SAÏD SEDDIK KHODJA (ÉCRIVAIN)
«Ces histoires se sont déroulées dans la Soummam»
Propos recueillis par Aomar MOHELLEBI - Mercredi 28 Octobre 2009 – Page : 20
Ifri, coeur de la Soummam |
Saïd
Seddik Khodja vit à Larbâa Nath Irathen (Tizi Ouzou) où il a exercé
pendant des années en tant que correspondant de plusieurs quotidiens.
Sur conseil de ses amis, ayant décelé son style d’écriture, il a écrit
son premier livre: Deux femmes, deux destins. Le récit, authentique, a
été édité par les éditions El Amel de Tizi Ouzou. Actuellement, il est
sur un roman qui sortira en 2010. Dans cet entretien, Saïd Seddik
Khodja parle de sa passion naissante pour l’écriture.
L’Expression: Comment avez-vous vécu l’expérience de la sortie de votre premier livre?
Saïd Seddik Khodja: Permettez-moi de commencer par cette citation de Valtour qui disait: «Parler pour ne rien dire, défaut capital chez l’écrivain, est une force chez l’homme.»
Je vais donc être bref. C’est une expérience à la fois enrichissante et
heureuse même si cela n’a pas été du tout facile pour un nouvel auteur
comme moi de voir un jour le fruit de cinq années de labeur sur les
étals des librairies. En homme modeste, je dirais que l’honneur et le
mérite reviennent aux éditions El Amel de Tizi Ouzou, qui avaient pris
le risque à leurs frais de le publier. Il a fallu deux commissions de
lecture pour que l’opuscule soit enfin accepté par cette dernière, que
je remercie au passage. Et Dieu soit loué! Selon les échos qui me
parviennent, c’est un livre qui marche bien. Plus de 80% des lecteurs
sont de la gent féminine.
Quelle est la différence, entre écrire dans un journal et l’écriture littéraire?
Vous
savez, au même titre que moi, que les écrits journalistiques sont
limités exclusivement à rapporter l’information d’une manière brève, et
concise. Alors que dans un livre, on peut se permettre la narration,
c’est-à-dire relater ce qui ne peut passer dans la presse. Il m’a été
souvent «reproché» d’écrire des articles de presse tirant un peu vers la romance des faits.
Comment l’idée vous est-elle venue d’écrire un livre?
En
toute franchise, je n’ai jamais eu l’idée d’écrire un jour un livre.
J’étais plutôt orienté vers la poésie et la chanson. Certains amis
d’enfance me disaient que j’ai raté ma vocation dans le domaine.
Peut-être, ont-ils raison de porter ce jugement!? Cela remonte à 2002,
lorsqu’un certain Saci Yahia, décédé en 2004 que Dieu ait son âme, me
racontait les péripéties de la famille des Ath-Kaci dans la vallée de
la Soummam. Il me disait ceci: «Ah! si quelqu’un pouvait immortaliser ces événements, ce serait bien.»
J’avais compris qu’il faisait allusion à moi – sachant que je suis dans
la presse-. Alors, je lui ai promis de relater toutes les informations
qu’il me donnait d’une manière brute. Il a fallu créer des personnages
et inventer les dialogues pour donner le sens et la véracité des faits
aux histoires. Chose promise, chose due. Je regrette seulement que le
livre n’ait pû paraître de son vivant. C’était une véritable
bibliothèque «héritée de mon père», me disait-il. Voici l’histoire de l’idée d’écrire un livre.
Comment passe-t-on de l’intention d’écrire un livre à l’action?
Tous les écrivains et les auteurs vous répondront par ceci: «On ne peut écrire sans lire.»
Moi, je suis un passionné des grands auteurs parlant vrai, tels que
Maupassant, Balzac, Julien Green, Victor Hugo et j’en passe. «On ne
peut écrire si on n’a pas le temps de rêver. D’où viennent les livres,
en effet, sinon de ces heures de loisir pendant lesquelles on a l’air
de perdre son temps?» Julien Green- (Journal 04/09/1943).
Un autre livre s’intitulant La Petite indigène est en préparation. Pourriez-vous nous dire quand serat-il prêt?
En
effet, j’ai un autre livre en préparation, mais cette fois, c’est un
roman. Il sortira, et si tout va bien, courant 2010. Je viens de
terminer une partie qui est assez longue, où tous mes personnages sont
ficelés. Une manière de rendre, à ma façon, un hommage aux «petits» journalistes qui travaillent dans des «grands»
journaux et vice versa. Mes responsabilités professionnelles ne me
permettent pas, en plus, d’écrire tous les jours, donc je dois
travailler pour vivre, c’est une priorité absolue, car le livre, voire
tout ce qui est écriture, ne nourrit pas son homme dans notre pays.
