par Kamel Daoud
C’est un constat d’une effroyable réalité, pêché lors d’un dîner:
«Quelques ministres algériens valent aujourd’hui moins qu’un chef de daïra au Maroc !». Une manière de rappeler cette dévaluation du poids et du sens, de l’époque des Medaghri, aux ministres jetables d’aujourd’hui.
Le chroniqueur se souvient aussi de l’indignation d’un très ancien chef de gouvernement qui dénonçait avec amertume le manque de crédibilité des ministres d’aujourd’hui. «Comment voulez-vous que le peuple croit qu’il a un Etat avec des ministres menteurs, qui ne tiennent pas parole et se contredisent sans se sentir gênés le moins du monde !». C’est qu’en effet c’est vrai: beaucoup de ministres algériens ne se gênent plus pour mentir, même en direct et sous les caméras, de promettre ce qu’ils ne peuvent pas assurer. Beaucoup se savent dépendants plus de l’humeur et de l’avis de Bouteflika que des 36 millions du reste des Algériens. Et partant de ce contrat d’emploi personnalisé, ils n’ont que faire de vous, le peuple de service, ni l’obligation de dire vrai et de faire bien. D’ailleurs, la vraie question est comment devient-on ministre lorsqu’on a le CV d’un chef de daïra marocain au Maroc où les écoles de management et de formation et une certaine culture de la monarchie ont empêché la dévaluation des hommes et des fonctions ? Sur quels critères est-on promu et désigné ? Réponse simple: selon un circuit complexe de facteurs exogènes, pour parler savant.
Ceux qui ont refusé des postes de ministre, par hygiène, par peur ou par fatigue, peuvent vous raconter avec quelle légèreté certains portefeuilles sont proposés à certains moments. «Voulez-vous devenir ministre des AE ? Non ? Cela va vous permettre de faire le tour du monde !», a-t-on dit à un ministrable de «l’Est» ciblé par une politique de rééquilibrage régional il y a une décennie. Selon une légende urbaine, on est ministre, parfois malgré le «niveau» et malgré le peuple, à cause du lieu de naissance, d’une ancienne amitié à l’époque où le Président du moment n’était pas Président, à cause d’un mécanisme invisible de parrainage, ou par «quota» des familles au Pouvoir ou parce qu’on a les mêmes belles-familles. D’ailleurs l’une des phrases favorites de certains observateurs n’est pas de dire «C’est le ministre de quoi ?», mais de s’interroger «C’est le ministre de qui ?». Ou au lieu de dire «Comment il est devenu ministre ?», s’interroger «Comment il est encore ministre ????». Et l’un des exercices de spéculation les mieux assurés en Algérie, c’est d’analyser sans fin les raisons d’un remaniement ministériel, sa faisabilité, le jeu d’équilibre et de forces qui s’y expriment et sa raison selon les gisements d’intérêt. Si un ministre est déplacé d’un secteur à un autre qu’il connaît autant que nous connaissons la physique nucléaire, c’est «à cause des prochains gros budgets de réformes et d’investissements que ce secteur va connaître», répète-t-on à chaque fois. D’où, à la fin, une culture ministérielle très algérienne, faite de rapports de forces, de désir de démission exprimé par l’un et rejeté par l’autre, de croisement d’alliances familiales, d’humeur et d’actes de naissance et parfois de compétence possible mais empêchée. La conséquence étant ce jeu qui nous reste incompréhensible et codé comme un sitcom en langue brésilienne: un président qui s’en prend ouvertement, sous le regard de l’ENTV, à son ministre, puis lui téléphone ensuite pour s’excuser. Ou un ministre convoqué par son président à cause d’une mauvaise gestion et qui s’empresse, pour «répondre», de limoger un directeur d’institut et de changer de labo, etc.
Le Quotidien d’Oran
3 janvier 2010
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