L’écriture et le livre, un moyen pour libérer la parole des femmes berbères
il y a une incontestable écriture des femmes, dont la pionnière serait Djamila Debêche… et puis les héritières de Taos Amrouche ou de Fathma Aït Mansour, dont Maïssa Bey, Nora
Raconter, se raconter…Les femmes du monde ont beaucoup de choses à dire. Certaines ont réalisé d’énormes progrès, notamment dans les sociétés démocratiques…D’autres, la parole leur est interdite. Qu’en est-il des femmes berbères ? Existe-t-il un essor de la parole des femmes berbères par le biais de l’écriture ? Un frémissement… Fatima Kerrouche, auteur de livres berbères pour enfants, « Ninisse la petite berbère », présente au salon du livre « le monde berbère, parole d’écrivains », qui a eu lieu le 13 décembre dernier, nous confie son expérience et ses réflexions.
Parlez de nous de votre parcours ?
Outre mon parcours personnel, professionnel voire spirituel, mon histoire s’inscrit plus spécifiquement autour de l’identité et de l’écriture. De formation juridique et littéraire, je suis cadre territorial, dans une grande Ville, responsable d’un pôle Administration-Communication. Mon parcours est celui d’une forte identité culturelle qui s’est construite sur au moins deux axes celui de l’histoire de l’immigration et de la culture berbère, un balancier harmonieux, du moins, je m’y emploie, entre deux cultures. J’ai toujours été animée par l’envie de m’instruire, d’accéder à la connaissance, de défendre ses convictions, de faire connaître ma culture, de m’élever intellectuellement et personnellement. Finalement comme beaucoup d’entre nous, nous aspirons à la liberté, à l’harmonie, à la défense de valeurs universelles sauf que l’oscillation est un peu moins aisé quand on est une femme berbère née en France… J’ai la chance d’être imprégnée de deux cultures, il s’agit pour moi d’assumer mes choix et mes idées. Et à mon avis, mon parcours d’écriture qui n’en est là qu’à ses prémices correspond parfaitement à la façon dont j’ai envie d’être présente dans cette société en tant que citoyenne, en tant que cadre, en tant que femme de conviction, en tant que fille issue de l’immigration, en tant que femme berbère, en tant qu’artiste… j’aime être là où je suis… Mon parcours de vie, est dans un monde de dualité entre deux cultures, deux identités, deux pays, deux rives… tel un tissage qu’il a fallu tricoter à chaque instant pour juste être en accord avec soi et bâtir ses propres codes. Et c’est bien !
A quel âge avez vous commencez à écrire ?
J’ai toujours aimé écrire depuis mon plus jeune âge, mais le préalable à l’écriture était la lecture. J’ai lu mon premier livre littéraire à 8 ans, le Petit Chose d’Alphonse Daudet et durant toute ma scolarité, j’ai assidument fréquenté les bibliothèques, l’amour de la lecture est une chance, un don, une découverte ; de plus sans distinction, je me suis aussi bien intéressée à la littérature française qu’à la littérature berbère. Je me suis laissé bercer entre Balzac, Feraoun, Minouni, Dib, Flaubert, Amin Maalouf, Mouloud Mammeri et Proust… Pendant plusieurs années, j’ai rédigé des articles humoristiques dans un journal interne du personnel. Mes collègue ont apprécié, et notamment un mémorable papier intitulé : « la diététique au bureau » !! Cette expérience a été un encouragement pour la suite… Mon parcours d’auteur est assez particulier, car j’ai édité mes livres moi-même, par passion, en plus de mon activité professionnelle et je n’avais pas imaginé que ce chemin serait incroyable. J’ai lu, il y a quelques jours que Mouloud Ferraoun a débuté ainsi pour publier son livre : le fils du pauvre !!! Mes livres rencontrent un joli succès dans les différents salons où j’ai eu l’honneur d’être conviée : Salon International du Livre à Alger, Maghreb du Livre à Paris, Comédie du Livre à Montpellier…. J’ai encore beaucoup de travail à accomplir, d’autres livres à écrire et même si mes 2 livres sont un bon début mais ce n’est pas encore suffisant. Du coup, devant les sollicitations et l’intérêt pour mes ouvrages tant en France qu’en Algérie, tout cela me paraît une responsabilité. Ecrire est un acte de création, un acte vital aussi essentiel que de danser ou que de chanter !!!
Qui est ce personnage « Ninisse la berbère » et comment avez-vous eu l’idée de le crée ? Quelle est son histoire ?
