Au coin de la cheminée
La sorcière d’Iril-Azereg (6e partie)
Résumé de la 5e partie : La sorcière exige du Français de se purifier et de réciter la chahada avant de lui parler…
Brusquement elle s’arrêta en face, me dévisageant, touchant doucement mon front. Elle se dirigea ensuite vers une étagère suspendue au plafond, formé par des roseaux.
Quelle était cette étrange fille, qui ne suivait aucun des usages de sa race ? …
Elle finit par atteindre un petit panier rond, d’où une poule s’échappa, criant et gloussant, les plumes hérissées. Elle remit des pommes de cèdre dans le feu, qui jeta une vive lumière et compta les œufs qu’elle déposa sur le tapis :
— Neuf, dit-elle, trois fois trois, le présage est favorable.
Elle s’agenouilla en face de moi, prit un œuf, le tourna autour de mon front et le cassa sur ma tête. Je laissais faire, stupéfait, car, je le répète, j’étais sous le charme de la sorcière.
De l’œuf sortit un petit serpent gris que Fatma jeta dans le feu, où il se tordit en grésillant.
— Ceci, dit-elle, est le démon de l’orgueil, le plus grand des défauts lorsque l’on est puissant : il ne t’aurait pas permis d’écouter ta servante, une pauvre folle.
Elle cassa ensuite, avec le même cérémonial, tous les autres œufs ; il en sortit, successivement, des animaux regardés comme immondes par les Kabyles, un scorpion, une grenouille, un scarabée, un crabe. Le scorpion, c’était le démon de l’envie, la grenouille celui des instincts bas et mauvais, le scarabée de l’avarice, et ainsi de suite.
Elle devait avoir préparé les œufs à l’avance, car bien que regardant fixement ses mains, distantes de mes yeux de vingt centimètres à peine, je n’aperçus rien d’anormal, aucun tour de passe-passe. Peut-être m’avait-elle ordonné de ne rien voir, grâce à sa puissance sur moi !
Quand elle eut terminé ces exorcismes, elle resta à genoux, faisant entrer ses yeux dans mes yeux, plus avant encore. je me sentais de plus en plus inconscient, ne me demandant pas comment tout cela pourrait finir, n’essayant pas de résister aux volontés de cette fille dont le regard m’absorbait. Tout d’un coup, elle dit d’une voix triomphante :
— Maintenant, ô Roumi, tu es musulman, tu es pur !…
— Je repris subitement possession de mes sens.
— Tu veux, dit-elle, savoir la vérité sur la mort de Si Ali ou Toufik.
— Oui, certes, c’est mon plus ardent désir, je t’en prie, parle !
— Eh bien, écoute, mais auparavant, promets-moi le silence.
Malgré l’obsession, de ses grands yeux, le sentiment du devoir renaissait peu à peu en moi : je refusai de faire aucune promesse, je dirais au contraire tout ce qu’elle allait me raconter, si cela pouvait aider à découvrir les coupables.
— Comme il te plaira, répondit-elle, je vais parler néanmoins. Mais n’essaie point de chercher les preuves de ce que je vais avouer : lorsque tu seras sorti d’ici, je deviendrai muette et tu as vu comme le village, le douar entier m’appartiennent ; tous se taisent sur mon ordre, car on craint et on aime Leïla Fatma, la prophétesse d’Iril-Azereg. (à suivre…)
Récits et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès
6 janvier 2010
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