[Bouillon de culture] Commentaire sur : « la déméarche et les usages de la traduction contée de nora aceval «
Mardi 29 Décembre 2009 10h04mn 26s
Nouveau commentaire sur l’article #9872 « la déméarche et les usages de la traduction contée de nora aceval «
Auteur : Aceval Nora (IP: 90.34.168.97 , AAmiens-156-1-73-97.w90-34.abo.wanadoo.fr)
E-mail : noraaceval@wanadoo.fr
URL : http://www.zanzibart.com/noraaceval
Commentaire:
Nadine Decourt, anthropologue, chercheur à l’université de Lyon est à l’origine de ce travail de recherche innovant sur le conte. Elle partait du principe que le conte est oral et qu’avec les moyens technologiques à notre disposition il devait être présenté ORALEMENT! Ce fut la démarche à l’origine de ce travail…une première…. Encore que… une oralité filmée demeure malgré tout « figée » dans le moment où elle fut dite. C’est mieux que le conte figé par l’écrit où le conteur n’apparait pas avec ses gestes, sa voix, ses mimiques. Toutefois, le conte demeure un art immatériel…
Nora Aceval
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29 décembre 2009 à 13 01 58 125812
Nadine DECOURT
Maître de Conférences HDR
Coordonnées professionnelles
Faculté d’Anthropologie et de Sociologie
5, avenue Pierre Mendès-France
69676 BRON Cedex
courriel : nadine.decourt@univ-lyon2.fr
Les recherches de Nadine Decourt portent sur le conte comme objet de relation en situation interculturelle et plus largement sur la circulation de la parole et des imaginaires. Elles se situent à la croisée de l’anthropologie et de la littérature comparée. Travaux de collecte et d’édition (méthodologie de la traduction et de la transcription dans le domaine de la littérature orale arabo-berbère) jalonnent un parcours marqué par un engagement dans l’expérimentation d’une didactique de la variation. La question des rapports entre traditions populaires et cultures savantes a été plus particulièrement étudiée en diachronie à travers les Veillées de Thessalie (1831-1841) de Marguerite de Lussan. Les recherches amorcées en 2001 dans le cadre d’une délégation au CNRS (GREMMO – UMR 5647, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon) se poursuivent dans une logique de partenariat créatif entre conteurs et chercheurs.
Ouvrages
La Vache des Orphelins. Conte et immigration, Presses Universitaires de Lyon, 1992.
Ouvrages collectifs (co-édition)
Contes maghrébins en situation interculturelle, en collaboration avec N. Louali-Raynal, Paris, Karthala, 1995.
Littérature orale touarègue. Contes et proverbes, en collaboration avec N. Louali-Raynal, Paris, L’Harmattan, 1997.
Contes et diversité des cultures. Le jeu du même et de l’autre, en collaboration avec M. Raynaud, CRDP de Lyon (Argos Démarches), 1999.
Les Veillées de Thessalie de Marguerite de Lussan, édition critique établie par Nadine et Jean-Claude Decourt, in N. Jasmin (éd.), Bibliothèque des Génies et des Fées, vol. 13, Paris, Honoré Champion, 2007.
Chapitres d’ouvrages / articles de dictionnaires
« Conte », in F. Laplantine et A. Nouss (éds.), Métissages. De Arcimboldo à Zombi, Paris, Pauvert, 2001, p. 175-178.
« Mardrus, J.-C. », in Encyclopedia of Children Literature, J. Zipes, Editor in Chief, Oxford University Press, 2005.
Coordination de revue ou ouvrages
Littérature orale. Paroles vivantes et mouvantes, en co-édition avec J.-B. Martin, Actes du Colloque organisé par le CREA, Université Lyon 2, PUL/CREA, 2003.
Parcours anthropologiques : Raison orale, raison numérique avec Raymond Mayer, n°7, 2008
Articles parus au sein de revues à comité de lecture (liste sélective)
« Le conte maghrébin dans tous ses états ou les enjeux de la variation en situation pluriculturelle », Littérature Orale Arabo-Berbère n° 19-20 (1988-89), Paris, CNRS, p. 237-258.
