Culture (Jeudi 31 Décembre 2009)
Souffles…
Sommes-nous un peuple de fête ? Celui qui ne lit pas, ne rit pas
Par: Amine Zaoui
Au
sud-ouest de la Jordanie, dans un petit village où vit une communauté
chrétienne aux côtés des musulmans, j’ai visité une église appelée
Église du Prophète Mohammed (QSSSL).
J’ai été fasciné, plutôt
surpris, par cette appellation qui reflète et dégage l’essence même de
la culture de la tolérance et surtout du respect établi entre les gens
des Livres, dans ce petit pays fatigué par tout ce qui se passe dans la
région. Une église chrétienne prend le nom du Prophète de l’islam.
Combien ils sont élevés ces petites gens de ce petit village. En
regardant cette maison de Dieu, en méditant sur le symbolique de cette
appellation, je me suis dis : en ces jours de guerres et de haines,
toutes sortes de guerres et toutes sortes de haines, combien l’être
humain a-t-il besoin d’amour, de paix et de respect ? “Vivre ensemble”,
au sens philosophique de cette expression, mérite et demande cette
ouverture du cœur et d’esprit. Et dans ce petit pays fatigué par tout
ce qui se passe dans la région, pays de Petra et du prophète Salah,
existe aussi une mosquée qui s’appelle La mosquée de Al Messie Jésus.
Cette appellation, hautement symbolique, nous donne une image des gens
qui cherchent, sur le terrain, en permanence, à semer la culture de “la
fraternité” et de “la cohabitation” des religions et des fois. Nous en
avons besoin, toutes religions confondues, les croyants, les
non-croyants et laïcs de “faire” la vie ensemble, de la construire
conjointement. Je suis convaincu que la culture des fêtes religieuses
ou autres, monothéistes ou autres, est capable de jeter les ponts
solides entre les peuples, entre les civilisations, entre les langues.
Il
faut l’avouer. Et il faut l’admettre : nous vivons, en tant que
musulmans contemporains, un énorme vide en matière de culture de la
fête, culture de la joie. Une pauvreté intérieure.
Pourtant, les
musulmans, dans leur histoire de quinze siècles, ont cultivé une
certaine culture de la joie et de la fête. Les musulmans ne sont pas un
peuple morose ou de morosité.
En ces jours de sang, de haines et de
peur, combien avons-nous besoin de courage afin de réveiller notre
culture de l’amour et de la joie.
En ces jours de guerres et
d’intolérance, combien avons-nous besoin de détermination
intellectuelle pour réveiller notre poésie de fêtes, d’espoir et de
vie. Essuyer les couches de poussière accumulées sur nos livres
d’allégresse et de liberté. Le rôle de nos intellectuels, de nos fékihs
et de nos artistes est d’ouvrir la voie libre au lecteur musulman vers
les textes de la fête, ceux de la vie et du plaisir.
Nous ne sommes
pas un peuple renfrogné. Nous ne sommes pas faits de tristesse ou de
laideur. À quel point nous avons besoin de relire Al Boukhalaê (les
Avars), d’Al Djahiz ?
Combien, en ces jours d’épreuve, nous avons
besoin de relire Al Imtae wa al Mouanassa (le Délice et
l’accompagnement), de Abou Hayyan Tawhidi ? Combien, et pour faire face
à cette morosité intellectuelle, avons-nous besoin de relire, et faire
lire à nos enfants la poésie d’Omar Ibn Abi Rabiâ, d’Al Bouhtouri ?
Lire et relire la poésie d’amokrane achchouâraê, l’émir des poètes
maghrébins : Si Muhand U Muhand, celle d’Al Khaldi ou de Belkheir de
Malek Haddad ?
Depuis la renaissance, depuis un siècle, nous
n’évoquons que des choses qui font peur et qui mettent le veto sur le
sens du ravissement, sur le rôle du cœur. Basta !
Aujourd’hui, il
faut apprendre à nos enfants comment produire et vivre la fête, loin de
la violence et du sang. La fête est une force et une création humaine.
Savoir faire la fête, c’est savoir faire la vie. Et le peuple qui sait
faire sa fête et participe aux fêtes des autres religions et
civilisations est un peuple qui avance vers un avenir en lumière. Et
parce que la culture de la fête, chez nous, est absente, plutôt
assassinée, nos enfants vieillissent vite. Basta ! La littérature,
l’art et la religion sont les facteurs qui cultivent chez le citoyen la
culture de l’optimisme.
Et pour arriver à installer cette culture de
la fête et de la vie dans les cœurs et dans les têtes de la nouvelle
génération, il faut commencer par bannir nos livres scolaires des
textes violents qui célèbrent la mort, la guerre, la peur, la haine, la
torture, les linceuls, les tombes, les géhennes, etc.
En ces jours
où les fêtes se croisent El Mawlid Annabaoui et Achoura avec Noël et
nouvel an et Yennayer nouvel an berbère, combien nous avons besoin
d’intellectuels courageux, des fékihs, d’écrivains et d’artistes pour
lever leurs voix et crier : l’amour et la vie se font en commun ?
Et celui qui ne lit pas, ne rit pas.
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
31 décembre 2009
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