par Paris : Akram Belkaid
Dimanche 27 décembre. La question, née la veille, tourne désormais en boucle. Sur quel sujet de chronique vais-je plancher ? Il serait temps de t’y mettre me dit cette petite voix qui depuis quatre décennies ne me fait aucun cadeau et ne cesse de fustiger ce qu’elle qualifie de paresse. Paresse, le fait d’attendre, parfois, pas toujours, le dernier moment pour boucler un papier ? C’est pourtant l’habitude la mieux partagée dans la profession et même ailleurs (une pensée nostalgique pour ces élèves du collège Parc des Pins à Alger qui terminaient à la va-vite leurs devoirs sur le capot d’une voiture…).
Oui, bien sûr, bienheureux est le confrère dont le travail est toujours avancé et qui ne craint pas les dates de remises. Pas d’appel inquiet du rédacteur en chef, pas de relance agacée par courriel, pas de stress déclenché par la sonnerie du téléphone. Pas de mauvaise conscience à tout instant. Tout cela est vrai, mais ce serait ignorer une vérité essentielle. Loin de la table de travail, à n’importe quelle heure de la journée, en n’importe quel endroit, la rédaction a en fait déjà commencé. Quelque part dans un coin du cerveau, les phrases et les idées s’empilent, s’ajustent les unes aux autres. Par la suite, il ne restera plus qu’à les convoquer et à les mettre en ordre sur le document sans titre créé par Word version 2002.
Conséquence inattendue de tout cela, les meilleurs écrits, du moins ceux qui sont jugés tels par des lecteurs et lectrices aussi fidèles qu’indulgents, appartiennent souvent à la catégorie du bouclage de dernière minute et de l’envoi, pour ce qui est de la chronique, le mercredi en matinée, ou bien même – cas extrême – en début d’après-midi, c’est-à-dire bien après le coup de fil inquiet en provenance d’Oran.
De toutes les façons, partir trop tôt pour livrer son «jus» dans les temps ou alors en avance relève aussi de la prise de risque. On a choisi son sujet, on a rédigé sans peine les quatre feuillets, le fichier est prêt à être envoyé par courrier électronique (mais comment faisait-on avant ?) quand la petite voix, celle évoquée plus haut, entre en scène. C’est ce thème que tu as choisi ? Tu es sûr ? Et pourquoi pas celui-ci ? L’autre est tellement convenu… Allez, tu as le temps de t’y remettre. Tu as l’habitude, non ? Et c’est ainsi qu’une bonne trentaine de chroniques, malheureusement non recyclables pour cause de lien trop étroit avec l’actualité, ont été définitivement remisées…
Lundi 28 décembre. Toujours pas la moindre idée. Correction : toujours pas la moindre envie. Le tapage sur l’identité nationale en France ? Oui, c’est effectivement une piste. Pour tout dire, cela fait des semaines que je retarde ce passage obligé. Taper encore sur Sarkozy et ses manipulations pestilentielles ; taper sur Besson le traître et sur celles et ceux qui profitent de ce pseudo-débat pour instiller leurs idées racistes et islamophobes : cogner fort et dur serait chose aisée. Mais il y a comme une fatigue, un accablement car tout cela est parti pour durer jusqu’à la présidentielle de 2012, au moins. Oui, ce thème s’impose. Mais attendons encore un peu. La semaine prochaine, peut-être…
Alors quoi ? s’impatiente la petite voix. Tu ne vas tout de même pas essayer de fourguer l’une de ces scènes happées dans un aéroport, un métro ou un bar-tabac ? Hum_ En fait, j’aurais bien aimé décrire le comportement fantasque de cet Indien que j’ai eu comme voisin de voyage durant neuf heures mais il y a malheureusement des règles à respecter y compris pour la chronique. Répétitions interdites. La semaine dernière, il s’agissait d’un BTS en partance pour l’Iowa. Impossible donc de reprendre le même canevas. Un avion, des confidences et quelques anecdotes savoureuses. Dans quelques mois, peut-être…
Bien, me dit la petite voix. Nous avons donc un problème. Que dirais-tu d’une chronique sérieuse ? Un sujet de politique internationale. Oui, c’est prévu est ma réponse spontanée. Tant de thèmes qui se bousculent. La Palestine, toujours et encore. Là aussi, des idées qui sont en train de s’imbriquer mais il faudra les arranger avec soin. Le sujet est trop épineux, trop passionnel pour ne pas prendre le temps de (bien) le traiter. Alors l’après-Copenhague ? s’impatiente la voix. Tu peux bien en tirer quelque chose ? La montée en puissance de la Chine. L’Europe qui, bientôt, si ce n’est déjà fait, ne pèsera plus grand-chose sur l’échiquier mondial (et qui continue de snober la rive sud de la Méditerranée, son seul atout pour l’avenir). J’acquiesce pour la forme mais ce n’est pas une musique que j’ai envie de jouer. Du moins, pas pour le moment.
Tiens, dis-je à mon implacable interlocutrice : il y a quelques jours, je suis allé au Consulat général d’Algérie à Paris. Il y a longtemps que je n’ai pas décrit l’ambiance de ce lieu d’autant que cela se passe maintenant dans un bâtiment entièrement rénové du côté d’Argentine, à quelques pas de l’Etoile et des Champs-Élysées. Ah non ! hurle alors la voix immédiatement rejointe par celle de la raison et par celle qui a pour fonction de rappeler les promesses faites à Madame. Ce n’est pas le moment de provoquer des polémiques, me disent-elles et je me laisse convaincre en me jurant secrètement que je récidiverai tôt ou tard.
Mardi 29 décembre. Toujours rien, ou plutôt trop de pistes. L’identité nationale revient à la charge mais je résiste. Pas encore le moment. Tenir bon. Mais comment boucler le crû 2009 ? Mais par des voeux, naturellement ! Souhaiter bonne et heureuse année à tous les lecteurs du Quotidien d’Oran en général et à ceux de la chronique en particulier. En voilà une bonne idée. Comment tenir six mille signes sur ce thème ? C’est vrai que cela risque d’être un peu court. Il faudra donc laisser un peu courir la plume (façon de parler). Oui, des voeux précédés par quelques considérations sur la manière de trouver le bon sujet. Le choix est fait. Demain, il faudra se lever tôt.
Mercredi 30 décembre. Amies lectrices, amis lecteurs. Il est sept heures du matin. La chronique est terminée. Elle sera expédiée tout à l’heure après quelques relectures. Et en guise de conclusion, j’aimerais vous adresser mes voeux les plus sincères de paix, de bonne santé, de bonheur et de prospérité. En un mot : que 2010 vous offre le meilleur.
31 décembre 2009
Contributions