par Omar Dib
L’histoire que nous livrons à l’appréciation du lecteur, concernant Sidi Abdeslam Tounsi et Yahia Ben Yuggan, nous est conservée dans plusieurs textes, entre autres : ceux de Futuhat II et Mouhadarat el Abrar d’Ibn Arabi, celui de Tasawwuf de Yusuf Ibn Yahia Tâdîlî (mort en 1230) et enfin Bighyat er-Rowad de Yahia Ibn Khaldoun.
1ère partie
Nous avons retenu les relations les plus précises et les plus complètes qui conduisirent le prince berbère à rejeter, un bon matin, son trône et ses richesses pour se vouer corps et âme à Dieu. Il restera l’exemple vivant de l’ascète qui «renonce de son plein gré aux biens de ce bas monde, qui préfère Dieu (el Haqq) aux créatures (el Khalq).
Le chaykh vénérable entre tous, Sidi Abdeslam Abou Mohammed Tounsi est né à Sfax en Tunisie vers 1060. Après avoir perdu son père, il fut mis sous la tutelle de son oncle aîné Abdelaziz. A quinze ans il accompagna sa famille, notamment son tuteur, ses deux oncles Abou Youcef et Mohammed ainsi que leur cousin Mahrez Ben Youcef, dans un long périple qui les mènera au Maroc plus exactement à Taghmat des Orika, à huit kilomètres d’Aghmat Ilan sur la route de Marrakech – où selon le manuscrit de Kitab et-Tasawwuf les trois frères se mirent à enseigner.
Le jeune Abdeslam sera confié aux tolbas de cette cité célèbre pour la diffusion des sciences religieuses et profanes qui y fleurissaient; il profita des leçons de ses maîtres chargés de lui transmettre les connaissances qu’ils possédaient afin de lui assurer une solide formation intellectuelle, pendant que son oncle Abdelaziz se forgeait une bonne réputation d’érudit dans les mosquées et les milieux d’études d’Aghmat – tout en veillant sur son initiation spirituelle.
Manifestement l’adolescent possédait une intelligence et une sagacité aussi vastes que précoces; au reste il se mit à gravir rapidement les degrés du savoir; bientôt on le «vit marcher sur les pas de son oncle». A son tour il reçût de ses chaykh l’autorisation de professer; au demeurant, Abdeslam s’était engagé dans le chemin de la spiritualité sous l’autorité de ses initiateurs; il ne tarda pas du reste à entrer dans la Voie alors même que les soufis inspiraient une grande méfiance au pouvoir royal en place.
A cette époque la dynastie almoravide entrait de plain pied dans son âge d’or sous la conduite de Youcef Ibn Tachfin; partout ses troupes volaient de victoires en victoires; une large partie de l’Occident Musulman, du Sahara au nord de l’Andalousie et de l’Atlantique jusqu’au-delà d’Alger, lui obéissait.
En 1O86, devant les attaques répétées des chrétiens, les terres d’Islam en Ibérie furent en danger; répondant à l’appel des musulmans espagnols, le roi almoravide constitua une puissante armée composée, entre autres, de nombreux volontaires venus des deux Maghreb, el Aqçà et el Awsat. Une bataille décisive se déroula à Zelaka; les forces musulmanes remportèrent une victoire mémorable. Ce franc succès eût un retentissement significatif sur les populations d’Orient et d’Occident. Dans le même temps, au Maroc, le puissant parti des Faqihs (lettrés religieux) saisit l’occasion de relever la tête : «ses adeptes veillèrent à rétablir – à leur façon – la pratique de la religion dans sa pureté originelle !»