« La fonction médiatrice du conte en immigration ou les enjeux de la variation », in G. Calame-Griaule (éd.), Le renouveau du conte, Paris, Éditions du CNRS, 1991, p. 313-322.
« A travers les contes de Grimm. Invitations au voyage », Europe (Dossier « Les Frères Grimm »), n° 787/788, 1994, p 73-88.
« Le conte en immigration. Jeux et enjeux identitaires », Topique, n° 59, 1996 : L’enfant écrit, p. 79-86.
« La fortune des bottes du Chat Botté », Tricentenaire Charles Perrault. Les grands contes du XVIIe siècle et leur fortune littéraire, Eaubonne, Institut International Charles Perrault, 26 et 27 septembre 1997, Paris, In Press Éditions, 1998, p. 97-110.
« Contes maghrébins en situation interculturelle ou l’art de la glose », Figures de l’hétérogène, Actes du XXVIIe Congrès de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, Montpellier, Publications de l’Université Paul Valéry, 1998, p. 287-295.
« Au pays des magiciennes, les Veillées de Thessalie de Marguerite de Lussan », R. Jomand-Baudry et J.-F. Perrin (éds), Le conte merveilleux au XVIIIe siècle. Une poétique expérimentale, Actes du Colloque international, Université Stendhal – Grenoble 3 / UMR Lire – CNRS 5611, Paris, Éditions Kimé, 2002, p. 278-294.
« Literatura oral e mundalização », Revista de Ciências Sociais, Volume 33, 2/2002, p. 7-15, Université Fédérale du CEARÁ, Fortaleza, Brésil.
« Les Œufs du serpent ou les circulations de la parole », in Échanges et mutations des modèles littéraires entre Europe et Algérie, Actes du Colloque Paroles déplacées, Université Lumière Lyon 2, 10-13 mars 2003, L’Harmattan, 2003, vol. 2, p. 221-236.
« Conter, un art de l’autre ? », Imaginários Sociais em Movimento : oralidade e escrita em contextos multiculturais, Université Fédérale du CEARÁ, Fortaleza, Brésil, p. 197-212, 2006.
« Sur les bords du Pénée… Contes mythologiques ou philosophiques ? Le statut de la parole dans les Veillées de Thessalie de Mlle de Lussan, in A. Defrance et J.-F. Perrin (éds.), Le conte en ses paroles. La figuration de l’oralité dans le conte merveilleux du Classicisme aux Lumières, Paris, Éditions Desjonquères, 2007, p. 395-414.
« La randonnée des quatre éléments. Histoire d’un corpus en migration », Cahiers de Littérature Orale n° 61, 2007, p. 117-137.
Articles parus dans Parcours Anthropologiques
« Qui conte en France aujourd’hui ? Jeux et enjeux de la parole », Parcours Anthropologiques 6, 1999, p. 38-43.
« Circulation de la parole et des imaginaires. Sur les pas de Nasreddin Hodja », Parcours Anthropologiques 7, 2008, p. 81-91.
Valorisation de la recherche (liste sélective)
« Contes maghrébins en situation interculturelle : bilan d’une recherche », Le français aujourd’hui, n° 119, septembre 1997 : Littérature francophone III : « Orientales », p. 26-33.
« Le conte ou l’école de la diversité », Introduction théorique au dossier Conte, in Nouvelle revue pédagogique, Nathan, septembre 2003, p. 11-21.
L’autre parole, n° 19-20, 2005, Revue de La Maison du Conte de Bruxelles, dir. Hamadi, « Questions à Nadine Decourt », « Innayach, à mon tour de te dire », « Contes, groupes et imaginaire » (numéro en hommage).
Préface, in Nora Aceval, Contes et traditions d’Algérie, Paris, Flies France, 2005.
« Le conte ou l’école de la diversité », Entrées. Pratiques interculturelles, IUFM de Lyon, juillet/août 2006, n° 12.
