Au coin de la cheminée
La petite guenon
Il était ce qu’il en était.
— Que la paix et l’abondance soient sur toi !
Notre chambre est en soie, votre chambre est en lin et la chambre de l’ennemi est un nid de souris.
Messieurs et nobles Seigneurs, que nous soyons guidés, que vous soyez guidés sur la voie du bien et de la foi.
Un homme avait une fille d’une grande beauté, sa femme mourut, il se remaria. La belle-mère détestait la jeune fille et en était jalouse. Si cette dernière préparait un repas, la nouvelle épouse y rajoutait du sel, si elle lavait du linge, l’autre le tachait.
En somme, tout ce que la jeune fille faisait, la marâtre le détruisait et la nuit, elle se plaignait à son mari :
— Ta fille ne sait rien faire, elle abîme tout, je ne veux plus d’elle chez moi, va la perde et débarrasse-moi d’elle.
Le père lui répondait :
— Comment puis-je perdre ma
fille ? Non c’est impossible.
Mais elle continua à se plaindre et à répéter qu’elle ne voulait pas d’une fille bonne à rien. Un jour, elle exigea de son mari qu’il lui acheta une petite guenon. Ce dernier crut qu’elle allait enfin laisser sa fille tranquille et ne s’occuper que de la guenon : il la lui acheta.
Mais la femme égorgea la guenon, la dépeça, prit la peau et en recouvrit la jeune fille, puis appela son mari et lui dit :
— Maintenant emmène-la et abandonne-la dans la forêt, la voilà habillée d’une peau de singe, personne ne la reconnaîtra et toi-même tu n’auras pas mal au cœur si tu l’abandonnes ainsi déguisée.
Elle insista tellement qu’il céda et emmena sa fille dans la forêt où il l’abandonna.
M’hammed, le fils du sultan, avait l’habitude de chasser dans cette forêt, monté sur son cheval mi-humain mi-djinn. Il aperçut la petite guenon dégringoler au milieu des arbres, arrêta son cheval, et se mit à observer sous le soleil, de loin, l’animal étrange à la démarche étrange. Passa alors un homme qui venait de décharger une charrette de bois au village et qui vit M’hammed, le fils du sultan, dans la même posture, au même endroit, en train d’observer la guenon, comme lors de son passage précédent. Il s’approcha de lui et dit :
— Tu as l’air d’un prince, ça fait longtemps que tu es sous le soleil et c’est mauvais pour toi, je vais te donner un conseil : rentre chez toi et fais préparer un grand plat de couscous à la viande, puis apporte-le ici et mets-le devant cette guenon. Tu verras les autres animaux tourner autour du plat, le renifler et manger seulement la viande, si elle s’attarde à en manger, dis-toi bien qu’elle n’est point sauvage et que tu ne dois pas en avoir peur ; emmène-la alors chez toi si ça te dit. M’hammed, le fils du sultan, fit ce que lui conseilla le charretier et déposa le grand plat au milieu de la clairière devant l’étrange guenon. Quelques animaux s’approchèrent, se jetèrent sur les morceaux de viande et s’éloignèrent très vite, mais elle resta longtemps à manger avec appétence. M’hammed, le fils du sultan, se baissa alors, la prit dans ses bras et monta avec elle sur son cheval magique. Arrivé au château, il posa la petite guenon devant lui et se mit à jouer avec elle. Puis il appela ses parents et leur fit voir ce qu’il venait de ramasser dans la forêt. Ils la regardèrent un moment, étonnés, puis se lassèrent bien vite et s’en allèrent abandonnant le prince à son nouveau jouet qui le fascinait tant.
Quelques jours après, il se tenait au coin de la rue El-Bahri. Sa mère et ses sœurs étaient parties dans les champs assister à la cueillette des olives. La petite guenon, se retrouvant seule, enleva sa peau de singe, se lava, se changea, prit une jarre et partit chercher de l’eau au puits. Là, les jeunes filles lui apprirent que M’hammed, fils du sultan, s’était arrêté au coin de Dar El-Bahri et qu’il avait décidé de choisir sa femme parmi les jeunes filles qui passeraient par-là.
A suivre
Bochra Ben Hassen et Thierry Charnay
29 décembre 2009
1.Contes