édition N° : 2247 La dépêche de Kabylie
Salem Amrane ; écrivain et membre de la Société des poètes français
»Quand le livre est malade, la société n’en sera pas épargnée »
La relation entre le livre et tout ce qu’il peut apporter à la société, tel est le thème que notre ami Salem Amrane, écrivain, a décortiqué dans cet entretien. Il évoque aussi la tentation de l’écriture, l’envie de déverser sur papier, tantôt ses envies, tantôt ses ressentiments, afin, de construire un monde livresque où tout s’épanouit et s’entrelace et s’assemble pour décrire un univers fait de bonheur et même de malheur. Le livre ce support de vie, d’expériences et d’idées nouvelles. A souligner que M. Amrane, dans son roman intitulé » Ne tirez pas sur les roses « , raconte la vie d’un journaliste durant la décennie noire où il était la cible des intégristes islamistes.
Entretien réalisé par Akli Slimani
La Dépêche de Kabylie : De la lecture à l’écriture, Salem Amrane un enseignant, un correspondant de presse, écrivain et parolier il s’intéresse à l’activité culturelle. Pourriez-vous nous résumer tous ces choix ?
Salem Amrane : Les choix dans certains cas ne sont pas toujours faits par l’auteur, mais il les subit, donc les assume. On ne choisit pas toujours ce qu’on aime. Aimer ce n’est pas toujours un choix mais un acte inné. Dans ce cas, je dirais qu’on arrose ce germe qui est en nous et on l’entretien. D’autre part, comme vous le disiez au début, la lecture stimule le lecteur et aiguise son appétit à devenir écrivain. En d’autres termes, quelqu’un qui est accroc à la lecture depuis sa tendre enfance s’identifie souvent à certains personnages favoris de ses lectures et par la suite rêve le plus souvent d’être lui-même auteur, donc créateur de personnages. Donc, la lecture régulière crée un désir d’être écrivain. En tant que correspondant de presse dans un certain temps, poète, parolier ou écrivain, l’amour d’écriture constitue la mœlle épinière, ensuite vient le devoir d’informer. Mais comme enseignant déjà, le désir d’écrire n’est pas étranger, mais plutôt indispensable pour stimuler la curiosité et l’esprit de recherche.
S’agissant de vos livres, une variété d’œuvres littéraires sont à votre actif, quels sont les thèmes fédérateurs qu’on pourrait trouver ?
Mais, puis-je parler d’eux avant leur apparition ? Car généralement ce qui n’est pas concret est fictif. Mes livres n’étant pas encore édités sont parfois mis au compte de l’illusion quand on sait que la difficulté d’accès à l’édition favorise le pessimisme. A votre question sur les thèmes, je dirais que je ne choisis les thèmes et cela bien sûr répond à mon inspiration qui décide de tout. On peut y trouver des thèmes récurrents l’amour, le social, seulement l’approche avec laquelle on aborde ce thème diffère d’un auteur à un autre, c’est ce qui fait le cachet particulier de chacun. J’ai également beaucoup abordé des thèmes comme les méfaits de la nature et sur l’homme. C’est-à-dire l’homme est la source du mal sur terre, mais aussi le monopole du paraître sur l’être, et de la force physique sur la force morale et intellectuelle. Par ailleurs, je pense qu’un poète ou un écrivain doit élargir son sens d’imagination et ne doit pas se contenter de son propre entourage, ou de faire des constats. Ce qu’on voit ou ce qu’on a déjà vécu n’est pas toujours suffisant pour un créateur. Il doit par contre créer son propre monde dans sa tête quitte à susciter des réactions pas toujours positives de la part des gens. Non ; au contraire, un écrivain doit imposer ses idées et ses pensées aux autres même au risque d’être pris pour un fou. On parle de siècle des lumières en France grâce aux écrivains, artistes et penseurs, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
Je risque de me répéter en évoquant de nouveau la suite logique de lecteur qui ne se détache pas de ses auteurs lus et de leurs personnages ayant parfois marqué à jamais. Dans la plupart des temps, il succombe à la tentation de l’écriture. D’autre part il y a, le besoin de s’exprimer, donc de s’affirmer. Une manière de dire » J’écris donc je suis « , pour paraphraser, plutôt frôler Descartes, l’auteur de la fameuse » Je pense donc je suis « . Mais, je prendrai même le risque de joindre les deux en disant : « J’écris donc je pense « , puisque Nicolas qu’on ne peut écrire si on ne on ne pense pas comme ledit Nicolas Boileau : « Avant d’écrire, apprenez à penser « . Le défi constitue une autre raison incontournable. Ceci dit, mettre à l’épreuve ses capacités intellectuelles, mais également sa vision des choses et la perspective de son sens d’imagination, sachant que tout écrivain, ne peut l’être sans l’entremise d’un minimum d’imagination. Une manière probablement de fuir le réalisme souvent invivable, mais aussi pour faire découvrir aux lecteurs, un univers loin et différent de celui de l’instant et de la réaliste, car la routine du réalisme tue ou rend aveugle.
Pourquoi le choix du roman ?
