Au coin de la cheminée
La sorcière d’Iril-Azereg (4e partie)
Résumé de la 3e partie :La sorcière du village, une femme respectée, demande à voir l’enquêteur
français. Voilà ce dernier seul avec elle, espérant des informations
sur le crime…
On
soufflait la braise amassée dans le foyer, là-dessous, tout près de
moi, je n’apercevais que le dos d’une femme courbée, vêtue de blanc ;
puis les brindilles flambèrent, les copeaux de cèdre résineux
crépitèrent et, brusquement la sorcière faisant le tour du feu, se
dressa devant moi.
Le mot de sorcière n’avait jamais éveillé en moi
que l’idée d’une fée Carabosse, ridée comme une pomme cuite, à cheval
sur un balai en compagnie d’un bouc. Pour moi, les sorcières étaient
sales, puantes, les yeux chassieux, couvertes de loques raides de
graisses, je n’en avais jamais vu de semblables à celle que j’avais
sous les yeux, éclairée par la lumière vacillante du foyer. Quel type
étrange que cette fille, toute jeune encore, dans tout l’épanouissement
d’une plantureuse nature. De taille moyenne, faite sur le modèle de la
Vénus Callipyge, elle avait le corps onduleux et souple comme la
panthère de son pays. Elle avait enlevé le voile qu’elle portait
habituellement et le tenait par ses extrémités, à hauteur de son front,
comme une almée qui va prendre son essor. Je voyais distinctement
maintenant, à la clarté du foyer, ses doigts écartés les uns des
autres, minces et longs comme ceux d’une personne qui n’a jamais
travaillé, je voyais un sang rose, courir dans ses mains potelées de
duchesse, je voyais son visage pâle et mat de femme cloîtrée, entouré
comme d’une auréole, par une extraordinaire abondance de cheveux crépus
et soyeux, brunis par l’usage du henné. Après cette fantastique
chevelure couleur de cuivre rouge, ce qui attirait le plus mes regards,
c’étaient ses yeux et sa bouche. Ses yeux, d’une longueur exagérée,
pleins d’éclat, étaient bordés de cils si grands et si noirs qu’on
voyait leur ombre se profiler sur la joue blanche ; sa bouche, un peu
forte, avait les lèvres si rouges que je crus qu’elles saignaient.
C’était comme un charbon ardent au milieu de la neige. La Kabyle
n’était vêtue que d’un simple haïk de cotonnade blanche, retenu
au-dessus des seins par de petites agrafes de laiton. Elle n’avait pour
ceinture qu’un cordon de laine rouge tressée ; ses bras admirables
étaient nus, sauf un seul anneau d’argent, de forme triangulaire, au
poignet gauche, bijou d’origine égyptienne sans doute. Je restais
silencieux, immobile, ne pouvant me lasser de regarder ce visage à la
fois si beau et si bizarre, tremblant que, d’un tour de main, le voile
ne vînt le cacher à mes yeux. Elle se complaisait dans l’admiration
qu’elle lisait sur mon visage, restant là, les bras ouverts en arrière
de la tête, la poitrine avancée, provocante, souriant d’un inimitable
sourire, plein de mutinerie, de fierté, d’impudicité naïve. Sous son
regard velouté, je baissais les yeux, je sentais que je n’étais plus
libre, plus maître de mes sens et de ma pensée.
D’une voix très douce et basse, elle me demanda enfin :
— Sais-tu parler le kabyle ?
Je répondis par le petit clappement de la langue qui, dans le Djurdjura, équivaut à l’affirmation.
— Bien, fit-elle, assieds-toi.
Elle-même
se laissa glisser à terre, s’assit sur les talons à la mode arabe, sur
un petit tapis de la Mecque et, toujours avec des gestes de félin, me
montra l’autre extrémité de ce tapis. (à suivre…)
Récits et légendes de la grande Kabylie par B. Yabès
6 janvier 2010
1.Contes