Bien évidemment leurs premières victimes en furent les chaykh du Tasawwuf. Par conséquent de nombreux soufis abandonnèrent Fès, Aghmat, Marrakech pour finir de se réfugier à Tlemcen pour les uns, à Bougie pour d’autres. Ce fut vraisemblablement au printemps de l’an 1090, que Abdeslam aurait quitté le Maroc pour venir se fixer à Tlemcen. En ce temps, la cité séculaire des Djeddars (Tlemcen, en berbère signifie lieux antiques) se remettait péniblement des suites de deux évènements douloureux, qui avaient mis en péril l’existence même de la ville et de ses habitants, une décennie plus tôt. Le premier eût lieu en 1079 : au mois de Rabi’ 1er un épouvantable tremblement de terre secoua notre région comme jamais on n’en avait ressenti au Maghreb, renversant les murs, les tours, les minarets et les édifices. Un nombre considérable de personnes moururent sous les ruines. Les secousses se répétèrent jours et nuits et leurs effrayantes répliques durèrent de Rabi’ 1er jusqu’à la fin de Djoumada 2. Le second se déroula entre 1080 et 1081 : après avoir soumis les Beni Iznacen et leur capitale Oujda, les armées almoravides entreprirent le siège de Tlemcen où s’étaient réfugiés les derniers débris des Maghraoua et des Beni Ifrène. Un ultime assaut permit aux troupes Senhadja (les hommes au litham) d’envahir la ville et de massacrer, des jours durant, les Zénètes !
De toute évidence, au soir de ce XI eme siècle finissant, le jeune Abdeslam, en choisissant de résider dans le Ribât d’el- Aubbad, ne se doutait guère que son «destin suprême et immuable s’apprêtait à régler, puis à disposer et à ordonner d’avance la suite et l’enchaînement des événements importants de son existence»… L’histoire allait le conduire sur les chemins de la gloire; il côtoiera des rois puissants, Youcef Ibn Tachfin, Ibn Toumert, Abdelmoumen Benali, Yahia Ben Yuggan…
Pour l’heure, il veillait d’abord à s’installer à el-Bâal dans quelque Kheloua au voisinage de Sidi Abdellah Benali (mort en 1077). Il avait même choisi un terrain à défricher situé sur les pentes d’el-Aubbad el Fouqui; il y sèmera l’orge dont il se nourrira. Formé d’abord au mysticisme en faveur à cette époque, du Tasawwuf initiatique (celui qui éduque), par son maître et tuteur – pédagogue subtil et fin – il eût conscience ensuite que sa personnalité soufie, maintenant pleinement épanouie, se reflétait dans sa vie quotidienne. Bientôt, devenu «savant reconnu et ascète, il vivait détaché du monde». Il fréquentait assidûment la petite mosquée de Djamaâ er-Rahma (sur l’emplacement duquel les Mérinides allaient édifier, environ deux siècles et demi plus tard, un fameux complexe religieux : le sanctuaire de Sidi Boumedien !»
Tous les vendredi, les fidèles le rencontraient sur le chemin qui conduisait d’el-Aubbad à Agadir où il accomplissait régulièrement ses obligations religieuses dans la grande Mosquée d’Idriss 1er; vêtu de laine, il menait une existence austère et dépouillée, se livrant exclusivement à la piété.
«Il ne s’écartait jamais de la vérité religieuse et personne, à cet égard, ne pouvait lui adresser de reproches, écrivait à son propos Yahia Ibn Khaldoun dans Bighyat er-Rowad, l’histoire des Beni Abdel Wad !»
Homme pieux et vertueux Abdeslam Tounsi fut estimé également pour ses qualités de c ur et la pureté de ses sentiments. Aimé et respecté «il finit d’atteindre par le plein de persévérance, de patience et d’humilité un haut degré de spiritualité»; en se protégeant du mieux qu’il pouvait contre tout ce qui était de nature à le distraire « il passait chaque moment de sa vie à louer et prier Allah jusqu’à l’extrême intensité de son adoration !»
par Omar Dib
Suite et fin
A l’instar de tous les célèbres pédagogues ayant marqué l’histoire, le vieux maître avait «la réputation de donner à ses disciples ce qu’il avait de sciences en partage sans rien espérer en retour si ce n’est un peu de clarté sur les routes du monde !» Et parce qu’il savait «qu’entre tous ses élèves Abdelmoumen était exceptionnel, il faisait exception pour lui» !
