Amin
Zaoui rassemble dans son roman tous les ingrédients pour une fiction
réussie. Outre une trame bien construite, Zaoui écrit la déchéance et
la dislocation.
D’abord
deux dates. Et pas n’importe lesquelles : le 5 Octobre 1988, qui a
ébranlé l’Algérie tout entière, et le 11 septembre 2001, qui a
redessiné les rapports Nord-Sud et la carte géopolitique du monde.
Donc, deux dates historiques qui enracinent ce roman dans un contexte
et dans une
histoire. Mais le début de la Chambre de la vierge impure
ressemble plus à une fable qu’à un roman engagé et de résistance.
Et
pour preuve, c’est avec une scène d’amour que s’ouvre ce roman. Une
scène d’amour entre Ailane et sa cousine Sultana, comme une sorte de
gage, qui réconforte le lecteur et lui fait croire que tout est
possible.
Mais Sultana, à l’entame du roman, sort une phrase
chargée de violence (linguistique) et poétiquement effrayante. Une
décharge électrique somme toute qui en dit long sur la violence
contenue et la soif de liberté, caractéristique de la décennie 1980. La
Chambre de la vierge impure, c’est l’histoire d’Ailane, un personnage
typé à qui on a enlevé son enfance, son adolescence, son insouciance et
sa joie de vivre.
Il se retrouve du jour au lendemain, et sans
trop savoir comment, au maquis, dans un camp d’entraînement pour
prendre part à une guerre qu’il n’a pas choisie et à un conflit qui le
dépasse. Ailane, hanté par des images saccadées et des souvenirs qui
semble appartenir à une autre ère, demeure treize ans dans ce camp, où
il rencontre la belle Laya, qui l’obsède. Personnage ambigu et
controverse, Laya ne succombe pas au charme d’Ailane —surnommé le poète
— pour la simple raison qu’elle en aime “une” autre. À cette fiction
principale se greffent d’autres histoires, d’autres récits, notamment
celui de Rokia, la tante d’Ailane, qui a fugué un beau jour,
abandonnant ainsi son mari et les siens pour partir à la recherche de
Mustapha Atatürk, en Turquie. Connue pour sa beauté, Rokia est devenue
une véritable légende urbaine dans son village. Tous les habitants du
village racontent des histoires fantasques et fantaisistes à son
propos. Rokia a une double filiation dans ce roman. Elle représente les
rêves de gloire et de conquêtes, puisqu’elle part à la recherche d’un
idéal absolu. Rokia se taille également la part de l’imaginaire
arabo-musulman puisque sa véritable histoire n’est jamais connue.
Il
y a des versions de la vérité où se chevauchent la réalité et
l’imaginaire. L’évocation de Mustapha Atatürk n’est pas fortuite
également, lorsqu’on sait que ce dernier est le fondateur de la
République turque. Et c’est lourd de sens. Outre les récits qui
s’entre-chassent, les mises en abyme, les clins d’œil et la belle
langue, Amin Zaoui écrit dans ce roman exquis sur une terre meurtrie,
frappée de plein fouet chez elle, et par les siens.
Cette terre
est comme une vierge impure ; elle a du sang sur les mains et ne peut
faire que l’accepter et continuer à aller de l’avant. Souillée et en
pleine dislocation, elle vit un chaos et une folie généralisée.
Exaltant et jouissif, la Chambre de la vierge impure est une ode à la
beauté dans sa définition la plus baudelairienne : moderne avec une
part d’éternité.
La Chambre de la vierge impure, d’Amin Zaoui, 173 pages, roman, éditions Barzakh, Algérie, novembre 2009, 500 DA
8 décembre 2009
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