De la forge à l’écriture
« Demanderait-on à un boulanger de planter des roses plutôt que de faire du pain ? », s’était interrogé l’écrivain syrien, Zakaria Tamer, en recevant, tout récemment, au Caire, le Prix de la nouvelle pour l’ensemble de son œuvre.
En effet, tous les écrivains ne sont pas Hemingway, Faulkner et autres qui excellent, à la fois, dans le roman et l’art de la nouvelle. Du haut de ses quatre-vingt ans, Zakaria Tamer, continue de gratifier d’une touche d’humour le paysage littéraire du monde arabe. « Je n’écris pas de roman, avait il dit encore, mais il ne s’agit point de ma part d’une position hostile à l’égard des autres genres littéraires. La nouvelle, tout simplement, constitue pour moi une forme artistique à même d’exprimer ce que je veux ». Cet ancien forgeron qui a décidé, un jour, de faire ses adieux à son vieux métier, pour entrer dans une autre forge, autrement plus variée et plus riche, celle de l’écriture, et de la nouvelle en particulier, est considéré aujourd’hui comme le plus grand nouvelliste du monde arabe Depuis son premier recueil de nouvelles, Le hennissement du cheval blanc qui fit date dès sa publication en 1960, en passant par Le tonnerre et jusqu’à Les incendies de Damas, Zakaria Tamer a pris un chemin à part, faisant de la narration et de l’humour un mariage littéraire heureux. La situation sociopolitique du monde arabe, et tout particulièrement celle de la Syrie, n’échappe pas à son regard d’aigle qui peut observer sa proie à plusieurs centaines de mètres d’altitude. Toutefois, son regard reste doux dans la mesure où la violence sociopolitique qui règne dans le monde arabe l’incite à faire un passage obligé par un certain humour noir à la limite de la drôlerie.
Zakaria Tamer n’éprouve pas le besoin d’avoir le souffle long pour dire ce qu’il a sur le cœur. Si la nouvelle se montre parfois récalcitrante, il préfère lui substituer le « billet », genre dans lequel il excelle également tant il s’apparente, à ses yeux, aux différentes formes narratives. Depuis Londres, son nouveau lieu de résidence depuis les années quatre-vingt, il multiplie ses petits textes, incisifs certes, mais, tout de cocasserie, qui peuvent enjamber les frontières hautement surveillées et qui font le bonheur de ses lecteurs et, bien sûr, de ceux qui n’ont pas l’occasion de s’attaquer directement aux régimes dictatoriaux dans le monde arabe. A ses adversaires qui s’évertuent à dire que la nouvelle, en tant que genre littéraire, est appelée à disparaître, Zakaria Tamer se plaît à rétorquer qu’il ne s’agit là que de propos mercantilistes tenus par certains éditeurs. « La nouvelle, affirme t-il encore, n’est pas une mode qui ne durerait qu’une saison, donc, elle ne pourrait en aucun cas se substituer à une autre forme littéraire ». De fait, cet art qui se caractérise par sa brièveté a toujours existé sous une forme ou une autre. Son statut, elle le doit surtout à la narration, phénomène qui existe chez tous les peuples de la terre, et donc dans toutes les littératures, avec quelques différences imposées par l’évolution des sociétés. Depuis l’époque de Mahmoud Taymûr (1894-1973), en passant par Youssef Idriss (1927-1991) et autres, la technique du nouvelliste consiste à introduire des éléments nouveaux de son propre crû sans toutefois toucher à l’ossature générale. C’est du reste ce que Zakaria Tamer a réussi à faire durant plus de cinquante ans d’exercice de son art.
El Watan
Par
6 décembre 2009
LITTERATURE