par Kamel Daoud
Que se passe-t-il en Iran ? Quelque chose qui ne se passe pas dans le reste du monde musulman et qui n’arrive plus chez nous: les gens descendent dans la rue, non pas pour aller chez le coiffeur mais pour faire l’Histoire, ce drame petitement cosmique qui « roule » au carburant de l’utopie selon E.M. Cioran.
Des milliers d’Iraniens offrent aujourd’hui l’exemple d’un courage que nous avons tous perdu: ils protestent. Et ils le font bien et avec le corps, le cri et la croyance. Chez nous, c’est depuis longtemps chose impossible: nous avons peur d’être frappés, d’être menacés, de perdre l’emploi ou le salaire, ou le lit ou la paresse. Nous sommes parfois trop sales, trop compromis, trop fatigués et pas assez courageux. En clair, nous sommes devenus lâches. C’est pourquoi nous allons en majorité dans les mosquées pour prier Allah de faire l’Histoire à notre place, de nous plaindre comme des orphelins ou de nous pardonner comme des feuilles écrasées ou nous analysons sans fin notre indépendance ou nous ergotons jusqu’à l’épuisement sur notre nationalisme en crise. Pourtant, il y a désormais une évidence: ils sont de plus en plus rares les peuples à « faire « l’Histoire » et de plus en plus nombreux à vivre de s’en souvenir. Nous sommes devenus soit islamistes, soit démocrates, soit « croyants » occupés à trouver un pot d’ablution, mais nous ne faisons plus l’Histoire. Elle se fait sans nous. Pourquoi les Iraniens y arrivent-ils ? Deux réponses: l’une raciste, l’autre messianique.
Pour beaucoup, si les Iraniens sont encore debout, c’est parce que l’Iran existe depuis des millénaires. Ce n’est pas un pays né d’une dernière guerre d’indépendance ni un découpage territorial opéré par d’anciens colons. C’est une « race » bien que ce mot a mauvaise réputation aujourd’hui. C’est un nationalisme fondé sur la mémoire la plus profonde, un sentiment d’appartenance qui n’est pas né d’un colis alimentaire mais de l’immémorial, justement. Mieux encore, ce nationalisme ne se sent pas investi d’une mission à cause de son Passé seulement, mais surtout à cause de son Avenir. Les Iraniens sont peut-être plus millénaristes qu’on ne le croit. Ils « attendent » mais n’attendent pas assis: leur conception de l’Histoire est celle de l’acteur pas celle de l’arrêt de bus et du retraité. Ils agissent pour hâter l’Histoire et ne la vivent pas comme une fatalité technique. C’est pourquoi le chiisme a toujours été une révolution et le sunnisme une orthodoxie paralysante. Aujourd’hui donc, il faut se mettre debout et saluer ces milliers d’Iraniens: pas ceux espérés par la propagande occidentale, ni ceux interviewés par les chaînes TV arabes, mais les vrais Iraniens, les anonymes, les étudiants, les victimes, les courageux, ceux qui font l’Histoire de leur pays et refusent qu’elle soit réduite à la biographie du satanique Ahmedinejad ou à l’espoir d’un agenouillement à l’irakienne. Les Iraniens de cet Iran qui menace tout le monde car l’Iran démocrate, un jour, sera encore plus sévèrement dénoncé par les régimes arabes voisins que l’Iran nucléaire et vous devinez pourquoi. C’est dire combien nous sommes loin de ce peuple debout, nous qui pouvons subir les bourrages d’urnes sous nos yeux sans trouver à faire que de soupirer et de demander à Boumediene de revenir lorsqu’on ne nous délivre pas un extrait de naissance à temps. Que nous sommes loin de ce peuple qui ose mourir et revenir à la vie quand il veut, contrairement à nos martyrs et à ceux qui sont nés après !!!
Le Quotidien d’Oran
29 décembre 2009
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