ÉDITORIAL
KATEB YACINE, BUVEUR DE SILENCE
Il a été enterré un 1er novembre comme pour faire son ultime pied de nez à un tenant de la fetwa importé d’Egypte qui le déclara cadavre non grata, indigne de reposer dans sa propre terre. Cette terre d’Algérie,
ces montagnes, ces plaines et ces lieux-dits qu’il hanta de sa silhouette longiligne, drapé dans son éternelle canadienne fripée, quelques brouillons en poche et la besace prête à toutes les errances. Il bouleversa la texture même du roman avec son fabuleux « Nedjma » au point de gêner aux entournures les critiques littéraires enclins à commenter confortablement la littérature conforme, respectueuse des règles : Kateb Yacine n’avait aucune règle et il ne se priva pas pour le hurler sur les toits de Moscou, Paris, Hanoi, Hambourg et Alger. Alors, las de tant de colères il venait reposer son âme parmi ceux-là qui furent les siens, petites gens de Sedrata, de Guelma et de Tamagra au pied des majestueux Aurès où il aimait à taper le domino à l’ombre de l’olivier avec des compagnons qui ne connaissaient rien sur ce météore qui s’appelait Yacine, qui portait le chapeau de paille, qui faisait de la bicyclette et qui maniait redoutablement le double-six ! allez dire à ces petites gens que ce type au visage émacié et aux traits d’aède a été de toutes les révolutions et de tous les fronts littéraires, qu’il fut l’ami de Giap et de Sartre… Ils ne vous croiront pas. Yacine était des leurs, homme-peuple brandissant son poing à la gueule de tous les arrivismes. Toute l’Algérie le commémore : de Guelma qui lui érige une stèle à Sidi Bel Abbès qui l’hébergea lors de son exil dans un théâtre en passant par Alger qui lui organise un colloque. Il avait horreur des colloques et l’on parie qu’il aurait pris les jambes à son cou pour fuir les doctes analystes et tous les conférenciers. Pour aller où ? Pour aller boire le silence du côté de ces plaines nues qu’il aimait tant… Il revient cette semaine, vingt ans après son grand départ. Le chiffre est rond, c’est sans doute pour cela qu’on l’a convoqué. Que l’on déchante, il ne répondra à aucune convocation.
Par Hamid A. B.
Le Courrier d’Algérie
29 octobre 2009
Non classé