Histoires vraies
Un carillon voyageur
Résumé de la 2e partie : Les cloches se retrouvent en place d’honneur dans une fonderie jusqu’à ce que M. Neuvy les transporte, chez lui, dans un beau quartier de Paris. D’héritage en héritage, elles atterrissent chez un jeune paraplégique hospitalisé…
Ce paraplégique avait, régulièrement, une consolation. Celle d’une visite. Le visiteur, qui était tout d’abord un parfait inconnu pour lui, finit par devenir un ami. Il faut dire qu’il s’agissait d’un scout de France, «toujours prêt» comme on sait. Ce jeune homme s’était fixé une mission, originale à l’époque et encore aujourd’hui trop rare. Il visitait les hôpitaux pour apporter un peu de réconfort aux malades trop isolés ou sans famille. C’était ce qu’il appelait sa B.A., sa bonne action (les scouts s’engagent à accomplir une B.A. quotidienne).
La première fois que le gentil garçon rencontra le malade, il n’était pas encore scout, seulement louveteau, c’est-à-dire futur scout. Le paraplégique avait au moins vingt-cinq ans, soit dix de plus que lui, et il semblait si triste de vivre que le louveteau, Michel Lévesque, se prit d’amitié pour lui. «Son» malade, René Bernard, était mélancolique, car il savait qu’il ne marcherait jamais. La vie lui semblait longue d’avance. D’autant plus longue qu’il n’avait aucune famille.
Michel se dit : «Je serai sa famille», et pendant de longues années il va continuer ses visites, empreintes de gaieté et de gentillesse. Les deux garçons finissent par se considérer comme frères…
Est-ce grâce au soutien fidèle de Michel ? Un jour, un petit miracle se produit : René, malgré les sombres pronostics, sort de l’hôpital. Il a retrouvé une partie de son autonomie. Michel, de son côté, se voit appeler par ses obligations militaires. Les relations s’espacent considérablement.
René Bernard n’oublie pas l’amitié fidèle de Michel pendant toutes ces années pénibles. Il n’est pas riche, mais une idée l’obsède : «Comment pourrais-je marquer ma reconnaissance à Michel ?»
Il vit à la campagne. Sa maison comporte un grenier, où il ne monte presque jamais. Il va y jeter un œil, et l’idée lui vient : «Je vais lui offrir les cloches de la Bastille !»
Michel Lévesque voit un jour arriver chez lui une caisse énorme. On est en 1957, et l’ancien petit louveteau a maintenant cinquante ans bien sonnés. Il ouvre la caisse et ne comprend pas de quoi il s’agit. Mais un acte notarié en bonne et due forme lui révèle la clef du mystère :
«Je soussigné René Bernard, fais don à Michel Lévesque, demeurant 13, Bd Saint-Marcel à Paris XIIIe, de l’horloge et des cloches de la Bastille, que j’ai reçues en héritage de M. Neuvy en août 1955.»
Michel Lévesque fut touché et étonné. Mais il n’a pas gardé les cloches pendant bien longtemps. Il ne savait où les remiser ; elles quittèrent Paris pour la banlieue.
Quant aux statuettes de pierre sculptée qui entouraient le cadran, on sait de manière certaine qu’elles furent remises à Palloy et qu’elles se trouvaient un peu plus tard non loin d’une guinguette installée sur les ruines de la Bastille. On garde encore l’espoir que les descendants de Palloy possèdent toujours, sans savoir de quoi il s’agit, ces deux figurines qui représentent La Jeunesse et la Vieillesse enchaînées.
Si on ne les retrouve pas, on pourra se consoler en allant admirer une Crucifixion qu’on peut voir à l’église Saint-Paul. Elle aussi était à la Bastille.
D’après Pierre Bellemare
29 décembre 2009
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