Préface, Rougemont, quartier du monde. Contes et traditions, textes collectés et annotés par Nora Aceval, Publication de la ville de Sevran, 2007.
Sous presse
« Autour de quelques contes maghrébins en situation interculturelle : Création d’un texte à l’interface oral/écrit », Workshop The conte. Oral and Written interfaces, Quenn’s University, Belfast, Irlande, 1er et 2 septembre 2006.
« La fille démembrée : rhétorique de l’excès et hybridation culturelle », Actes du Colloque international L’excès : signe ou poncif de la modernité ?, Groupe Marge, Centre de Recherches Jean Prévost, Université Lyon 3, 25-26 janvier 2007. Éditions Kimé.
« Conter entre les langues et les cultures : Deux dispositifs d’enquête »,
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
29 décembre 2009 à 14 02 01 120112
Nadine DECOURT
C E F I S E M , Lyon
FONCTION MEDIATRICE DU CONTE
EN
PEDAGOGIE PLURICULTURELLE
Formatrice au Centre de Formation et d’Information pour la Scolarisation des Enfants de Migrants à l’Ecole Normale de Lyon, j’ai eu maintes fois l’occasion de travailler sur le conte dans des situations très diverses, aussi bien avec des adultes en stage qu’avec des enfants et des jeunes issus de l’immigration. Le conte a occupé une place de choix dans les premiers tâtonnements de la pédagogie interculturelle et continue à occuper une place de choix dans toutes nos tentatives aujourdh’ui pour imaginer une ouverture de l’école sur le quartier et plus largement sur les cultures du monde. Moi-même grande lectrice de contes, réalisant à quel point tout ce travail mené au CEFISEM avait transformé, et mon répertoire et mes usages du conte, j’ai ressenti l’impérieux besoin d’entreprendre une recherche sur ce qui me semblait être la fonction médiatrice du conte dans l’immigration, sur les processus d’acculturation réciproque en train de se manifester dans le champ de la scolarisation des enfants de migrants et qui me semblent contribuer fortement à l’émergence pour tous d’une nouvelle culture du conte. Je tâcherai d’exposer mes hypothèses de travail, en l’état actuel de mes recherches, puis je signalerai quelques exemples de pratiques pédagogiques, tant pour illustrer le propos que pour mieux amorcer les débats.
POURQUOI LE CONTE
EN SITUATION MULTICULTURELLE ?
Nous sommes partis d’un constat : celui de l’échec scolaire des enfants de migrants et plus largement de tous ceux qui sont d’une certaine manière étrangers à l’école, aux modèles culturels qu’elle véhicule, aux modalités mêmes de la communication qu’elle privilégie. Si les enfants de migrants constituent un ensemble très hétérogène du fait de leur âge (de la maternelle au collège et au LP, tel est notre champ d’action), du fait de leur appartenance ethnique (il peut y avoir jusqu’à l5 nationalités représentées dans un même établissement), du fait de leurs trajectoires personnelles et familiales, ils ont ceci en commun qu’ils franchissent difficilement le barrage de la langue exigée à l’école tant pour l’apprentissage du « français » que pour celui des autres disciplines, et qu’ils accèdent difficilement à une maîtrise suffisante de l’écrit . Or, l’on sait que la sélection à l’école s’opère d’abord par la langue (avant les mathématiques) et dès le Cours Préparatoire, quand ce n’est pas déjà dans la dernière année de l’école maternelle.
