Kateb Yacine, 20 ans aprèsEngagement, rébellion et idéal esthétique
La critique littéraire classique se basant sur le parallèle entre la biographie de l’auteur et son œuvre ne suffira sans doute jamais à épuiser le sujet katébien. Et c’est pourquoi une autre fenêtre lui est ouverte du côté de la critique moderne associant linguistique, mythologie et psychanalyse. Écriture circulaire, hélicoïdale, à la Faulkner,…Moult lectures et interprétations ont été initiées. Mais, ce qui, sur le plan de l’esthétique d’écriture, pourra intéresser et subjuguer le lecteur, ce sont ces images et ces signes que Kateb Yacine met au contact de notre sensibilité comme un flot qui réveille et aiguise nos sens. Il est vrai que son parcours le rapprochera des tréteaux et lui fera abandonner l’acte d’écriture au sens traditionnel. De cette façon –dans l’action théâtrale-, il jugeait qu’il se rapprochait mieux de son peuple.
n Par Amar Naït Messaoud
Après avoir fréquenté l’école coranique, K. Yacine entre à l’école française en 1936. Il suit son père dans ses différentes mutations. En 1945, il était en classe de 3e au lycée de Sétif. Il participera aux manifestations du 8 mai et sera arrêté. Sa mère, le croyant tué, sera atteinte de folie et sera internée pendant de longues années.
Expulsé du lycée à l’âge de 16 ans, il part pour Annaba, puis Constantine ‘’avec un grand chagrin au cœur ‘’ à cause de Nedjma, une cousine aimée. Il fait paraître un recueil de poèmes intitulé “Soliloques’’ à l’imprimerie du ‘’Réveil Bônois’’. C’est son ‘’père spirituel’’, Si Mohamed Tahar Ben Lounici qui se chargera de la diffusion de l’ouvrage.
Les librairies de l’époque n’ont pas voulu l’exposer. Chantal Allaf écrivait à propos de la réédition de ce recueil par Bouchene(1991), qui était resté introuvable : “L’éditeur Carvalon était en faillite quand il rencontra ce jeune homme épris de justice, fou de poésie, au comptoir d’un café, qui lui confia ses projets d’écriture”.
Carvalon, peut-être pour faire un dernier pied de nez à l’administration qui l’avait acculé à la faillite, entreprit d’éditer ce jeune poète inconnu. Il lui restait un stock de papier et il imprima “Soliloques” en 100 exemplaires.
Quel panache M. Carvalon et pour votre dernier coup ce fut un coup de maître. ”(Hébdo Libéré- janvier 1992). A leur lecture, on est frappé par la maturité et le talent qui soutiennent ces poèmes d’un adolescent de 16 ans. Révolte, amour, humanisme.
En un mot, Soliloques, ce n’est pas encore Nedjma mais son acte de naissance’’ écrit Kateb Yacine dans son introduction en mars 1988. Poésie en vers libres, on peut la rapprocher des compositions de Pablo Neruda ou de Jacques Prévert.
“Pauvres d’un pays de soleil’’
Mais, le style katebien est déjà là, spécifique, ayant son âme et sa personnalité :
“ Il est des jeunes bras
Qui sont morts tendus
Vers une mer…(…)
Et ces morts qui ont bâti pour d’autres…
Et ceux qui sont partis en chantant
Pour dormir dans la boue anonyme de l’oubli.
Et ceux qui meurent toujours
Dans la gaucherie des godillots
Et des habits trop grands pour des enfants(…)
Mais les morts les plus à plaindre,
Ceux que mon cœur veut consoler,
Ceux sont les pauvres d’un pays de soleil,
Ce sont les champions d’une cause étrangère,
Ceux qui sont morts pour les autres
ET POUR RIEN ! ” (in ‘’Soliloques’’)
Au-delà des thématiques consacrées de la révolte et de l’amour, les images et les tableaux poétiques des ‘’Soliloques’’ sont des figures très émouvantes soutenues par des mots on ne peut plus éloquents, pleins de musique discrète et de fragrance hallucinante.
