C’est quoi le kheloui ?
Souad Labri
Inimitable, le cheikh Bourahla avait son propre style, le kheloui tout en restant dans la lignée du ankaoui. Le mot kheloui tire son appellation du mot arabe kheloua qui désigne un lieu isolé, ou un ermitage.
Il se distingue du ankaoui par la rare utilisation des touchias dans l’introduction de la soirée, selon Rachid Boukhari. Tandis qu’une soirée ankaouie commence souvent par une touchia, Bourahla entrait directement dans la qacida et laissait la tâche de la touchia qu’il n’aimait pas à son orchestre, bien qu’il interprétât les même qacidate que El-Anka. Le kheloui est un mode très difficile avec ses rythmes (mizane) appelés dans le langage chaâbi bourdjila et goubahi. «Il n’était pas facile d’accompagner le cheikh dans ce mode. Et aucun artiste n’a pu faire la même chose dans le kheloui», dit fièrement son fils Ahmed. «Comme aimait à le dire cheikh Bourahla, le kheloui est l’essence de la musique chaâbie», rapporte Rachid Boukhari. Cheikh Bourahla se distinguait aussi par cette particularité d’animer certaines fêtes familiales sans orchestre ni mizane, mais accompagné de son seul mandole. Son style a vite fait de se répandre à travers l’Algérois, le Sahel, la Mitidja, le Titteri et le Zaccar.
S. L.
29 décembre 2009 à 23 11 32 123212
Il refuse de chanter la Marseillaise
Souad Labri
Depuis 1948, il n’a fait qu’une seule interruption de 7 ans, soit le temps qu’a duré la Guerre de Libération, pour reprendre tout de suite après l’indépendance. En 1952, il fut invité, selon Rachid Boukhari, à animer une fête familiale à Staouéli. Un français lui avait demandé de lui chanter la Marseillaise, il refusa. Il chanta plutôt M’dinet el hdhar el adra djzaïr. «Il viendra le jour où nous combattrons le colonialisme avec ses propres armes», a-t-il répondu, un jour, à un de ses amis qui l’interrogeait sur les raisons de son refus de chanter l’hymne national français. Bourahla était également un authentique moudjahid. Il fut arrêté par les parachutistes à Koléa le 11 août 1958 et torturé pour avoir fait de son salon de coiffure une cache de médicaments. Il a été transféré le 27 octobre de la même année à Haouche Chenou où il avait été sauvagement torturé au point d’être évacué au service des urgences de l’hôpital de Koléa où il séjourna jusqu’au mois de décembre. Il ne fut libéré qu’en 1962, pour renouer avec le chant après quelques mois de repos. Signalons aussi que son frère est tombé au champ d’honneur en 1958. A l’Indépendance, donc, il écrivit la qacida ya madha sar fi dhel oumma el moucharafa à l’occasion du 1er anniversaire du déclenchement de la révolution, où il évoqua les 132 années du colonialisme dans notre pays.
S.L.
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29 décembre 2009 à 23 11 33 123312
Grand supporter de l’ESMK
Souad Labri
A chaque victoire de l’équipe de football de Koléa, l’ESMK, Cheikh Bourahla animait au profit des supporters comme lui des soirées chaâbies de haut niveau au café des sports. Il écrivit en 1953 une chanson pour l’équipe intitulée Lah la ya dhel ferha nedjma talaât à l’instar de ses collègues El-Hadj M’rizek qui avait chanté en 1952 pour le Mouloudia d’Alger le texte de Cheikh Noureddine Yali thab talaâb sport charek fil mouloudia, et Hadj El-Mahfoud qui avait chanté en 1949 pour l’USMB N’challah ya rabbi tansar l’USMB djamiaa islamia hia wal Mouloudia.
S. L.
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29 décembre 2009 à 23 11 33 123312
Il était le maître incontesté du kheloui
Qui se souvient de Cheikh Bourahla ?
