Au coin de la cheminée
Taourirt N’Tidits (7e partie)
Résumé de la 6e partie :La Djemaâ prend la décision de demander aux Aït Yahia de leur livrer les criminels afin que les les autorités les jugent…
Les gens de Bou-Dafal n’étaient pas de taille à résister à leurs nombreux et belliqueux voisins. D’un autre côté, la famille des meurtriers était puissante chez eux et, sans être taxés de lâcheté, ils ne pouvaient livrer au supplice un seul des leurs, même coupable. Feignant de partager la colère des Menguellet, ils déclarèrent que les assassins s’étaient enfuis, dans la nuit, au grand village voisin d’Aït-Hichem. Les meurtriers, prévenus à temps, avaient, en effet, gagné ce village et s’étaient placés sous sa protection. La Djemâa de Bou-Dafal put ainsi se débarrasser de la requête des trois marabouts et mettre, au besoin, le village de Taourirt avec un ennemi sérieux.
Les marabouts revinrent donc chez eux, porteurs de paroles de paix, mais sans les meurtriers.
Malgré la violence de leurs passions privées, les Kabyles pèsent mûrement leurs décisions lorsqu’il s’agit d’engager leur village dans des luttes graves et qui peuvent faire verser bien du sang. Tous reculaient devant une déclaration de guerre, tous cependant reconnaissaient que l’outrage demandait vengeance. El Hadj sortait très peu, paraissant attendre la décision de la Djemâa. Quelques jours se passèrent ainsi et la plupart finirent par penser qu’il se chargerait lui seul de laver dans le sang l’affront qui lui avait été fait et qu’il attendait le moment favorable. Personne n’admettait qu’il pût rester sous le coup d’un pareil affront.
A l’étonnement général, il ne bougea point. Les jours passèrent et ni lui ni les gens de sa karouba ne prirent les armes. On se demandait ce que signifiait un pareil silence. Les jeunes gens s’indignaient, quelques-uns même commençait à accuser El-Hadj de lâcheté ; mais les anciens, connaissant l’homme, pensaient qu’il machinait une chose terrible.
Enfin, l’Assemblée populaire s’étant réunie, un jour, pour traiter des questions de médiocre intérêt, quelle ne fut pas la surprise de tous de voir arriver El-Hadj Amrouch couvert de vêtements de femme. La tête entourée du bonnet pointu en soie de couleurs variées appelé tabenik, il portait au front l’étoile ronde du tafesimt, en argent et corail ; de longues boucles à plusieurs anneaux tombaient sur ses épaules d’autres, attachées en haut du cartilage de l’oreille, lui ramenaient cet organe en avant. Les yeux entourés de khôl, les franges du tabenik rangées sur le front avec art, ses joues fardées lui donnaient un air efféminé qui tranchait avec le feu de ses yeux et sa rude moustache. De lourdes agrafes ornaient sa poitrine et retenaient ses haïks de diverses couleurs. La ceinture, placée bas autour des hanches et sur les cuisses, les lourds khalkhal tombant sur ses chevilles teintes de henné complétaient sa tenue.
Un grand silence régna d’abord : la surprise dominait la Djemâa. Le grave et fier Amrouch se livrer à de pareilles facéties ! Les Kabyles ne pouvaient en croire leurs yeux ! Personne n’avait encore osé tourner ainsi en dérision l’Assemblée du peuple. Enfin, l’amin se fit l’interprète de l’indignation générale. (à suivre…)
Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès
11 janvier 2010
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