“En des mondes par moi seul parcourus
Glissent des mirages sans nom(…)
J’aime et suis pendu
A des arbres de folie(…)
Enfin, ivre
D’un vin de pensées mortes,
J’ai cuvé ma folie. ”
Prison, poésie et pensée révolutionnaire
Le soulèvement du 8 mai 1945 était vraiment déterminant dans la formation et la personnalité future de notre écrivain. Dans une description de cette journée, il écrit : “Il était à peu prés dix heures du matin. Tout à coup, j’ai vu arriver au centre de la ville un immense cortège. C’était mardi, jour de marché ; il y avait beaucoup de monde, et même des paysans qui défilaient avec leurs vaches…A la tête du cortège des scouts et des camarades du collège qui m’ont fait signe et je les ai rejoints sans savoir ce que je faisais.”
Immédiatement, ce fut la fusillade suivie d’une cohue extraordinaire, la foule refluant et cherchant le salut dans la fuite. Une petite fille fut écrasée dans la panique. Ne sachant où aller, je suis entré chez un libraire : je l’ai trouvé gisant dans une mare de sang. Un ami de mon père qui passait par- là me fit entrer dans un hôtel plein d’officiers qui déversaient des flots de propos racistes.
Il y avait là mon professeur de dessin, une vieille demoiselle assez gentille, mais comme je chahutais dans sa classe, ayant parlé une fois de faire la révolution comme les Français en 1789, elle me cria : “ Et bien, Kateb, la voilà votre révolution ; alors, vous êtes content ? ”.
J’ai filé sans répondre. Il y avait partout des soldats en position de tir. Plus question de retourner au collège. Mon père étant gravement malade, j’ai décidé de le rejoindre dans le village de Bougaâ, à 45km de Sétif. ”
Kateb Yacine a été arrêté le 13 mai et conduit vers la prison de la gendarmerie. “Autour de la prison, on entendait les coups de feu ; les exécutions sommaires avaient lieu en plein jour. Devant la mort, on se comprend, on se parle plus et mieux”, écrit-il. Quelques jours plus tard, il a été transféré à la prison de Sétif, puis au camp de concentration, “un immense terrain vague entouré de barbelés, où je suis resté plusieurs mois’’. A sa libération, Kateb vécut des moments difficiles sur le plan psychologique et social : père malade, mère folle, lui exclu du collège. “Je restais enfermé dans ma chambre, les fenêtres closes, plongé dans Baudelaire’’. Parti à Annaba pour changer d’air, il eut, dit-il, son deuxième choc avec l’amour de Nedjma ; huit mois de bonheur. Mais Nedjma était plus âgée et déjà mariée.
“Séculaires chants d’amour’’
En 1946, le gouverneur général Chataigneau reçoit Kateb Yacine, recommandé par l’écrivain Gabriel Audisio. Le 24 mai 1947, il donne une conférence à la salle des Sociétés Savantes, à Paris, sur ‘’Abdelkader et l’indépendance algérienne’’. Se souvenant de cette période, Kateb écrivait dans le quotidien Le Monde du 20 novembre 1970 : “Lorsque je vins à Paris pour la première fois en 1947, jeune poète algérien à la recherche d’un éditeur, j’eus pour mécène inattendu un émigré de Kabylie, homme squelettique de haute taille, à la barbe blanche en broussaille.
Il avait épousé, lui, l’exilé analphabète, une noble Française en rupture de ban qu’il appelait ‘madame Jeanne’’, avec une pointe d’humour affectueux(…)Non seulement j’avais chez eux le gîte et le couvert, mais le vieux Si Slimane(s’il est encore en vie, qu’on lui lise ces lignes)poussait la générosité jusqu’à m’offrir en plus du paquet de Gauloises, des journaux et des livres.
Ils tenaient à eux deux, lui crachant ses poumons, elle à moitié paralysée un débit de boissons, rue du Château-des-Rentiers. Ironie de ce nom de rue !Le café, à vrai dire, était une cave humide où ne venaient, dans la journée, que de rares manœuvres, des chômeurs et des invalides. Il s’animait un peu le soir, mais ne s’emplissait qu’en fin de semaine. Il devenait alors un coin de Kabylie. On parlait du pays et de l’indépendance.