Souad Labri
Un patrimoine à préserver
Richesse n Beaucoup sont ces maîtres qui ont marqué l’art populaire musical algérien.
Ils ont imposé leur style medh ou melhoune, devenu au cours des années 40 le chaâbi bien qu’il soit parfois appelé de nos jours maghrabi à l’Ouest ou medh au Centre. C’est l’art musical le plus populaire d’Alger, de Blida et des autres régions du Centre, telle la Kabylie.
Il est qualifié par les spécialistes de musique savante née d’une culture profonde grâce à des autodidactes qui avaient pu l’imposer par leurs voix et leurs instruments. Le cardinal Cheikh El-Hadj M’hamed El-Anka, Maâzouz Bouadjadj, Boudjemaâ El-Ankis, El-Hachemi Guerouabi, Amar Ezzahi, Kamel Messaoudi, Abdelkader Chaou, Dahmane El-Harrachi, Cheikh El-Hasnaoui, Aziouz Raïs, Mourad Djaâfri, Kamel Bourdib, Cheikh El-Fodil et la liste est encore longue. Ces virtuoses ont porté haut ce genre musical dépendant depuis près de 100 ans de la derbouka, du tambourin (tar), du mandole, du banjo et du qanoun qui en font l’art le plus populaire qui ne laisse pas de place à d’autres instruments électriques. Cheikh M’hamed Bourahla a incontestablement apporté sa touche et marqué de son empreinte l’évolution de cet art en s’inspirant de la poésie ancienne et de textes originaux ramenés de Fès (Maroc) de chez son maître cheikh Idriss El-Alami, traitant des thèmes d’actualité grâce auxquels il avait pu créer son propre style, le kheloui qui n’a pu être repris à cause de sa complexité par les artistes de la nouvelle génération. Proche des aspirations du peuple notamment des jeunes, le style kheloui avait pu conquérir les cœurs des mélomanes de toutes les régions du pays et même du Maroc.
Le maître de ce genre musical, Cheikh M’hamed Bourahla, a également tant donné au pays, notamment durant la révolution. Retracer son parcours est le moindre des hommages que l’on puisse lui rendre. Ainsi, la 8e édition des journées artistiques andalouses tenue en plein air à Tipaza du 28 au 31 juillet, s’est clôturée par un bouquet de chants andalous et de qacidate dédiés à la mémoire du grand maître du kheloui.
Les 4 soirées andalouses organisées par la direction de la culture de la wilaya de Tipaza, ont vu la participation de troupes artistiques et musicales de renommée à l’image des 3 associations artistiques andalouses de Koléa (El-Bachtarzia , El-Fen El-Asil et Dar El-Gharnatia), les associations El-Kaïsaria et Errachidia de Cherchell… La chanteuse Amel Wahbi a rehaussé la manifestation de sa présence. L’assistance a pu ainsi redécouvrir les valeurs du cheikh, 24 ans après sa disparition lors d’un pèlerinage à La Mecque… Un hommage amplement mérité.
Souad Labri
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29 décembre 2009 à 23 11 35 123512
Ahmed Bourahla* à Infosoir
«Continuer sur la même lignée»
Souad Labri
InfoSoir : Vous avez pris la relève de votre père et vous portez le tarbouche comme lui…
Ahmed Bourahla : Mon défunt père a beaucoup travaillé pour préserver l’art du chaâbi. Il n’a pas été bien médiatisé et pourtant il était connu partout dans le pays et dans certains pays voisins. Il avait ramené de Fès de précieux volumes de poésie (diwan). Il voulait que le kheloui perdure. Il a laissé un riche répertoire. Depuis l’âge de 18 ans, je faisais partie de sa troupe musicale avec mon mandole et j’ai suivi le même chemin que lui. J’ai dû prendre sa relève depuis 25 ans. J’ai monté mon propre orchestre qui m’accompagne à ce jour, composé de jeunes musiciens comme Hamid Izri, Tayeb Belkhodja, Mahdi et d’autres. Je ne peux me passer du tarbouche de mon père sur la tête. Il a un sens très profond que je ne peux expliquer. Il représente les traditions en Algérie et Koléa en particulier.
