par El-Guellil
« Je suis beau, le plus beau, je m’aime, je m’adore, je suis fou de moi…»: c’est en gros les rêves que Zine fait la nuit, ainsi qu’une grande partie de la journée. Il ne pense qu’à ça, 26 heures sur 24 ! En fait, depuis qu’il était un garnement pas plus haut que trois pommes, depuis qu’il a appris à parler. Il se mettait devant la glace et s’admirait, essayant de lisser une mèche folle avec de la salive.
«Je suis beau, maman, n’est-ce pas ?»
«Tu es le plus beau, mon coeur !»
«Le plus beau de tous ?»
«Personne ne t’arrive à la cheville, beau gosse»
«Plus beau que papa ?»
«A côté de toi, c’est une vulgaire grenouille»…
C’est ainsi que depuis sa tendre enfance, Zine a vécu presque tout le temps à proximité d’un miroir. Il ne ratait aucune occasion pour s’admirer: il se regardait dans les vitrines, dans les rétroviseurs extérieurs des voitures garées, dans les ascenseurs… Il avait dans son cartable une panoplie de miroirs de toutes sortes. Et si par malheur il détectait un point noir ou une acné, c’était la panique, les larmes… A la fac, il aimait particulièrement les cours d’anatomie et il disait souvent: «il faut bien connaître son corps pour pouvoir le débarrasser de tous défauts, ses impuretés, être parfait». Ceux qui l’écoutaient avaient toujours un sourire narquois au coin de la bouche. Il était pire que Narcisse lui-même, sauf qu’il n’était pas beau du tout, mais alors pas du tout ! Depuis son enfance, on le persuadait du contraire et il a fini par le croire. «Koul khanfouss âand mou ghzal», dit le dicton, mais là ils sont allés trop loin.
Au volant de sa voiture, il ne pouvait s’empêcher de se regarder dans le rétroviseur, même en conduisant, si bien qu’un jour, oubliant de conduire, collé au miroir du rétro, il alla percuter un arbre de plein fouet. Il est mort sur le coup, persuadé qu’il était le plus beau du monde.
4 janvier 2010
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