par Lahouari Addi
Dans un de ses derniers discours, le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, a réitéré sa demande d’excuses de la France pour les crimes commis lors de la guerre de libération. L’Algérie attend des excuses officielles, a-t-il dit, pour le mal qu’elle a fait subir à notre peuple durant la période coloniale.
La France refusera probablement d’accéder à cette demande parce que la guerre d’Algérie est refoulée de la mémoire de la majorité des Français qui se rendent après coup que le système colonial a été foncièrement injuste. La loi de Février 2005 sur «le rôle positif de la colonisation», réaménagée depuis lors, a été une tentative d’assumer ce passé en le déculpabilisant. Le message de cette loi est le suivant: la France n’a pas été injuste dans les colonies où elle a apporté le progrès. D’un côté, en France, il s’agit de laver par la loi un passé qui n’est pas blanc. De l’autre, en Algérie, on gesticule autour de ce passé pour des raisons de politique politicienne. Le conflit a officiellement pris fin le 19 Mars 1962, mais des deux côtés de la Méditerranée, il y a des groupes qui réactivent une guerre mémorielle pour obtenir des avantages matériels et symboliques. Les pieds-noirs, dont certains deviennent plus nostalgiques avec l’âge, ne cessent d’exiger de leur Etat des compensations pour avoir perdu le privilège d’être supérieurs à la population indigène de l’ancienne colonie. En Algérie, la guerre mémorielle qu’entretient «la famille révolutionnaire» – qui n’a plus le monopole du nationalisme depuis un certain match Algérie – Egypte – a des enjeux aussi intéressés.
En exigeant que l’ancienne puissance coloniale présente ses excuses, Belkhadem veut apparaître comme l’homme qui aura mis la France à genoux. S’il croit que Sarkozy lui fera ce cadeau, il se trompe lourdement. La France a été défaite une fois par le FLN historique; elle ne voudra pas être défaite une seconde fois, même symboliquement, par un FLN en carton de surcroît. Mais qu’est-ce qui fait courir Belkhadem ? Il y a bien sûr les dessous de cette revendication qui ne peuvent être étalés publiquement, mais Belkhadem pense y trouver son compte. C’est important pour la carrière quand on n’est pas élu, ou élu avec fraude. La surenchère sur les martyrs permet de se dispenser du suffrage universel pour parler au nom de la nation. Il est curieux de se soucier plus des martyrs que de leurs enfants et petits-enfants, parmi eux des chômeurs, des harraga et autres habitants de quartiers précaires dits «Bni oua Skout». Les martyrs, c’est un fonds de commerce juteux qui rapporte des terrains, des appartements, des fonctions officielles avec chauffeur et autres privilèges. Le souci de ladite «famille révolutionnaire» n’est pas l’hommage désintéressé aux martyrs, mais plutôt la défense d’intérêts individuels et catégoriels. Car si elle se souciait réellement des martyrs, elle commencerait d’abord par les sortir de l’anonymat en aidant les APC à établir des livres où seraient consignées les biographies des martyrs de la commune. Qui connaît la vie Mohamed Belouizdad, le premier chef national de l’OS ? Que sait-on de la jeunesse de Hammou Boutlélis, le chef de l’OS de l’Oranie, arrêté en 1950 et assassiné à sa sortie de prison en 1958 par la Main Rouge ? Qui est Zirout Youcef, militant PPA-MTLD devenu colonel de la wilaya 2 ? Qui est le commandant Adda Benaouda, et des milliers d’autres, devenus pour les jeunes de simples noms de rues ?
La valorisation du passé et la transmission de la mémoire à la jeunesse n’excluent pas d’établir des rapports amicaux avec la France dans l’intérêt mutuel des deux peuples. L’Algérie a besoin de la coopération avec la France, puissance économique, pour implanter des usines de fabrication de voitures, pour former une main-d’oeuvre capable de maîtriser la gestion des supermarchés, puisque les Algériens semblent adorer Carrefour et Auchan, pour renforcer le potentiel scientifique de ses universités, etc. L’Algérie a aussi besoin de la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, pour aider les Palestiniens à avoir un Etat. La guerre est finie en Mars 1962 et ce sont les Algériens qui l’ont gagnée en mettant fin à la domination coloniale. Demander des excuses après avoir remporté une victoire, c’est prolonger la guerre pour un enjeu symbolique, et ce n’est pas dans l’intérêt de l’Algérie. A moins que le nif soit plus important que tout, même si les harraga, de plus en plus nombreux, essaient de trouver refuge dans le pays qui nous aura présenté des excuses. En nif oual khsara. Ercham ya Abdelaziz archam !
Le Quotidien d’Oran
31 décembre 2009
Colonisation