Que représentait pour lui le poète marocain El-Alami ?
El-Alami était son maître spirituel qui le conseillait et lui donnait beaucoup de qacidate. Il avait son propre cachet pour prouver l’authenticité des diwan El-Alami. Il ramené ses diwan et personne après lui ne put se les procurer.
Et votre propre répertoire ?
Parmi mon répertoire, je vous cite la qacida sur les parents Ya elwaldine de 20 minutes écrite dans les années 90. Mais personne ne l’a reprise et je ne sais pas pourquoi. Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est le fait que les qacidate du cheikh n’ont jamais été reprises par d’autres artistes. Certaines ont été reprises mais jamais avec le même cachet que celui de mon père. C’est pourquoi ma famille voudrait relancer le projet de l’école qu’il avait tant souhaité ouvrir de son vivant pour l’apprentissage du chaâbi et du style kheloui, car nous avons peur qu’il disparaisse. Nous avons créé l’association Les amis de Bourahla qui a obtenu son agrément depuis près de 2 ans. Nous voulons qu’il y ait une continuité.
S. L.
* Fils et élève du cheikh Bourahla
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29 décembre 2009 à 23 11 36 123612
Le maître s’en va, le kheloui reste
Souad Labri
En juillet 1984, soit trois mois avant son décès survenu le 2 septembre, il anima sa dernière soirée chaâbie au siège de l’association El-Bassatine à l’occasion de l’accession de l’ESMK en division régionale centre. Une soirée qui avait vu la présence d’un parterre de personnalités sportives et artistiques. Et c’est là qu’il confia à ses amis qu’il partait à la Mecque où il souhaitait mourir et être enterré. Avant de partir, il fit généreusement don d’un cachet qu’il venait de percevoir à l’association El-Bassatine. Le 07 octobre 1984, sa famille reçut un télégramme du consulat d’Algérie à Djedda, signalant le «décès du pèlerin Bourahla M’hamed Ben Ahmed survenu le dimanche 02 septembre 1984 à la Mecque», sans plus de détails. «Mon père avait toujours exprimé son souhait de mourir à la Mecque», témoigne son fils Ahmed. En 1984, il fit découvrir aux Saoudiens ses chants religieux et les textes de Lakhdar Ben Khelouf sur la vie du Prophète Mohamed (QSSSL).
S. L.
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29 décembre 2009 à 23 11 37 123712
Né dans un mausolée, mort à La Mecque
Souad Labri
Particularité n Incroyable destin que celui du grand maître du kheloui, El-Hadj M’hamed Bourahla, cet enfant de pure souche de la ville de Sidi-Ali-Mebarek.
Il est né le 8 février 1918 au m’qam de Sidi M’hamed à El-Merdja. «Enceinte, sa mère qui se recueillait au mausolée, fut surprise par l’heure de la mise au monde de son bébé. Elle fut aidée par les femmes qui se trouvaient sur place. Elle décida alors de lui donner le prénom de M’hamed. Durant toute sa vie, le cheikh n’a jamais cessé de visiter le mausolée accompagné de son mandole», raconte sa femme.
Celle-ci garde d’autres souvenirs de son défunt mari. Fils d’un tebbal et zernadji à Koléa, M’hamed fréquenta très jeune la médersa El-Ihsane de Koléa où il apprit la langue arabe et le Saint Coran. Plus tard, il sera coiffeur. C’est en attendant ses clients qu’il jouait du mandole. Parallèlement, il s’intéresse à la poésie populaire, le melhoune. Bourahla a appris, grâce à cheikh Rebihi, les poèmes de Lakhdar Benkhlouf, Kaddour El-Achouri, Mustapha Driouèche, Cheikh Ben M’asib, El-Kbabti et Mohamed Ben Smaïn.