Ninisse, est une voyageuse de la méditerranée, entre petits voyages et grandes aventures, ou même l’inverse. L’idée de ce personnage s’est imposée d’elle-même… Et je vous renvoie au processus de l’idée créatrice… Cette petite fille qui n’est ni Martine, ni Bécassine se promène, navigue et danse avec légèreté et gravité sur les deux rives de la méditerranée, entre la France, le Maroc, l’Algérie…. Elle est le personnage de mes livres : j’ai publié tout d’abord en décembre 2007, Ninisse, la petite Berbère qui se compose de quatre nouvelles ; en décembre 2008, Ninisse, la Petite Berbère au Cœur de l’Atlas qui se déroule au Maroc. Ensuite, mon premier livre a été publié par un éditeur algérien, Hibr Editions en version bilingue français/tamazight ; traduction réalisée en kabyle par Akli Kaci, professeur de berbère à Béjaïa et animateur à radio Soummam. Et bien entendu, j’envisage de faire évoluer mon personnage dans d’autres aventures… Mes contes inspirés du patrimoine, sont inventés et sortis tout droit de mon imagination. Et si mes histoires plaisent aux enfants c’est qu’ils y trouvent des messages qui les touchent, qui leur parle… C’est formidable… il y a dans mes textes, le rêve, l’espoir, l’imagination, les rires, le chagrin, la joie, les bêtises, la gourmandise, les larmes, la vie, la mort, l’amour, le voyage, l’exil, la danse, la musique… et je pense que les enfants s’y retrouvent… c’est pour moi une vrai surprise, un enchantement… Chacun, petits et grands, y puisera ce qu’il voudra… en tout état de cause, Ninisse, la Petite Berbère est pour moi une magnifique aventure, il est important que mes contes soient également lus par les enfants d’Algérie. Ninisse la petite Berbère est un hymne au voyage, à la joie et à la liberté !!!
La femme a t-elle toute sa place dans le paysage de la littérature berbère ?
Le fait même de poser la question de la place de la femme dans le paysage de la littéraire berbère, suppose que celle-ci n’est pas acquise……. S’agit-il de parler des personnages féminins dans la littérature berbère (telle la Kahina, Loundja, Fatma n’Soumer, Tsériel…) ou bien de parler des femmes écrivains… En tout état de cause, il est dommage pour la société berbère d’avoir à s’interroger sur la place de la femme… que ce soit dans la littérature ou dans les instances du pouvoir…. cela devrait être une évidence et non un questionnement…. Les femmes du monde ont beaucoup de choses à dire, à raconter et à défendre…les femmes berbères en particulier. D’ailleurs, lors de la conférence que vous avez organisé le 13 décembre, « parler du monde berbère et des berbères – parole d’écrivain », j’étais la seule femme, mais assise en place centrale !!!! Il me semble qu’il y existe un essor de la parole des femmes berbères par le biais de l’écriture, même si la médiatisation est encore faible… il y a une incontestable écriture des femmes, dont la pionnière serait Djamila Debêche… et puis les héritières de Taos Amrouche ou de Fathma Aït Mansour, dont Maïssa Bey, Nora
Quel est votre analyse sur le marché du livre berbère aujourd’hui en France et ailleurs ?
Je n’ai pas de données précises sur le marché du livre berbère en France aujourd’hui… Et doit-on parler de livres écris par des auteurs berbères, de livres qui traitent de thèmes berbères ou de livres rédigés en langue berbère ? En tout état de cause dans les différents salons auxquels j’ai participé, le nombre de livres berbères a une certaine présence, existence, mais souffre peut-être d’un manque de médiatisation par les chaines de télévision en France ; ce que j’ai pu constater, notamment, lors du salon Maghreb du livre où la richesse de la littérature berbère n’est pas à démontrer ; de même la présence au Salon du livre d’Alger du Haut Comité à l’Amazighité signifie la promotion de la littérature berbère… La littérature berbère est dense, variée… et en plein essor mais encore méconnue bien qu’elle suscite un engouement et un intérêt tout particulier pour la culture berbère que ce soit en France, au Maghreb et bien outre atlantique, au Québec notamment. Le développement de la production littéraire et la création de manifestations culturelle autour du livre berbère telle que l’a fait la Coordination des Berbères de France, permettront entre autre de mieux nous faire connaître dans le monde, de défendre notre langue en la faisant vivre par des créations innovantes, par la traduction d’auteurs classiques européens et maghrébins, mais aussi par l’enseignement du berbère dans les lycées de France, puisqu’il est possible de choisir la langue berbère comme épreuve au baccalauréat, ce qui fut mon cas !! Dès lors, il m’a semblé important, logique et fondamental que « Ninisse la petite berbère » existe aussi en kabyle. Akli Kaci, en traduisant, a rencontré une pensée « interculturelle », un enchevêtrement de mots, d’images et d’expressions… Mon souhait serait qu’un jour Ninisse la petite Berbère puissent entrer dans les écoles françaises et algériennes et que mon personnage soit connu des enfants du monde entier…
Bibliographie : Ninisse la petite Berbère – Editions Le Vert Galant Ninisse au cœur de l’Atlas – Editions Letouriste Ninisse la petite berbère – version bilingue traduit par Akli Kaci – Hibr Editions (Alger)
http://www.cbf.fr/article_leger.php3?id_article=1320
4 janvier 2010
Nora Aceval