Les recherches récentes menées sur l’apprentissage des langues, notamment dans le contexte de l’immigration, montrent que l’apprenant a tous les risques de se bloquer et de développer des stratégies d’échec chaque fois qu’il se trouve en situation d’infériorité par rapport à la langue à atteindre en situation de domination culturelle. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de ces travaux mais insisterons plutôt sur leurs incidences. Il nous faut renouveler nos approches de la question , dépasser les thèses du handicap linguistique dans lesquelles on a trop enfermé les enfants de migrants au nom d’une application un peu facile, en tout cas trop hâtive de tels ou tels travaux des sociologues. Prendre en compte le statut social des langues en présence dans une situation d’apprentissage, c’est réfléchir sur le statut de l’apprenant, le mettre au centre d’un dispositif pédagogique. Si de nouvelles voies s’ouvraient à la recherche , une recherche rendue prudente par tous les excès antérieurs, il fallait aussi agir, il y avait urgence. C’est ainsi que l’inter-culturel s’est inventé, dans l’action, dans l’empirisme, avec les moyens du bord. Les théorisations sont venues après. Toujours est-il que le conte nous est immédiatement apparu comme une pièce maîtresse du dispositif, dans la mesure où il répondait à deux objectifs essentiels dans notre domaine:
– donner la parole, rétablir une parité culturelle là où il y a domination,
– éduquer la parole selon des modèles qui ont fait leurs preuves depuis la nuit des temps et avec lesquels les enfants de l’immigration peuvent être en harmonie, voire en connivence.
Ainsi nous avons maintes fois tenté de mettre en circulation dans des groupes-classes des versions maghrébines souvent d’origine kabyle à côté des versions européennes du même conte, laissant la porte ouverte à d’autres versions. Des enfants sont allés questionner leur famille, avec succès. Ils sont parfois revenus avec des enregistrements ou ont eux-mêmes, à leur façon, transcrit le conte et enregistré leur propre version. D’autres , en bibliothèque, ont dévoré force tables des matières en quête de corpus… et avec les mots-clés adéquats, signes de leur reconstruction zélée du conte-type. Et comment ne pas souligner leur joie et leur fierté ? Mais nous intéresse en même temps la situation langagière ainsi créée dans la famille. Pour un temps, des enfants ont été des passeurs de cultures, et non les traducteurs forcés de messages utilitaires au-dessus de leur âge et de leur statut d’enfants. Les parents ont été amenés, à la demande de l’école, à faire un usage symbolique de leur langue, usage reconnu et donc autorisé. N’y-a-t-il pas là un moyen de débloquer un imaginaire, qui pour certains s’est arrêté avec le franchissement des frontières et avec le mal de vivre ordinairement attaché à l’immigration ? En effet, combien de fois, dans mes propres démarches de collecte, ne m’a-t’-on objecté « les misères » de la vie quotidienne pour m’expliquer une certaine éclipse du conte ? Et même si l’enfant ne comprend plus tout à fait ce que lui raconte sa mère, même s’il parle déjà lui-même kabyle avec l’accent français, il se passe là quelque chose de décisif sur le plan de la communication et des apprentissages langagiers. Bien sûr, l’enfant peut revenir bredouille et le « chercheur » avoir le sentiment de faire fausse route. Les difficultés existent avec l’écart entre les générations, les problèmes de langue, l’éloignement du patrimoine et tous les effets de parasitage (mirage de la culture d’accueil, stratégies diverses d’intégration etc.).
Mais ne tirons pas de conclusions trop hâtives dans un sens ou dans l’autre ! Nous en sommes pour l’instant à recueillir autant de versions que possible d’un conte très présent dans les mémoires maghrébines : La vache des orphelins, ou Ali et Aïcha, ou encore Petit frère et Petite soeur selon la classification internationale d’Aarne et Thompson (T450) et nous avons été surprise du nombre des versions collectées ou simplement détectées à ce jour, de la diversité des personnes-ressources contactées, comme des mises en relations qui se sont effectuées ce faisant entre l’école et les familles de l’immigration (souvent par l’intermédiaire de travailleurs sociaux). Notre demande a même provoqué dans certains cas de véritables chaînes de solidarité, soit que telle conteuse s’enquière auprès du voisinage des détails lui manquant, soit que les « jeunes générations » en profitent pour partir à la recherche d’une mémoire collective qu’ils savent menacée de disparition et pour en opérer du même coup la sauvegarde. En tout cas, le sens de notre démarche a été bien compris. Il ne s’agit pas de constituer une « réserve », d’inventer un nouveau folklore, mais d’activer et d’entretenir un capital culturel, par le simple fait de créer un pont entre des cultures familiales et nos usages pédagogiques du conte ici et maintenant. Et tant mieux si ce travail de légitimation autorise les enfants d’immigrés à dépasser leur patrimoine , à faire pour eux-mêmes d’autres choix culturels.