A prendre en considération «le charme de sa présence, l’excellence de son esprit, l’éclat de sa jeunesse et le sérieux de son application» il lui semblait parfois que les années passaient trop lentement sur ce brillant disciple et sur lui trop vite ! Lorsque l’âge venant, au soir de sa vie, Sidi Abdeslam Tounsi faisait le compte au plus juste de ses enseignements, il lui paraissait clairement que la réussite de ses élèves -surtout celle de Abdelmoumen Benali -lui valait de réelles satisfactions!
Vers la fin de 1118, l’étudiant de Tlemcen, délégué par ses compagnons, parvint à Mellala : sa rencontre avec le légiste de Souss fut mémorable. (*)
(*) – L’historien Ibn Abi Zar el Fasi trace un portrait saisissant des deux hommes «Quand Ibn Toumert leva les yeux sur Abdelmoumen il murmura : la mission sur quoi repose la vie de la religion ne triomphera que par Abdelmoumen Benali, le flambeau des Almohades !»
Selon toute évidence, à partir de cet instant le jeune homme, répondant à l’appel d’un destin grandiose, allait devenir le disciple du montagnard berbère, futur Mahdi de l’Occident Musulman. Lequel le choisira plus tard pour lui succéder à la tête de l’empire; en effet, ne lui aurait-il pas prédit «par des paroles mystiques un avenir des plus brillants !»
Au début de 1121 ils décidèrent de s’engager sur le chemin du Maghreb el-Aqça. A vrai dire, une formidable sympathie les liait désormais; ils eurent l’un pour l’autre un sentiment d’estime naturel fondé sur la connaissance des mérites, des bonnes qualités et des vertus de chacun. «Ibn Toumert s’installa dans la mosquée er-Rahma d’el-Aubbad et mena une vie d’ascète, d’après le chroniqueur Abd el-Wahad el-Merâkchi el-Moughib». Cependant, à leur arrivée à Tlemcen, le jeune étudiant tint à présenter le Chaykh à ses concitoyens.
Profitant de l’hospitalité légendaire de la vieille cité, Ibn Toumert ne se priva pas de prendre la parole devant des assemblées religieuses, dans les mosquées, à improviser des Khotba dans les rencontres avec les Fouqahas et les savants de la ville. A croire el-Baïdaq (Histoire des Almohades) nous apprenons qu’en «pénétrant dans Agadir l’imam rencontra une nouvelle mariée que l’on conduisait à son époux ; elle était montée sur une selle et précédée d’un cortège de musiciens bn Toumert brisa les tambourins et les instruments de musique, mit fin à ce spectacle affligeant et fit descendre la mariée de sa selle !»
Vraisemblablement cet incident venait s’ajouter aux propos vigoureux et impétueux proférés par le Soussi. Bientôt les citoyens outrés par les violents discours de cet exalté qui traitait tout le monde d’hérétique, alertèrent le Qadi de Tlemcen. Ibn Sahib es-Salat invita les autres professeurs d’Abdelmoumen Benali de se joindre à lui, notamment Abou el-Abbès Cherif, Yahia Ben Yaftin El-Djazouli, Abderrahim et Mohammed ben Abderrahman el-Medyouni. Ensuite on amena Ibn Toumert dans la Maqsourah de la mosquée; ce dernier, habitué à être rabroué, semblait confiant dans sa faconde verbale et tenait plus que jamais à ses arguments rugueux. Le Qadi découvrait, à travers les thèses exposées par le prédicateur, un être obstiné et déterminé; aussi, de guerre lasse, il le mit en demeure soit d’atténuer ses diatribes et ses sermons désordonnés, soit de quitter le pays.
