Au coin de la cheminée
Taourirt N’Tidits (4e partie)
Résumé de la 3e partie n L’invité, Amar Amzian, demande à Fatima, la femme d’El-Hadj Amrouch, de lui donner son anaïa, ce qu’elle accepte en lui donnant sa chienne M’kabra comme preuve.
Elle referma la porte, sans plus écouter les remerciements du Kabyle et revint vaquer aux soins du ménage.
A peine fut-il engagé dans le chemin creux qui descend de Taourirt, qu’Amar s’aperçut qu’il était suivi. Ne rencontrant personne du village pour lui venir en aide, il prit le parti de s’arrêter, attendant le danger pour faire appel à l’anaïa. Ses ennemis, les gens de Bou-Dafal, l’entourèrent bientôt et s’approchèrent de lui, malgré les aboiements furieux de M’kabra.
— J’ai l’anaïa d’El-Hadj Amrouch, leur cria-t-il ; laissez-moi passer sans me faire de mal, ou bien sa colère et celle de sa tribu tomberont sur votre tête. Tenez, voilà sa chienne, témoin et preuve de sa parole.
Les Aït Yahia étaient trop avancés pour reculer; ils se jetèrent sur Amar. Mais ce dernier, aidé de M’kabra et poussant de grands cris, se défendit vaillamment. Lassés bientôt par cette résistance inattendue, n’osant pas se servir d’armes à feu, de crainte d’attirer l’attention des gens de Taourirt, ils se mirent à lancer de grosses pierres. Amar atteint à la tête s’abattit et, malgré les efforts désespérés de la chienne, ses ennemis l’achevèrent en lui coupant la gorge, puis le dépouillèrent de son burnous. M’kabra avait, elle-même, reçu un coup de couteau et rentra péniblement au village, les entrailles pendantes.
Les Aït Yahia s’enfuirent de leur côté, craignant la vengeance des gens de Taourirt ; le soleil s’était levé et le village s’emplissait du bruit des travailleurs se préparant à descendre aux champs.
La chienne M’kabra se coucha épuisée devant la porte d’El-Hadj Amrouch et hurla lamentablement pour appeler sa maîtresse. Fatima, en entendant ce cri lugubre, s’écria :
— Ah ! les gens de Bou-Dafal ont violé l’anaïa d’El-Hadj Amrouch !
En ouvrant, elle aperçut le gage de l’anaïa, la chienne, couverte de sang, traînant la corde attachée à son cou, le ventre ouvert. Elle la releva, la porta sur de la paille et, se couvrant le visage de la cendre du foyer domestique, elle se mit à gémir avec les siens, comme le font les femmes kabyles quand un de leurs proches est mort.
Les passants, entendant ces cris, s’informaient. Bientôt tout le village sut que l’anaïa d’El-hadj Amrouch, accordée par sa femme en son absence, avait été violée par les gens de Bou-Dafal. Quand on apprit la grandeur de l’offense, comme on connaissait le caractère et la valeur de l’offensé, on s’attendit à une vengeance terrible.
Le cadavre d’Amar Amzian fut recueilli et veillé à la Djemâa, jusqu’à ce que ses parents, prévenus de suite, vinssent le chercher. (à suivre…)
Récit et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès
11 janvier 2010
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