Récit- « France terre d’écueils » de Aomar Mohammedi : Les illusions passagères
Un texte autobiographique au style direct. Le récit d’un rêve poursuivi contre toutes les adversités.
Les récits, même quand ils s’affichent en roman, se distinguent rarement par la recherche littéraire. Ce n’est ni leur objectif ni leur procédé. Ils consistent à transmettre une histoire, le plus directement et le plus clairement possible, à la limite comme on se confierait à un inconnu dans un train. Leur succès tient en fait à deux éléments : l’originalité du récit et la personnalité du narrateur qui doit transparaître dans le récit. On peut affirmer que Aomar Mohammedi a réussi à les réunir dans son ouvrage au titre ironique.
Pour l’originalité du récit, précisons que la trame du livre porte sur une histoire qui est celle de dizaines, voire de centaines de milliers d’Algériens, qui, poussés par des raisons diverses qui peuvent se réunir sous le générique de « la recherche d’une vie meilleure », ont éprouvé les pires désillusions en France. Et l’on sait que la dureté de la désillusion est proportionnelle à l’ampleur et la profondeur des illusions. Aomar Mohammedi raconte donc à priori quelque chose de commun. Mais, et c’est là que réside véritablement la performance d’un récit, il réussit à nous montrer la singularité de son parcours. Il ramène ainsi une situation collective à un itinéraire individuel et, du coup, il permet d’éclairer le premier et de lui donner un visage et une personnalité et de nous attacher à eux. Un jeune homme, nanti de son baccalauréat, réussit à s’inscrire dans une université à Toulouse. Issu d’une famille paysanne de M’chedellah, au pied du flanc sud du Djurdjura et à l’entrée de la vallée de la Soummam, il découvrira pour la première fois Alger en se rendant en France !
Arrivé sur les lieux, avec la petite somme que son père lui a remis, son rêve est tout de suite contrecarré. Sa préinscription n’est pas confirmée et il se retrouve livré à lui-même, complètement perdu et doublement étranger, d’abord au monde urbain dont il ignore tout et ensuite à la société française qu’il ne connaît que par ses lectures, le cinéma, la télévision et… ses illusions. Mais les rêves ont la peau dure. Il décide donc de s’y accrocher, acceptant les pires difficultés, jusqu’à celle d’une vie de SDF, de plus sans papiers, jouant à cache-cache avec la police. En fait, en plus de s’accrocher à son rêve, il craint plus que tout le retour au pays, dans le déshonneur de l’échec. Il vit d’expédients, flirte avec la faim et le froid, accepte les plus petits boulots, bref s’enracine comme une pousse de figuier sur une muraille hostile.
Pour s’armer de force, sans doute animé de l’esprit des samouraïs, il réussit à s’inscrire dans une salle de karaté où il rencontre l’amour sous les traits de Christelle, issue d’une famille de pieds-noirs. Les deux tourtereaux, ignorant les dures lois des migrations, batifolent comme tous les jeunes couples, imaginant, ainsi que le raconte Brassens dans sa fameuse chanson Les bancs publics, le papier peint de leur chambre à coucher. Mais des bancs aux bans, le chemin est long. Aomar raconte alors ce qui sera sa plus grande douleur quand on lui interdira d’épouser sa dulcinée.
Pire, les gendarmes lui mettent la main dessus et le jettent dans un avion à l’aéroport de Blagnac. Retour à l’envoyeur. Il réussira pourtant à « remonter », à retrouver Christelle, à l’épouser et construire une famille avec elle. Il étudie les langues puis se forme aux métiers du tourisme. Aujourd’hui, il dirige une agence de tourisme. Ce livre qu’il a entamé en 2005, à l’âge de 35 ans, résonne comme une vengeance apaisée sur le destin et sur l’hypocrisie d’un discours sur une France, terre d’accueil. Tout le style de ce livre se résume dans le ton direct et la sincérité de son auteur et la valeur d’un témoignage qui évolue entre la parole humaine et le constat sociologique.
Aomar Mohammedi. France, terre d’écueils . Editions Livre d’Esprit. 2009.
El Watan du 06-12-2009
Par
6 décembre 2009
LITTERATURE