Lorsque le légiste de Souss sortit de Tlemcen, il était accompagné d’Abdelmoumen Benali, de Mohammed el-Bachir -le premier converti à la cause du maître et, un peu plus tard, l’exécuteur de ses basses oeuvres – ainsi que d’autres personnages. Sitôt dépassés les contreforts rocheux de la montagne, au-delà de Beïn-Essakhrateïn, ils arrivèrent à la lisière de la haute plaine du Mefrouch. L’imam s’arrêta alors et, se tournant vers ses partisans il affirma, sentencieux : – Ici même, parmi vous se trouve un taleb qui campera, à cet endroit, avec son armée et on entendra de partout le bruit qu’elle fera !»
Avant la prière du Maghrib, il appela son jeune disciple à part : – Les paroles blessantes de ton professeur Ibn Sahib es-Salat, avoua-t-il, continuent de siffler à mes oreilles. Si Dieu te destine à commander les peuples du Maghreb, au nom de la vraie foi, fais-moi le serment de te débarrasser par le meurtre de ce Qadi !»
Nous sommes en 1122; après le départ de Abdelmoumen Benali, le vieux chaykh Sidi Abdeslam Tounsi se retira du monde. Il ne quittait Djamaâ er-Rahma que pour se rendre chaque vendredi à la prière de la grande mosquée d’Agadir. Quand Mahyeddin Ibn Arabi citait Abdeslam Tounsi, il le désignait ainsi : – un homme, un juriste, un dévot et un ermite (Abd munqâtî) qui s’appela Abû Abdellah al-Tunsi, installé en dehors de Tlemcen dans un lieu el-Aûbbad (les dévots) il s’était isolé dans une mosquée où il se vouait à l’adoration de Dieu.» (*)
(*) – Selon Tâdîlî (Tasawwuf, p. 123) il s’agit d’Abû Mohammed Abd al-Salam at-Tûnsi auquel il consacra également une notice N° 13, p.p. 110 et 113.
De temps à autre, on rapportait au vieux savant quelques échos de Abdelmoumen; un vieillard de son âge lui aurait dit à ce propos : – Quand ton jeune disciple est parti au Maroc en compagnie de son mentor de Soussi, un chapitre de son histoire s’était achevé, un autre commençait. Devant lui s’ouvraient toutes grandes les portes de la renommée !»; Sidi Abdeslam en fut, paraît-il, secrètement ravi et fier. Il avait souvent senti comme une prémonition, une sorte de sensation particulière, ou plutôt une espèce de pressentiment annonçant, en quelque sorte, ces nouvelles qui lui parvenaient sur le fabuleux destin de son élève !
En fait, il savait que son étudiant était « versé dans les lettres et ouvert à la raison d’une part» et d’autre part «qu’il maîtrisait de vastes connaissances dans toutes les branches de la science; il possédait également une grande précision de jugement. En outre, il jouissait auprès de ses condisciples ainsi que des tolbas d’une réputation considérable !»
Sidi Abdeslam portait sur son visage les traits de ceux qui sont les Serviteurs d’Allah; il cultivait la vertu et se consacrait à la prière, aux dévotions, à l’amour de son Créateur. S’appliquant à vivre dans le détachement absolu des biens terrestres «il développait cette faculté – réservée aux proches amis de Dieu – de percevoir le transcendant !»
Assurément sa vie s’écoulait paisible et sereine jusqu’au jour où un évènement prodigieux le propulsa au premier rang de l’histoire des Hommes purs !. Qui mieux que Chaykh al-Akbar Ibn Arabi pour nous raconter les péripéties de cette extraordinaire ascension spirituelle de deux hommes sur le chemin de la sainteté : Sidi Abdeslam Tounsi et Yahia Ben Yuggan !
- L’un de mes oncles maternels, écrira-t-il dans Futuhat II- p. 18, fut de ces ascètes zuhhâd; il régnait sur Tlemcen et se nommait Yahia Ben Yuggan (es-Senhadji).