Telle est à nos yeux la fonction médiatrice du conte en immigration. Voyons maintenant du côté des pratiques.
EXEMPLES DE PRATIQUES PEDAGOGIQUES
Les pratiques sont nombreuses, susceptibles, tel le conte lui-même, de variations à l’infini, en fonction de situations locales aux nombreux paramètres. Nous ne ferons ici que signaler quelques moments privilégiés, qu’esquisser à travers leur énumération un parcours allant du collectage au choix d’une réalisation collective.
l) Collecte
Souvent première étape d’un projet sur le conte, elle consiste à inventorier un matériau de base et présente à elle seule plusieurs intérêts :
– la prise en compte des cultures du foyer dans toute leur authenticité à condition d’avoir su établir un climat de confiance,
– la mise en commun de répertoires variés, tant en ce qui concerne les registres de langue que les possibles narratifs ou encore culturels, véritable éducation pour tous à la notion de relativité,
– l’instauration d’une parité de statut entre les divers éléments de la collecte et donc la possibilité de dialogues et de partenariats fructueux.
Ce travail effectué dans les écoles, dans les centres sociaux ou en liaison entre les deux, est par définition un outil de médiation entre le milieu scolaire et le milieu familial. Il est en même temps l’occasion de passerelles permanentes entre des types d’oral (le conte narré ou résumé) et des types d’écrit (transcription, restitution ou littérarisation.) En ce sens il constitue un levier pour les apprentissages, notamment avec des enfants en difficulté qui seront fortement motivés, ébranlés par les images du conte et par leur propre investissement affectif, inter- ou intra-culturel. Enfin, autre fruit non négligeable de l’entreprise, la circulation de textes-cassettes, que celle-ci induit obligatoirement entre l’école et les familles, entraîne du même coup une démystification de l’objet pédagogique et donc une meilleure appropriation par les enfants des savoirs et des outils nécessaires à l’élaboration de ceux-ci.
2) Contage bilingue.
Il est constitutif d’une relation égalitaire entre l’école et la famille de l’enfant, légitimation tangible, physique d’une reconnaissance. D’où son importance dès l’école maternelle où il convient d’éviter pour l’enfant des chocs culturels traumatisants. De plus, dans le système scolaire français, c’est à l’école maternelle que les parents ont le plus facilement accès. Parmi les personnes-ressources, signalons , outre les élèves eux-mêmes (et la fratrie), les enseignants étrangers, les animateurs sociaux et plus généralement tout locuteur susceptible d’apporter son parler.
Ce moment pédagogique procure le plaisir pur de la langue. Il la donne à voir et à entendre dans toutes les ressources de sa musicalité, de sa corporalité et de sa gestuelle. Surtout si la version française, c’est-à-dire dans la langue véhiculaire pour le groupe, est présentée d’abord. Faisant ainsi l’économie du signifié grâce à notre familiarité avec le conte, grâce à la prédictibilité même de sa structure comme à tous les facteurs extralinguistiques de sa compréhension, nous pourrons dire, émerveillés, que nous soyons enfants ou adultes et dans un même élan: « j’ai tout compris ! « . Voilà donc aussi une manière de lutter contre le racisme linguistique, de mettre sur pied d’égalité le récit de la petite Karima, kabyle, avec celui d’Anne, lectrice berlinoise, qui a si délicieusement écorché les passés simples traduits directement de Grimm dans une classe d’enfants de CM2 qui travaillaient récemment sur le corpus de La vache des orphelins.
3) Projet de quartier.