Des musiciens errants nous apportaient parfois le cri de la tribu(…)Les émigrés m’apportaient les lettres reçues dans la semaine. Je les lisais pour eux et je répondais sous leur dictée.
Combien ils me brûlaient les 50 centimes si durement gagnés que ces hommes s’obstinaient à mettre dans ma poche en s’excusant de ne pas pouvoir rétribuer plus largement ma besogne de scribe ! Mais ce travail me passionnait. Je devenais leur confident, leur secrétaire de cellule. ”
En 1948, et jusqu’à la mort de son père en 1950, il est reporter à ‘’ Alger-Républicain’’. Compagnon de route du PCA (Parti communiste algérien), il voyage en Orient et ira jusqu’à Tachkent. Il fit un voyage à la Mecque d’où il revient avec un reportage. Il avait écrit de belles chroniques dans ‘’Alger-Républicain’’ comme le texte portant le titre ‘’La porteuse d’eau’’ (1959) :
“ Je ne saurais dire son nom sans trahir le secret de sa demeure. Elle en pleurerait, sachez-le, la douce habitante du plus ancien taudis de la capitale, la noble porteuse d’eau à l’aube. Détournez-vous quand elle circule ! car, elle n’a jamais pris garde à sa beauté, dans l’impasse où mon cœur ombrageux la poursuit à l’aube, quand la foule décimée gît comme une bête aux dents brisées que terrassent d’interminables couteaux(…)
Mais je veille hargneux à sa porte, enveloppé dans une cuirasse de silence, prêt à de séculaires chants d’amour. Je ne dirai pas son nom : à le prononcer, d’anciennes rancunes pourraient me clouer la gorge ; elle ignore de quel poète elle éveilla la mémoire, celle qui me surprend sur tous les sentiers sait paraître à l’infini de ma prison(…)Je ne dirai pas son nom ; je lui ferai de mes poèmes farouches un ténébreux chemin jusque vers les comètes où rayonnera plus vif qu’un brasier son regard populaire”
Après 1950, Kateb Yacine repart en France où il exercera des petits ‘’boulots’’ y compris celui d’ouvrier agricole en Camargue en compagnie de Malek Haddad. De retour à Alger, il travaillera comme docker.
En 1954, il rencontre le grand auteur dramatique allemand B. Brecht. Il apprend le métier de théâtre avec Jean Marie Serreau qui l’avait découvert à la lecture du ‘’Cadavre encerclé’’ paru dans la revue ‘’Esprit’’(1955). En 1956, parut, aux éditions du Seuil, ‘’Nedjma’’. Les auteurs de l’ ‘’Anthologie maghrébine’’ (Hachette, 1965) notent : “ Kateb Yacine est le chantre halluciné de la geste algérienne. Une passion dévastatrice jusqu’au délire domine l’œuvre : Nedjma, symbole de l’Algérie désirée et déchirée, toujours renaissant de ses agonies. La phrase y est belle et sonore, écrite pour être dite suivant les rites ancestraux. La construction reprend les procédés de la tragédie antique, amplifiant le rôle du chœur. ”
Amar Naït Messaoud
29 octobre 2009 à 10 10 43 104310
Les classiques, ironisait Oscar Wilde, sont des auteurs dont tout le monde parle mais que plus personne ne lit. Nous vous proposons de redécouvrir Pablo Neruda, ses poèmes, ses combats, son époque, sa vie. En un mot, nous voulons faire descendre Neruda de son piédestal, afin de vous le rendre plus proche, plus familier, plus vivant.
En 2004, on fêtait le centenaire de la naissance du poète avec l’activité «Neruda Centenario». Ce blog s’inscrit dans la continuité de celle-ci. Son but est de mieux faire connaître l’œuvre et la vie du poète chilien auprès du public francophone.
Promenade imaginaire, vous tombez sur une affiche, un livre ou sur le nouvel album de votre groupe favori. Nous vous invitons à faire une promenade analogue, virtuelle, à travers l’œuvre nérudienne. Alors suivez les liens avec un clic de souris…
Bonne promenade
http://pablo-neruda-france.blogspot.com/