par Kamel Daoud
Un constat: là où le régime égyptien a cédé et cède encore à l’hystérie, le régime algérien a opté, dès les premières pierres et les premières insultes, pour ce fameux silence officiel, habile mais légèrement incompréhensible. Contrairement à son habitude depuis Sant’Egidio, le régime algérien n’a pas crié au complot, n’a pas parlé de « main étrangère » alors que l’Egypte est techniquement une main étrangère, l’ENTV n’a pas été mobilisée, ni les anciens moudjahidine,
ni les fils des chahids, ni l’Alliance présidentielle, ni les « personnalités » de service. Rien de tout cela alors que l’on insultait ce peuple de la tête, au nouveau-né, du martyr au chômeur, du drapeau au tee-shirt. Bien sûr, il y a eu des explications à pourcentages de vérité variables. On a parlé de diplomatie d’hygiène, de « tête froide », d’intérêts stratégiques, de fraternité arabe à sauver et à préserver, de guerres invisibles, etc.
Dans le casting, plus le régime égyptien et ses médias organiques avaient mauvais rôle, plus le régime algérien en avait de beau, inversement proportionnel. Plus le régime égyptien insultait, plus on se révélait magnanime, souverain, noble et propre. Est-ce tout ? Oui, pour les deux premières semaines, ces explications étaient les meilleures et les plus valables. Il restait à attirer les ampoules sur une autre explication, plus souterraine: celle des affinités exclusives les unes des autres. Explication: rien ne ressemble plus au régime égyptien que… le régime algérien, justement. S’il y a eu silence au sommet, malgré des petites colères de scène, c’est parce que le régime algérien comprend profondément pourquoi le régime égyptien « fait ça ». Il sait qu’il s’agit d’une nécessité de survie interne. D’une obligation de manipulation des foules pour qu’elles cassent de l’air et pas des vitres. S’il avait été le perdant du match, le régime algérien aurait fait la même chose, mais autrement, en ne ciblant peut-être pas l’Egypte, mais un autre ennemi préfabriqué, en organisant un référendum, en changeant un gouvernement ou en accusant le premier qui passe dans son champ.
La seconde raison de ce silence dit diplomatique est celle de l’intérêt: un régime comme le nôtre a plus à partager avec un régime égyptien (ou un autre de la même sphère) qu’avec son propre peuple. Si ce peuple devient autonome, démontre sa vitalité, se solidarise avec lui-même, revendique sa dignité, il ne devient pas dangereux pour l’Egypte (même en cassant quelques agences et quelques murs d’entreprises mixtes) mais pour son propre régime. Si ce dernier suit la tendance de son peuple revenu à la vie, il précipitera le changement, donc sa propre chute, donc la rupture, donc l’alternative. Dans ce cas, un bon régime non démocratique comprend intuitivement qu’il ne faut pas alimenter la renaissance du peuple, ni l’encourager à faire l’histoire, ni à reprendre la rue, l’autonomie et les espaces publics et les chants collectifs. L’Egypte qui insulte est moins dangereuse qu’un peuple local qui se réveille.
La troisième raison, est celle de l’Alliance idéologique: en participant officiellement à la rupture des liens avec l’Egypte, le régime local aurait scié la branche sur laquelle il est assis. Celle de l’alliance entre arabité, conservatisme et religion d’Etat. Même si l’Egypte n’est rien depuis longtemps, elle reste la capitale de l’artifice idéologique et de discours qui se maintient dans la plupart des pays arabes. S’il avait encouragé les Algériens dans leur «réponse» aux tambours du régime égyptien, le pouvoir en Algérie aurait encouragé l’émergence d’une algérianité (langue, identité et sentiment collectif) qui aurait abouti à sa chute, son procès et son licenciement. Beaucoup de gens dans le pouvoir, sur la large palette qui va des religieux aux nationalistes, vivent de cette matrice «égyptienne» de l’arabité et vont se retrouver au chômage puis comptables de décennies de gabegie, de suivisme, de dénégation identitaire. Comme les islamistes, plongés dans la gêne depuis le match, le régime aurait à choisir entre être algérien ou assurer les seconds rôles dans un moussalssel égyptien. Vous l’aurez compris: le silence et la prudence du pouvoir en Algérie, depuis cette crise, auraient été celui de la survie instinctive et de l’intuition profonde sur les risques et les gains possible. C’est pourquoi il ne va rien se passer de «révolutionnaire» après le 18 novembre. Rien. Nous avons été des millions mais nous ne pesons pas encore sur la «Décision».
5 décembre 2009
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