Un jour tandis que ce saint homme (Sidi Abdeslam Tounsi) allait dans Tlemcen entre Agadir et la ville moyenne, mon oncle le roi de Tlemcen Yahia B. Yuggan entouré de sa suite et de sa cour le rencontra. On lui dit : – Voici Abou A. al-Tounsi, le dévot de notre époque !». Le roi retint les rênes de son cheval pour s’arrêter et salua le vieillard qui lui rendit son salut. Le roi, qui portait de somptueux vêtements, lui demanda : – Ô chaykh, m’est-il permis de faire la prière avec ces vêtements que je porte ?» Le vieillard éclata de rire : – De quoi ris-tu lui demanda le roi ?». Il répondit : – De la petitesse de ton entendement, de ton ignorance de ton âme et de ton état ! Rien ne te ressemble plus que le chien qui se vautre dans le sang d’une charogne et la dévore (dans toute son immonde répugnance), mais lève, en revanche, la patte quand il (urine) pour ne pas se souiller. Tu m’interroges au sujet de tes vêtements alors que tu es responsable de toutes les injustices que subissent tes sujets !» Le roi fondit en larmes, descendit de cheval et renonça à cet instant à son royaume. Il se mit au service du chaykh; ce dernier l’hébergea durant trois jours. Puis vint le trouver avec une corde et lui dit : – Ô roi, les trois jours d’hospitalité prescrits sont écoulés; lève-toi et va ramasser du bois»
Dans Bighyat er-Rowad (op. cité) en II° Section, Yahia Ibn Khaldoun rapporte les précisions suivantes : – Le prince de Tlemcen Abou Zakaria Yahia Ben (Yuggan) es-Sanhadji fut dirigé dans la voie de la vraie piété par le chaykh A.M. Abdeslam Tounsi. Ce dernier lui ordonna, conformément à la règle des mystiques, d’abandonner les honneurs mondains, de porter sur son dos une charge de bois et de se présenter ainsi à son palais, (el Qasr el-Qadîm)) au milieu de sa cour.»
Reprenons le texte d’Ibn Arabi : – C’est ainsi qu’il ramassait du bois, le portait sur sa tête et se rendait au marché où les gens en le voyant pleuraient. Il vendait son bois, prenait de quoi se nourrir et distribuait le reste aux pauvres.»
- A partir de ce jour, ajouta Y. Ibn Khaldoun, le prince s’adonna à la vie ascétique et atteignit le rang des saints dont le peuple implore (l’intercession auprès de Dieu)». Le maître aurait même dit à son disciple : «A présent tu es plus digne d’adresser à notre Seigneur une prière en ma faveur, que moi de le faire pour toi; car tu t’es détaché des biens de ce monde, sacrifice que je n’ai jamais eu à faire !»
Selon Ibn Arabi, le vieux chaykh avait l’habitude de dire aux gens qui venaient le trouver pour qu’il intercède en leur faveur auprès d’Allah : – Adressez-vous à Yahia Ben Yuggan; c’est un roi qui a renoncé à son royaume. Si Dieu m’avait soumis à une telle épreuve, peut-être n’aurais-je pas abandonné mon royaume !»
Nous sommes donc «en présence d’un cas spectaculaire de Tawba, de conversion soudaine et inattendue, une prise de conscience brutale qui ébranle l’individu et le conduit à une totale métamorphose de son être». Avec le dialogue du prince et de l’ascète nous retrouvons «un des cas les plus familiers de l’hagiographie universelle : confrontation dramatique et transformation instantanée du pécheur»
A dater du moment où le prince de Tlemcen se mit au service de chaykh Abdeslam Tounsi «il ignorait sans doute les étapes innombrables qu’il aurait à traverser et les périls de la Voie à surmonter !» Le vieux dévot accorda d’emblée une grande attention à ce néophyte; il l’initia aux pratiques du mysticisme en mettant à son service son savoir et sa science. Le prince demeura longtemps aux côtés de sidi Abdeslam. Il endura toutes les épreuves, passant d’un maqqam (station), à un autre encore plus pénible.
