte de se répandre au dehors et les bonnes langues du village de marcher leur train.
    Ni les menaces ni les caresses ne purent lui faire avouer le nom de son amant. Si Mohamed et sa femme ne pouvaient s’expliquer comment il avait pu pénétrer auprès de leur fille.
    Cette dernière, comme toutes les femmes de marabout, était cloîtrée depuis sa puberté ; jamais la mère ne l’avait quittée sans la laisser à la garde de son père, de son frère, ou de l’esclave noir Kara, magnifique Soudanais d’une trentaine d’an-nées. Le dévouement à toute épreuve, la force colossale du Noir devaient éloigner toute idée de violence de la part d’un séducteur. Par quelle ruse avait-il réussi à se glisser au milieu de cette surveillance incessante ? Ah ! s’ils avaient pu s’emparer du suborneur, connaître ce secret, la douleur des marabouts eût été moindre. Ils auraient lavé dans le sang le déshonneur de leur famille et les plus cruels supplices auraient été trop doux pour le misérable. Mais Zohra écoutait dans un silence farouche les menaces comme les supplications de tous les siens, sans vouloir se départir un instant de la résolution qu’elle avait prise de taire le nom de l’homme aimé.
    Les jours passèrent et la pauvre Zohra arriva à l’heure de la délivrance. Si Mohamed, après avoir renvoyé son fils aîné Si Amar et son esclave aux champs, resta seul avec sa vieille épouse ; il attendait impassible à la porte de la chambre que sa femme vînt lui remettre le nouveau-né. Celui-ci était condamné à mort, sans hésitation : il devait, suivant la coutume, être enterré vivant au milieu de la cour. Avant son départ, Kara avait dû creuser la fosse.
    Les cris de la patiente s’assoupirent et bientôt Si Mohamed reçut des mains de sa femme, enveloppé d’un mauvais chiffon, un magnifique enfant, se débattant et criant. Le marabout l’emporta et arrivé dans la cour, il voulut voir au soleil le fruit de la honte. Horreur ! l’enfant était noir !
    Le marabout tomba à la renverse, laissant échapper l’enfant qui se mit à hurler.
    Il faut connaître le souverain mépris du libre Berbère pour l’esclave nègre, pour comprendre quel coup l’illustre marabout avait ressenti. Les Kabyles d’avant la conquête française avaient bien quelques esclaves achetés à Biskra ou Boussaâda, mais il était rare de voir un blanc faire entrer dans son lit une négresse. Jamais, en tout cas, elle n’avait le titre même de maîtresse, encore moins celui d’épouse inférieure, comme chez les Arabes. Les caprices du maître, qu’elle devait subir, étaient peu fréquents et réprouvés par l’opinion publique. Mais un nègre épousant une blanche !

    A suivre
    Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès

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