Histoires vraies
Un homme bien conservé (1re partie)
Nous sommes en 1950, le 8 mai exactement, la journée touche à sa fin, et le soleil qui va se coucher éclaire de ses rayons rasants la tourbière de Bjaeldskov, au Danemark.
Ce jour-là, les paysans du village viennent de procéder aux semailles de printemps. Mais pour eux, pas question de gaspiller la fin de la journée. C’est le bon moment pour extraire la tourbe, qui leur servira à se chauffer pendant l’hiver.
«Peter, viens voir un peu. Il y a un cadavre !»
Peter et les autres s’approchent : «Tu le connais ?»
Non, personne ne le connaît. Pourtant, le visage du mort est tellement «vivant» qu’on a un peu l’impression de l’avoir vu dans les rues du village.
«Il faut prévenir la police, à Silkeborg.»
Quelqu’un saute sur sa bicyclette et se charge de cette mission.
Mais les policiers qui savent des choses, s’ils arrivent aussi vite que possible, ont pris la précaution de se faire accompagner par… un représentant du musée local.
«Un représentant du musée ? Pourquoi ?
— Ce n’est pas la première fois que, dans le pays, on trouve des cadavres dans la tourbière. Mais, en général, ce sont des cadavres qui datent de l’Âge du fer. Si ça se trouve, votre bonhomme dort là depuis deux mille ans !»
Dès que les policiers ont jeté un œil sur le visage de la victime, ils font prévenir le professeur Glob, qui est occupé à donner un cours sur l’Antiquité devant quelques étudiants. Il arrive sans tarder.
L’homme, puisqu’il s’agit d’un homme, semble endormi, il repose sur le côté droit. Sa tête est orientée vers l’ouest. Il est à une cinquantaine de mètres de la terre ferme. Il faut savoir que la tourbière est constituée d’une épaisseur de plusieurs mètres de tourbe, c’est-à-dire de charbon fossile issu de la longue décomposition de végétaux. La tourbe est un combustible médiocre qui dégage beaucoup de fumée. Mais pour les habitants pauvres de ces rudes contrées, c’est un moyen de lutter contre le froid. En tout cas, ça l’était. Et de plus, il est fourni gratuitement par la nature. Une des caractéristiques de la tourbe, formée d’un milieu très aqueux et très acide à cause de la présence de végétaux est sa capacité à conserver les corps qui y sont enfouis. L’homme a donc été enseveli il y a près de deux mille ans, mais on croirait qu’il n’est là que depuis quelques jours. Les traits de son visage, sa peau, ses cils sont encore apparents. Il est coiffé d’une sorte de bonnet en peau, attaché sous le cou, un peu comme les béguins qu’on mettait autrefois aux nourrissons. C’est d’ailleurs son seul vêtement, avec une ceinture de cuir. Les cheveux, coupés court, sont cachés sous le bonnet. Sur son menton, on voit des poils de barbe. Ses sourcils aussi sont encore visibles. La peau est encore présente sur une grande partie du torse.
Quand on dégage le corps, l’impression de sommeil paisible perçue par les premiers témoins s’efface. Autour de son cou, une corde sinistre dit assez qu’il a été soit pendu, soit étranglé. En retournant le corps, on découvre sur le visage une expression qui frappe : les rides du front et le rictus de la bouche montrent clairement que l’homme, avant de mourir, a souffert une douleur intense.
Malgré l’heure tardive, on contacte une menuiserie toute proche et on commande une sorte de cercueil capable de contenir non seulement le cadavre, mais encore toute la couche de tourbe sur laquelle il repose. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
27 décembre 2009
Non classé