Il sollicitait constamment son maître spirituel pour «ouvrir la porte du pressentiment de la Vérité et l’urgence d’y parvenir – chaque fois qu’il prenait conscience de l’abîme qui l’en séparait – et de l’impuissance à en franchir le seuil par ses propres moyens, sans le secours de son guide ! Ce dernier, patiemment, lui «faisait acquérir une dimension supplémentaire, laquelle conférait profondeur et élévation aux rites – jusque-là accomplis depuis son enfance par le prince- ainsi qu’une compréhension élevée des cinq piliers de la Sagesse !» De la sorte, grâce à Sidi Abdeslam Tounsi, le savant qui «appartenait à l’élite des hommes spirituels », Abou Zakaria Yahia Ben Yuggan es-Senhadji, le roi berbère de Tlemcen, – qui n’avait jamais auparavant manifesté de penchant pour la piété et l’ascèse- finissait de se distinguer par son «aspiration spirituelle !» En gravissant, l’un après l’autre, les marches du Tasawwuf, il parvenait à découvrir que «la Voie est le passage de l’hypocrisie naturelle à la sincérité spirituelle, pour finalement atteindre le rang de la sainteté !» Dans la petite mosquée er-Rahma d’el-Aubbad, il vécut sevré du patrimoine soufi sans cesse enrichi des leçons de son maître qu’il assistait, veillant à le servir dans le respect et l’affection jusqu’au jour où Dieu le rappela à Lui : Abou Mohammed Abdeslam Tounsi rejoignit, le coeur léger et l’âme sereine, sa demeure éternelle le 22 Octobre 1131. Il fut enseveli puis enterré par son disciple, sur les lieux même où il rendit son dernier souffle, dans Mesdjid er-Rahma !
«Après la mort de son chaykh, Abou Zakaria Yahia Ben Yuggan es-Senhadji se mit à voyager en dévot à travers les campagnes, écrira Y.Ibn Khaldoun !» Conformément aux voeux du Tassawwuf, «il accomplissait sa Siyaha afin de se pencher sur les secrets des hommes et du monde il possédait deux vieilles chamelles qui le nourrissaient de leur lait !»
Il arriva qu’une fois «son maître lui apparut dans un songe et lui dit : – Comment, Yahia, depuis que tu t’es éloigné de nous tu n’es point revenu visiter notre tombeau !» Il comprit que Dieu dans son immense miséricorde lui faisait comprendre, pour la première fois, qu’Il lui octroyait le pouvoir d’accéder «au secret du savoir caché», celui auquel son chaykh l’avait initié : il sut que sa fin était proche – et qu’Allah, le Très Haut Voulut qu’elle ait lieu à Tlemcen ! Il y revint et y mourut deux mois après son retour en 536 H. (1141- 1142); il fut enterré à côté du tombeau de Sidi Abdeslam Tounsi, dans ce Mesdjid er-Rahma si bien nommé, d’autant qu’ici et nulle part ailleurs, Sidi Abû Madyan Choaïb -qui connaissait les lieux pour y avoir enseigné, «riche d’intelligence mystique et couronné d’illuminations spirituelles, choisit d’y reposer de son dernier sommeil».
Ajoutons pour conclure, qu’en 1143 les Almohades assiégeaient Tlemcen. De la ville on entendait le bruit des clameurs de leur immense armée campée à Beïn-Essakhrateïn !
Rageant de voir ses concitoyens lui refuser l’entrée de la cité, le Mehdi Abdelmoumen Benali prit une partie de ses troupes pour se diriger vers Oran qu’il occupa après l’élimination du sultan Tachfin, fils et successeur de Ali Ben Youcef, ainsi que de tous les dignitaires Almoravides,
En 1145 Tlemcen fut prise d’assaut et ruinée de fond en comble ! Parmi les nombreuses personnes assassinées figuraient Ibn Sahib es-Salat et son fils – deux immenses savants et hommes de Dieu ! Ainsi, le terrible serment fait par le taleb Abdelmoumen à Ibn Toumert était tenu, au prix d’un acte que l’Histoire finira de juger !
Le quotidien du samedi 19 décembre 2009 et du dimanche 20 décembre 2009
20 décembre 2009
Histoire