L’historien français Jean-Luc Einaudi : « La qualification de crime contre l’humanité est appropriée pour désigner les massacres du 17 Octobre 1961″
D.R.
Un ouvrage sur les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris
L’historien français Jean-Luc Einaudi a estimé que « la qualification de crime contre l’humanité est appropriée pour désigner les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris ».
« La qualification de crime contre l’humanité me paraît appropriée pour désigner ces événements. Les victimes de ce massacre furent désignées en fonction de leur appartenance, réelle ou supposée, à une communauté humaine définie en fonction de critères fondés sur l’apparence physique, c’est-à-dire racistes. La haine raciale fut le moteur de ce massacre », a indiqué dans un entretien à l’APS, l’auteur de « Scènes de la guerre d’Algérie en France », qui vient de paraitre. 48 années après leur déroulement, l’historien a relevé que « des zones d’ombre persistent encore même si on connaît l’essentiel sur le massacre du 17 Octobre 1961 à Paris et dans la banlieue parisienne ».
« On ignore toujours ce qu’il est advenu des corps d’un certain nombre de victimes. On sait que des Algériens ont été tués au palais des Sports de la Porte de Versailles puis au Parc des expositions. Qu’a-t-on fait de leurs corps ? Jusqu’à ce jour, on n’en retrouve pas trace dans les documents d’archives. Des sources internes à la police indiquent qu’un massacre a eu lieu, dans la nuit du 17 au 18 Octobre, à l’intérieur même de la préfecture de police. Mais on ignore le traitement réservé ensuite aux corps des victimes », a-t-il indiqué. Jean-Luc Einaudi a indiqué que « des recherches demeurent nécessaires pour tenter d’établir ce que savaient sur ce massacre les différentes instances de l’Etat français, depuis le préfet de police, Maurice Papon, qui a tout supervisé, jusqu’au président de la République, le général de Gaulle, en passant par le ministre de l’Intérieur, Roger Frey ». L’historien a estimé que « s’il est maintenant devenu impossible de nier complètement ce massacre comme cela fut le cas pendant des années, on continue néanmoins à observer des tentatives visant à perpétuer une version mensongère des événements ».
« En 2005, dans un ouvrage préfacé par deux anciens ministres de l’Intérieur, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, afin de tenter de justifier l’extrême violence de la répression policière, on pouvait lire, par exemple : Il ne faut pas oublier l’agressivité des troupes de choc du FLN, qui encadraient la manifestation », signale-t-il en précisant qu’il s’agit d’un mensonge. « Ordre avait été donné que ces manifestations soient pacifiques et elles le furent effectivement.
Le déchaînement de violence meurtrière fut le seul fait des forces de police », a souligné l’historien. L’auteur de « La Bataille de Paris » et « Octobre 1961, un massacre à Paris » a, d’autre part, relevé « l’entreprise de dissimulation de l’ampleur de ces massacres et de la mise en œuvre du mensonge d’Etat ».
« Le pouvoir politique s’opposa vigoureusement à toutes les demandes d’enquête qui furent formulées dans diverses assemblées et chercha à étouffer la voix de ceux qui recherchaient la vérité et voulaient la faire connaître », a-t-il indiqué, ajoutant que « malgré cette volonté d’étouffement de la part du pouvoir d’Etat, une part importante de la vérité fut connue aussitôt, et pourtant il n’y eut pas de réaction à la hauteur du crime qui venait d’avoir lieu ».
« La responsabilité en revient aux partis d’opposition de l’époque ainsi qu’aux grandes organisations syndicales. Seules de petites minorités réagirent puis transmirent la mémoire du massacre », a précisé Jean-Luc Einaudi. Par ailleurs, l’historien a souligné que « le rapport de la société française à son histoire coloniale a quelque peu évolué au cours des dernières années », citant pour preuve les lieux commémoratifs des évènements du 17 Octobre 1961 existant à Paris et dans différentes municipalités de gauche de la banlieue parisienne.