Justement, que pensez-vous, en tant que nouvel auteur, de la littérature et de la culture en général dans notre pays?
Je
répondrais volontiers, en tant que lecteur algérien, si vous le
permettez. Le secteur de la vie culturelle nationale est encore grevé
de lourdes insuffisances et objet de doléances aussi bien de la part de
ses pourvoyeurs que de celle de ses consommateurs. Il est temps
également d’essayer de cerner avec une relative précision les
principaux problèmes qui font que la littérature est en crise, et on a
répété souvent que le livre devait être aussi nécessaire que le pain,
en dépit des diverses concurrents qui tendent à le supplanter; il ne
satisfait pas pleinement aux multiples besoins qui lui sont reconnus.
Selon vous, il y a crise de littérature dans notre pays?
Ce n’est pas moi qui le dis. «On»
dit qu’il y a une crise de littérature et qu’elle est au centre des
débats à l’heure actuelle, et toute une décennie ou plus est consacrée
à cette question. Cependant, force est de reconnaître que la situation
reste encore latente et le débat reste ouvert. On ne peut pas saisir
avec exactitude le pouvoir de la littérature, particulièrement en
Algérie, et dans quelle mesure peut-on traiter cette crise, à partir du
moment où elle est toujours vivante. Il est certain que celle-ci est
indissociable de la vie sociale, de la vie moderne, et partant, de
toute la littérature qui en découle. Dans ce contexte donc, s’il y a
crise dans la littérature algérienne moderne, elle est issue d’une
nouvelle vision de la vie et que la modernité chez nous n’a pas le même
sens qu’en Europe par exemple. Cela signifie pour une dynamique
populaire fondée sur l’authenticité et suscitant une logique dans la
critique qui tient compte des lois d’évolution sociale de notre
culture. Nous ne nous lasserions jamais de dire que la culture est née
de la liberté, de rêves…Chez l’écrivain, la réalité peut par moment,
faire preuve d’une capacité de rêves qui dépasse le réalisme par
rapport à la vie prise dans sa photographie. En somme, le pouvoir de la
littérature et de l’art est l’unique force qui engendre une révolution
authentique. On a toujours dit qu’on ne peut pas joindre l’art et
l’argent, et l’écrivain ne peut pas exercer pour l’art et le pouvoir.
La crise ou la décadence que nous constatons dans notre littérature
n’est qu’une face des données générales, cela ne peut pas dire que
l’Algérie soit morte. Une littérature authentique est née dans ce pays
malgré quelques tendances et tentatives de certaines sectes qui
s’opposent à la littérature en langue française. Des romanciers, comme
Anouar Benmalek, Rachid Boudjedra, Assia Djebar, Yasmina Khadra,
Boualem Sansal, et beaucoup d’autres encore ont fait ou font preuve
d’une vision extraordinaire, fouillant la mémoire du peuple et ses
nuits épouvantées, libérant les colères légitimes, investissant les
miracles à venir et disent l’espoir de la vie. Dans le même ordre
d’idées dans la pensée politique, sociologique ou historique, le défunt
Tahar Djaout, a révélé, une audace dépassant celle des grandes plumes
reconnues à l’échelle mondiale. Je ne terminerais pas sans ajouter
ceci: la situation qui prévaut dans notre pays fait que pour sortir, de
la réalité de la littérature, il faut vivre le silence des forces
occultes car comme disait le journaliste, écrivain, philosophe Aurélien
School (1833/1902): «Les querelles littéraires sont un signe
d’apaisement auquel il est impossible de se tromper. Les lettres sont
la phosphorescence de la société; elles n’apparaissent que dans les
temps calmes.»
Un dernier mot.
Je remercie toutes
les personnes qui m’ont apporté leur soutien, de près ou de loin, pour
concrétiser mon projet. Je ne terminerai pas sans remercier l’écrivain
Larbi Merakeb, qui m’a témoigné sa gratitude, la Maison de la culture
Mouloud-Mammeri pour m’avoir facilité la vente-dédicace en mars
dernier, ainsi que l’APC d’Azazga, la Maison de jeunes des Ouacifs, le
Centre culturel de LNI et votre journal bien sûr pour son intérêt
particulier qu’il porte à la culture en général, notamment aux nouveaux
venus dans le domaine.
28 octobre 2009
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