Le conte sert de support à toutes sortes d’activités de production et s’inscrit tout naturellement dans une pédagogie du projet. Les avantages sont multiples :
– motiver ou remotiver les apprentissages en mettant les apprenants dans des situations de communication qu’ils ont choisies et dont ils sont responsables,
– obliger à un travail d’équipe au sein de la classe, de l’école, du quartier, parce que l’on a besoin de compétences diverses, dont chacune sera reconnue,
– situer la langue dans un système de communication où l’on utilise à la fois et dans des combinaisons variées l’écrit, l’oral, l’image, le corps, la musique etc ; c’est-à-dire initier à un fonctionnement authentique de la communication,
– créer une dynamique de vie ouvrant l’école sur le quartier, où s’inventent une nouvelle convivialité … et de nouvelles pratiques du conte, (sub)urbaines, interculturelles. Signalons à ce propos la résurgence de la fête du Carnaval, à des moments divers laissés aux initiatives locales en fonction des opportunités, y compris météorologiques.
LE PLAISIR DE LA VARIATION
Par-delà tous les parcours et toutes les facettes du travail pédagogique dont le conte peut être le pivot et le prétexte, il est un point sur lequel nous voudrions pour finir attirer l’attention : le plaisir de la variation sans cesse activé par nos procédures.
En effet, à force de miser sur les variantes pour valoriser tant les uns que les autres, à force de toujours encourager les efforts d’ouverture, condition même du dialogue, nous avons pu constater l’aptitude d’enfants, même jeunes, à la comparaison. Au point qu’il nous semble pouvoir dire, en reprenant le titre célèbre d’un ouvrage de Raymond Oliver, que tout comme la cuisine, le comparatisme est un jeu d’enfants ! Pourvu que l’occasion leur en soit donnée. Pourvu que l’on respecte leurs manières de faire en ce domaine, qui ne sont pas celles de l’adulte et qu’il nous appartient justement d’observer et de découvrir.
A cet égard la profusion des livres de contes que l’on trouve sur le marché, brassant largement les répertoires et les langues, devrait aider l’enseignant à constituer très rapidement des embryons de corpus. On peut faire confiance aux enfants pour accroître la collection et devenir chasseurs de textes ! Ils vont spontanément se lancer dans des démarches comparatives, se passionner pour des tableaux à double entrée, jongler avec les critères qui leur permettront de distinguer l’invariant des éléments de variation, créer eux-mêmes leurs propres versions et prendre à tout cela un réel plaisir. Tel est du moins ce que nous avons pu constater et qui retient aujourd’hui toute notre attention. Ainsi des enfants, qui jusque-là ne supportaient que la réitération du même et refusaient à l’enseignant la moindre entorse à la version familiale ou familière d’un conte, se sont mis à savoir accueillir la différence, à se montrer au contraire friands de toutes ses manifestations. Voilà qui paraît capital tant au plan de la socialisation qu’au plan même de la lecture et de l’approche des textes. Sous l’interculturalité, l’intertextualité en quelque sorte! Comme A. Khatibi dans La blessure du nom propre, les enfants s’emparent de « l’entre-deux » des contes et font de cette position, jugée le plus souvent disqualifiante pour les enfants de l’immigration, une force et une richesse.
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Il nous semble donc aujourd’hui assister (et très modestement oeuvrer) à une transformation importante de nos pratiques du conte, transformation dont l’école et son entour constituent un lieu privilégié d’ancrage. Des femmes immigrées redécouvrent d’un oeil nouveau leurs ressources et savent ajuster leurs savoirs-faire à la société d’ici. Voici qu’elles se donnent les moyens d’intervenir dans les écoles, éditent leurs contes sous forme de livres[1], et bientôt de livres-cassettes. Nos répertoires du même coup s’élargissent et cette extension même crée un espace de jeu : jeu avec les variantes, jeu avec un imaginaire sans frontières où intégrer tous les apports de l’immigration. Pour mieux les dépasser ? Libre alors à chacun d’assumer comme il l’entend son héritage, d’opérer comme il l’entend ses choix culturels.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup