Cultures – Article paru le 29 octobre 2009
hommage littérature
Kateb Yacine L’indiscipline du poète
Le rôle de la conscience politique dans la construction de l’homme et du poète par Benamar Médiene.
Benamar Mediene est professeur d’histoire de l’art, écrivain, ami du dramaturge. Il lui a consacré une biographie, Kateb Yacine, le cœur entre les dents.
Où réside la singularité de l’écriture et du théâtre de Kateb Yacine ?
Benamar Mediene. L’écriture de Kateb est complètement décentrée des systèmes narratifs dominant au début des années 1950. Ce qui frappe, c’est sa capacité à soulever littéralement la langue, à l’arracher à ses structures académiques et romanesques pour la constituer en boulets de phrases et de mots qui désarçonnent le lecteur. Il a commencé à écrire vers dix-sept, dix-huit ans, sans être allé au lycée. Cette avalanche poétique, dans la tête d’un jeune collégien, doit beaucoup à son parcours personnel. Issu d’une famille de lettrés, il entretenait une étroite relation avec son grand-père, magistrat de droit musulman, poète, grand nostalgique de Cordoue et de l’âge d’or andalous.
Quel rôle jouent la rencontre avec celle qui deviendra Nedjma, puis le soulèvement et les massacres du 8 mai 1945 ?
Benamar Mediene. Ce sont des événements fondateurs. La rencontre avec cette cousine, qui deviendra, dans son œuvre, Nedjma, est un séisme amoureux, au parfum vénéneux d’adultère. Elle a vingt-six ans, il en a seize, ils deviennent amants. Tous les éléments de la tragédie sont réunis. Il y a aussi du Rimbaud dans cet amour, dans ce dépassement des interdits, dans cet accès au trouble du corps et de l’esprit. Une impossible passion le calcine, lorsque prend corps une autre tragédie, historique, celle-là. Le 8mai 1945, il est dans la foule. « Le peuple est devenu visible. Je l’ai vu, il rugissait, il n’avait que sa rage et ses poings », a-t-il dit de ce soulèvement. Cette tragédie collective fut en même temps, pour lui, une tragédie intime. Son arrestation fit perdre la raison à sa mère, qui le croyait mort. Voilà dans quelles conditions s’est forgée la conscience politique de ce jeune garçon. C’est cette conscience qui nourrira une œuvre poétique, romanesque et dramatique hantée par les fantômes du 8 mai. Nedjma est une forme sublimée et jamais achevée de ce qu’il a alors vécu. Cette quête de soi, cette quête politique de liberté est rebelle à toute temporalité linéaire, elle s’inscrit en fait dans une sorte de présent continu.
Qui sont les personnages de Nedjma ?
Benamar Mediene. Ces jeunes gens dessinent un Kateb fragmenté. Au centre, Nedjma est comme une polarité insaisissable, que personne ne peut posséder, amante de l’un et de l’autre, mais jamais soumise à aucun des trois hommes. Ce sont des personnages inachevés. Nous sommes en 1945 : ces jeunes hommes, éblouis par Nedjma, tentent, sans y parvenir, de devenir des acteurs politiques. Ils incarnent ce moment où l’Algérie est « tendue comme une catapulte », selon l’expression de Kateb.
Quel militant était-il ?
Benamar Mediene. C’était un communiste individualiste, anticonformiste, attaché à deux dates fondatrices : 1789 et 1917. Ses meilleurs amis étaient des communistes. La militance a commencé pour lui à Alger républicain, où il rencontra, à la fin des années 1940, Henri Alleg, Boualem Khalfa, Mohammed Dib. Ses facéties tranchaient avec le sérieux de ces dirigeants communistes. Envoyé en reportage à La Mecque, il bifurqua vers le Soudan, d’où il envoya des articles tellement détaillés sur le pèlerinage que la rédaction n’y vit que du feu. Henri Alleg ne sut la vérité que bien longtemps après. Cette indiscipline du poète qui se fie à l’instinct, au désir d’aller ailleurs que vers le but désigné provoqua, à Alger républicain, quelques éclats de voix. L’attachement à l’idéal d’émancipation des peuples se conjuguait, chez lui, à une irréductible liberté de création. Le poète, disait-il, est « celui qui fait la révolution à l’intérieur de la révolution ».
entretien réalisé par Rosa Moussaoui
Kateb Yacine, le cœur entre les dents, de Benamar Mediene, préface de Gilles Perrault. Éditions Robert Laffont, 2006.
L’humanité
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1 novembre 2009
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