Histoires vraies
Le sultan des montagnes (2e partie)
Résumé de la 1re partie : Le conseiller – d’origine écossaise – du sultan marocain, Abdul-Aziz, se propose de rencontrer Raïssouli un opposant au régime…
Il a beau avoir des cavaliers, des esclaves et un harem, c’est toujours un bandit. Il sera flatté d’être traité avec considération par le sultan. Il te renverra à Fès avec une réponse favorable.
— Et s’il refuse ?
— Tu n’as rien à craindre : il te renverra quand même à Fès. Sache que, pour un musulman, deux choses sont sacrées : un hôte et la négociation.
— Même pour un bandit ?
— Même pour un bandit…
Peu après Harry Mac Lean part donc de Fès, à cheval et sans escorte. Autour de lui les Marocains se retournent avec stupeur, mais il en a l’habitude. Il sait que son costume écossais est, en fait, sa meilleure garantie. Il n’est pas comme ces autres Européens à la mine arrogante, avec leurs habits clairs et leur casque colonial, et il est sûr que ce Raïssouli, une fois le moment de surprise passé, se mettra à discuter avec lui. Mac Lean tapote la bourse, dans laquelle se trouve la lettre du sultan, et il continue son chemin avec confiance.
Il serait beaucoup moins confiant s’il savait le contenu de la missive qu’il emporte avec lui. Il y a eu, en effet, substitution. La cour du sultan Abdul Aziz est un panier de crabes où tous les coups sont permis et les Français qui rêvaient d’éliminer le jeune Ecossais ont trouvé là une occasion inespérée. Le secrétaire d’Abdul Aziz est depuis longtemps grassement payé par eux et il a pris l’initiative de remplacer le message dont Harry Mac Lean devait être porteur, par la lettre que lui a dictée en même temps le sultan et qui était destinée au général commandant ses troupes dans le Rif. Or, son contenu n’est pas du tout le même. Qu’on en juge plutôt :
«J’envoie l’Ecossais proposer la paix à ce chien de Raïssouli – que ce bandit, sa chienne de mère, son chien de père et ses ancêtres soient maudits jusqu’à la septième génération ! Profites-en, pendant qu’il ne pensera qu’à négocier, pour attaquer sa montagne et me le ramener mort ou vif.»
Tel est le charmant message que le grand escogriffe couvert de taches de rousseur va remettre en toute candeur au coupeur de têtes impitoyable qu’est Raïssouli ! Evidemment, il y a la vieille tradition musulmane qui veut qu’un hôte soit sacré. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle va être mise à rude épreuve.
Au bout d’une semaine, Harry Mac Lean arrive en pays insoumis. Très à son aise, il continue son chemin et explique aux gens qu’il croise qu’il se rend chez Raïssouli comme envoyé du sultan. L’apparition de ce cavalier en jupette à la peau blafarde et à la chevelure flamboyante, s’exprimant en outre dans un arabe parfait, provoque la stupeur, mais on lui indique la direction et, au bout d’un moment, des guerriers du sultan des montagnes viennent même lui faire escorte, avec leurs fusils aux canons démesurés et aux crosses ouvragées.
Harry Mac Lean est de plus en plus à l’aise, tout en progressant dans un paysage majestueux où alternent les chênes-lièges et les oliviers séculaires. En même temps, il pense à la mission dont l’ont chargé ses supérieurs. Bien que l’Angleterre et la France soient officiellement alliées, il s’agit de tout faire pour diminuer l’influence de cette dernière, au besoin en s’appuyant sur l’Espagne ou l’Allemagne. Serait-il possible de suggérer de telles alliances à Raïssouli ? Sous ses dehors de jeune homme dégingandé et pittoresque, Harry Mac Lean cache, à bien des égards, une âme de Machiavel. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
11 janvier 2010
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