Sentimental et nostalgique, il a pu conquérir des millions de cœurs de mélomanes à travers le pays et même à l’étranger. Il était d’une telle humilité qu’il affirmait que son public était sa grande satisfaction et toute sa fortune.
Cheikh Bourahla a été révélé pour la 1re fois lors de son passage à la radio nationale en 1947, à l’âge de 29 ans dans une émission hebdomadaire diffusée en direct avec l’orchestre dirigé par El-Anka. «En fin d’émission, le mandole sous le bras, le cheikh était à chaque fois invité à déguster un café avec El-Anka et M’rizek au café Malakoff à Alger tenu par El-Anka», rapporte Rachid Boukhari dans son livre consacré au chanteur et intitulé Cheikh Bourahla et le style kheloui. El-Hadj El-Anka a alors pris l’habitude de venir souvent le voir chez lui à Koléa. «Ils entretenaient de solides relations depuis 1947. El-Anka venait voir mon père pour lui corriger certaines kacidate et prendre des textes de sa propre bibliothèque», se souvient son fils Ahmed. Il enregistra deux 45 tours en 1955. L’un sur le mode el-ghrib avec la qacida m’dinate el hdhar el aâdra el djazaïr qui a eu un énorme succès commercial en dépit de la censure qui l’avait empêché de passer. La 2e qacida était intitulée Mouda chhal ya da el mersem de Idriss El-Alami. A la télévision, il n’a fait que de rares apparitions. Son orchestre était composé de 4 talentueux musiciens de
Koléa : Kouider Kezdri à la guitare, Benaouda Adem au banjo, Abdelkader Gherrous au tambourin (tar) et Mohamed Moumène, dit Pipo, aux percussions (derbouka).
En 1964, il occupa un poste de coiffeur à l’hôpital de Frantz-Fanon de Koléa où il donnait des récitals à chaque fin de mois et lors de la célébration de fêtes religieuses ou nationales au profit des malades. C’était une sorte de thérapie pour les malades atteints de troubles psychiques. Plus tard, Le chanteur suivra une formation paramédicale pour être ensuite recruté au service de post-cure dans le même hôpital.
Durant toute sa carrière, entamée en 1939, jusqu’à son décès à La Mecque, où il accomplissait le pèlerinage (5e pilier de l’Islam), il a fait montre d’un dévouement sans limite pour la musique. Père de 6 enfants dont 3 filles, cheikh Bourahla a laissé un riche répertoire dont Yama dha sare, Naara alik ya sakane el koliaâ, Ya el hmama. Malheureusement il n’a laissé que deux qacidate télévisées.
S. L.
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Soucieux de la continuité
Souad Labri
Le cheikh Bourahla a fait partie du jury de la 1re édition du concours national de la musique populaire châabie en 1965 qui s’est déroulée à Blida. Plusieurs jeunes talents y ont participé à l’image de Abdelouahab Louda, Boualem Achour, Osmane Soudani, Adem Benaouda, Mokdad Laouès… «Nous faisons tout pour que la musique populaire retrouve son lustre d’antan. La chanson populaire algéroise a besoin d’être redynamisée. Il faut laisser aux jeunes des points de repère. Pour cela il faut ouvrir les portes de la culture du pays et cesser la politique du bricolage», avait-il déclaré à la presse à l’époque déjà. Il a tant appelé à ce que le chaâbi soit enseigné dans des associations musicales au même titre que l’andalou. «J’ai peur que la génération future ne soit déracinée, il n’y aura de place ni pour le chaâbi ni pour l’andalou», disait-il encore. Bourahla faisait partie des artistes et mélomanes qui ont été conviés en 1972 à assister à la création de l’association musicale et artistique Dar El-Gharnatia de Koléa. 10 ans après, il est nommé président d’honneur de l’association El-Bassatine créée en 1982. Entre-temps, il a été convié par El-Anka pour diriger une autre école du chaâbi à Boufarik. Mais une insuffisance cardiaque l’empêcha de continuer de travailler dans cette école.
S. L.
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