Pourquoi je boycotte le Sila
Par Mustapha Benfodil, Auteur
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Le Salon internationale du Livre d’Alger (Sila) marque sa 14ème édition. Et pour la 14ème fois, les mêmes travers reviennent, les mêmes foucades et les mêmes oukases. Ce Sila, faut-il le noter, intervient dans un contexte particulièrement préoccupant, marqué par un retour féroce de la censure, et une emprise inquiétante des services de sécurité sur les œuvres de l’esprit. En témoigne ce qui vient de se passer avec la campagne de harcèlement que subit l’écrivain Mehdi El Djazaïri, dont le roman « Poutakhine » est saisi avec brutalité.
Je déplore également les pressions et les humiliations policières infligées aux libraires qui « osent » diffuser ce roman et autres textes « polémiques » frappés d’imprimatur. Le spectre de la censure plane donc sur le Sila avant même son inauguration officielle. Une nouvelle fois, l’Algérie du DRS et de la « bouteflicaille » vient nous rappeler qu’un roman peut être plus dangereux qu’un émir repenti ou même en cavale, et que l’imagination est fortement préjudiciable à la santé mentale du régime.
Nous ne nous faisons guère d’illusions quant à la velléité de quelque réaction solidaire à l’égard des écrivains et des éditeurs proscrits, de la part de l’instance exécutive du Salon. Après treize éditions soigneusement encadrées, formatées, normalisées, il serait naïf d’attendre un meilleur emballage politico-éditorial de cette 14ème fournée. La censure va encore sévir dans l’indifférence générale comme elle le fut les saisons précédentes. Qu’on se souvienne du sort qui fut réservé à Mohamed Benchicou pour ses livres « Les gêoles d’Alger » et « Journal d’un homme libre ». Qu’on se remémore la campagne hostile déclenchée contre le roman de Boualem Sansal, « Le Village de l’Allemand », ou encore l’interdiction qui frappa « Tuez-les tous » de Salim Bachi et « O Maria » de Anouar Benmalek, pour ne citer que ces auteurs. Nous-mêmes, nous avons connu un véritable embargo éditorial pour notre livre : « Dilem Président. Biographie d’un émeutier ». Et voici venu le tour de « Poutakhine » de subir le fait du prince pour son contenu jugé outrancier par le « Comité de lecture » du ministère de l’Intérieur.
Censé être une fête de la Parole, le Sila – qui se pare cette année du slogan (pompeux) « Le Roi Livre » –, se décline comme un cirque de papier. Le roi livre reste le valet du roi. Un objet suspect. Le Salon, d’aucuns le rêvaient comme un forum ouvert sur tous les récits. Mais voilà qu’il s’enferme dans une forme obscure de pensée unique et un format de plus en plus fliqué, étriqué, jusqu’à devenir éditorialement inintéressant et moralement encombrant. Le drame est que la profession, les écrivains, la société, le vivent comme une fatalité, essentiellement pour des motifs commerciaux.
Sur le plan de l’animation, il est regrettable de constater la marginalisation systématique des jeunes, le peu d’intérêt accordé aux nouvelles voix émergentes, aux textes pas très « bankables ». Et la discrétion programmée dans laquelle se trouve confinée la production littéraire et intellectuelle de fabrication algérienne sous tous ses supports de diffusion (y compris le Net et les réseaux sociaux). Au lieu de traiter cet élan créatif par le mépris, le Sila aurait pu être justement l’occasion de faire le point sur ce qui s’écrit aujourd’hui en Algérie, en questionnant cette moisson dans un échange vif et festif avec le public plutôt que de reléguer cet échange exclusivement dans le rayon peu glorieux des « ventes-dédicaces ».
Autant de frilosités qui accentuent l’image d’un salon pour salonards.
C’est un fait : le Sila manque cruellement d’insolence. De fraîcheur. D’imagination. Toujours les mêmes thèmes et les mêmes têtes. En se gardant scrupuleusement d’inviter les voix discordantes qui pourraient faire mouche. Qui pourraient faire mal. Veiller à ne pas dépasser les lignes rouges. Ne pas dire n’importe quoi. Ne pas tendre le micro aux mots qui fâchent. Fatalement, c’est devenu un méga rendez-vous marchand que se disputent les lobbies de l’importation, les cartels du parascolaire, et les rentiers du papyrus.
Avez-vous jamais vu le Sila « ouvrir sa gueule » lors des événements de Kabylie ? Ou quand les libertés et les droits humains sont bafoués, les livres pilonnés, les Algériens molestés ? Quel sens revêt une tribune comme celle-ci quand ça ferme les yeux sur ce qui vient de se passer à Diar Echems ? Quand des dizaines de harragas sont jetés en prison simplement pour avoir risqué une évasion toute légitime de la « Prison Algérie » ? Si le Sila se passe sur Mars, qu’on nous le dise. Si c’est bien le Salon international du livre « d’ALGER », alors, qu’il assume ce qu’il y a autour : Diar Echems, Diar El Mahçoul, Diar El Kef…
Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il est temps d’en découdre une bonne fois pour toutes avec un événement qui donne une image si terne et si « langue de bois » de la littérature, et qui se trompe si lourdement sur la place du livre et des écrivains dans la société.
Forcément, une idée pour un salon « off » chemine. Ce serait le salon des « refusés ». Le salon des « censurés » et des « sans-voix-au-chapiteau ». Nous le rêvons plus audacieux. Plus joyeux, plus ouvert, plus impliqué sur le front des libertés. En tout cas nettement plus fou, décoincé, moins guindé, moins langue de bois…
Et, surtout : éditorialement souverain !
En attendant, je lance un appel pour marquer notre solidarité avec les écrivains, éditeurs, libraires, et autres gens du livre qui subissent dans leur chair toutes les formes de persécution. Et pour dire notre inquiétude face à cet « horizon funèbre » que nous dessinent les administrateurs de nos esprits. Qu’on envahisse en force les travées du Sila pour exprimer notre indignation en lisant bruyamment tous les livres maudits, de « Bouteflika une imposture algérienne » à « Soufisme, l’héritage commun ». La voix insoumise de Kateb Yacine nous accompagnera dignement dans cette mutinerie pour dire basta à un salon ballotté entre le silence et le profit.
27/10/2009 | 12:27 | réactions 92
29 octobre 2009
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