Il a également estimé que « le temps est largement venu d’aborder tous les aspects de l’histoire coloniale et, singulièrement, des terribles années de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962. Il ne devrait plus y avoir de tabous mais je crains que l’on soit encore loin du compte. Pour ne prendre qu’un exemple, du côté français : comment la gauche française peut-elle continuer à se revendiquer de François Mitterrand qui fut le premier ministre de la Justice qui, en 1956-57, envoya à la guillotine des combattants algériens condamnés à mort par une justice d’exception qu’il avait contribué à mettre en place ? »
Jean-Luc Einaudi a également souligné l’importance de l’accès aux archives à tous les chercheurs. Pour lui, cela ne doit pas suffire car, « pour les périodes que j’ai étudiées, j’ai constaté que ces archives sont parcellaires et qu’elles véhiculent une vision des événements qui est celle de l’Etat colonial et de ses agents ». « Les archives ne constituent qu’une source à mettre en rapport avec d’autres et doivent être examinées avec l’esprit critique indispensable », a-t-il mis en garde, tout en préconisant « la mise en œuvre d’une pédagogie appropriée pour motiver les enseignants à aborder l’histoire coloniale avec leurs élèves ».
Un ouvrage sur les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris
« Scènes de la guerre d’Algérie en France : automne 1961″ est le titre du dernier ouvrage de l’historien français Jean-Luc Einaudi qui vient de paraître aux éditions « Le cherche Midi ».
Il s’agit du troisième ouvrage que ce chercheur consacre aux massacres du 17 octobre 1961 à Paris, après « La Bataille de Paris » (1991) et « Octobre 1961. Un massacre à Paris » (2001).
Dans la préface, l’auteur explique : « Pour ce nouvel ouvrage, j’avais eu enfin accès à des archives de différentes administrations de l’Etat français et je faisais état de nouveaux témoignages »
« Pourquoi un troisième livre ? Depuis 2001, j’ai continué à recueillir des témoignages sur les évènements de l’automne 1961 et sur cette période marquée par les tragiques répercussions en France de la guerre d’Algérie. J’ai toujours accordé une grande valeur à la parole des témoins, source irremplaçable, parfois unique, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder des moments mettant en cause la responsabilité de l’Etat français et qui ont fait l’objet de la mise en œuvre du mensonge d’Etat à ses différents stades », a-t-il encore poursuivi, en soulignant que « ces témoignages sont une nouvelle contribution à la connaissance de cette période de notre histoire ». Sur une grande partie de cet ouvrage de plus de 400 pages, Jean-Luc Einaudi livre les témoignages de ces acteurs, trop souvent anonymes, qui ont vécu ces évènements terribles et qui gardent des séquelles encore vives de ce qu’ils ont enduré cette nuit du 17 octobre et durant les jours qui ont suivi.
Hommes, femmes, vieux et même des enfants ont subi la féroce répression des forces de police dirigées par Maurice Papon, déjà célèbre pour ses exactions commises sous le régime de Vichy durant l’occupation allemande ou encore à Constantine après les évènements du 20 août 1955. Les témoins racontent les conditions de leurs arrestations, de leur incarcération et toutes les tortures qu’ils ont subies.
Mohamed Hellal, âgé de 14 ans, raconte : » les crs sont descendus du camion. Ils ont présenté les armes et ils nous ont chargés. Ils ont des fusils. Ils ont tiré sur la foule (à) Je me suis sauvé. Au milieu du carrefour Villeneuve, rue de la Lune, j’ai senti que je ne pouvais pas soulever ma jambe. J’ai regardé mon pied et j’ai vu une trainée de sang. J’ai compris que j’étais blessé. Je me suis mis à quatre pattes, j’ai vu une 2CV et, par peur qu’ils m’achèvent, je me suis mis dans le caniveau, sous la 2CV. J’ai attendu que quelqu’un passe pour lui dire de me prendre ». Sauvé par un Algérien, le petit Hellal passera une quinzaine de jours à l’hôpital. Une balle lui a traversé la cuisse. « Je garde des séquelles, pas physiques mais morales. On traîne ça, je pense, jusqu’à la mort », confiera-t-il à l’auteur. Jean-Luc Einaudi a été attaqué en justice en Février 1999 pour « diffamation » par Maurice Papon, à propos d’un article sur les massacres du 17 octobre 1961, dans lequel il a souligné que ces actes « ont été commis sous les ordres du préfet Papon ». En mars 1999, au terme d’un procès qui a permis que soient entendus nombre de témoignages démontrant la matérialité des faits décris par l’historien, Maurice Papon est débouté de sa plainte. Le tribunal a accordé à Einaudi « le bénéfice de la bonne foi ». La cour de justice a reconnu également à cette occasion, que des massacres eurent lieu le 17 octobre 1961.
APS
19 octobre 2009
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