Le roman vient dans l’ordre chronologique habituel le dernier genre pour la plupart des auteur à travers le monde, car le genre peut-être le plus complexe, mais pour ce qui me concerne, il se peut que j’éditerai ce genre, le roman en l’occurrence en avant d’autres. Cependant, j’ai écrit les autres genres, à savoir la poésie, les nouvelles, le théâtre avant le roman, mais le hasard risque de faire que le roman sera le premier qui verra le jour, et ou ne sais pas encore car plusieurs projets sont dans les éditions et je ne sais pas qui sortira le premier. J’ajouterai que je n’ai jamais privilégié ce genre sur d’autres. Les balbutiements de chaque projet d’écriture que je déverse sur du papier ne donne et ne divulgue son genre que bien plus tard. En d’autres termes, beaucoup de mes projets, finis ou ceux qui sont encore au stade de chantier ne sont pas définis par le genre au début, pour ne pas dire c’est une écriture mécanique. Je laisse mûrir l’idée à fur et à mesure que j’écris jusqu’à une ce que le genre se dessine de lui seul. A peu près comme la poterie qui ne donne pas de forme tout au début …
Quel est pour vous, en général, le tout début d’un processus d’écriture romanesque ?
Pour toute écriture, quelque soit le genre, l’idée en est le préalable. Et à propos de ça, Gustave Flaubert dit » le mot ne manque pas quand on possède l’idée « . Et l’enchaînement de ces mêmes idées, donne la trame. Et parfois le genre ne se dessine pas au début. C’est l’enchaînement des idées, la complexité de la trame et la multiplication des personnages qui détermine l’orientation du genre vers le roman. Une idée qui ne peut pas ouvrir des parenthèses pour donner naissance à une multitude d’autres idées et de personnages, ne peut absolument pas déboucher sur le genre romanesque. Imaginez un roman avec seulement deux personnages du début jusqu’à la fin du roman. Il s’avèrerait terne et dépourvu d’éclat. Pour ce qui me concerne, à la première inspiration qui vient, je prends note, mais je ne décide pas de son genre; il se décide de lui par la suite. Mais cela n’est pas une science exacte, donc chacun a sa méthode et son plan de travail.
Dans un de vos romans intitulé » Ne tirez pas sur les roses « , se dessine une vie d’un journaliste algérien depuis les années du terrorisme à nos jours. Quelle est la représentation que vous en donnez ?
Avant tout, c’est une rencontre soudaine entre un journaliste et une fille à laquelle il raconte au fil des jours une histoire d’amour qu’il avait vécue dans le passé et qui n’a pas abouti. Cette rencontre est entrecoupée de plusieurs évènements sociaux, culturels, d’images quotidiennes qui peignent la misère sociale entre autres, mais également la situation d’insécurité qui y régnait et qui constituait un écueil sérieux pour les libertés individuelles et la vie tout court. Le personnage principal, étant journaliste a senti le coup en accompagnant plusieurs de ses confrères à leur dernière demeure, ce n’est pour lui qu’une question de temps et ce serait son tour. La pression qui pèse sur lui réconforte sûrement pas son activité mais ne il continue tout de même à affronter la vie et ses vicissitudes et n’a pas baissé les bras. Revenons en à la jeune fille à laquelle il raconte ses déboires sentimentales, à la fin de l’histoire, elle n’est finalement pas étrangère de son histoire.
Cette histoire vous est-elle inspirée par votre passé en tant que journaliste ou par le vécu de cette génération ?
Le lourd tribut que la corporation a payé pendant la période noire ne peut laisser de marbre, toute personne sensible et dont les valeurs humaines ne souffrent d’aucune ambiguïté. Ajoutons à cela, la difficulté quotidienne que rencontrent les journalistes dans l’exercice de leur fonction. En plus de cela, le roman dépeint une image de certains stéréotypes algériens et d’autres vices tels que la jalousie, l’égoïsme, la timidité, etc.… D’autre part, les expériences personnelles de tout écrivain à travers le monde, constituent un tant soit peu une partie de son œuvre littéraire, Donc on ne peut pas faire exception à la règle même si certains pourraient dire qu’elle n’en est pas vraiment une.
Avez-vous d’autres romans ou d’autres productions littéraires en perspective ?
En effet, la source ne risque pas de se tarir en si bon chemin, pour ne pas dire au début de parcours, du fait que les étals des librairies n’ont pas encore accueilli mes livres. Je pense que je suis vraiment gâté par l’inspiration qui me harcèle parfois dans des moments où il m’est difficile de prendre note, mais dans plupart des temps, je lui ouvre les portes de peur de rechigner définitivement.
En tant qu’écrivain, pensez-vous qu’il est difficile, voire même impossible, de vivre de ce métier ? Pourquoi ?
Peut-on dire déjà qu’il est un métier chez nous, hormis pour les auteurs de renom ? Le fait que le chemin des librairies est quasi fermé sur les auteurs.
Et je ne pousserai pas le pessimisme au point de dire que c’est de l’utopie, mais ce n’est pas demain que la littérature tout comme les arts, va nourrir son auteur. Il faudra peut-être huiler la chaîne entière, je veux dire tout le cercle qui consiste en : auteur – éditeur – libraire – lecteur – presse. Ceci dit, tout maillon défaillant de cette chaîne constitue un obstacle insurmontable pour le métier et quand le livre est malade, la société n’en sera pas épargnée.
Selon vous cette aventure ne s’arrête pas là. Y aura-t-ils d’autres projets derrière ?
Heureusement que non, puisque l’aventure comme vous le dites, ne fait que commencer. Par conséquent, on ne peut pas rompre une activité si on n’est pas réellement contrarié. C’est-à-dire, la lecture ne m’empêche pas de respirer, mais plutôt elle me permet de vivre, donc pourquoi s’arrêter avant de signer correctement son acte de naissance dans la littérature. Quant aux projets, ce n’est pas ce qui fait défaut.
Citons uniquement deux recueils de poésie, un en français et l’autre en tamazight, un recueil de nouvelles en français, un autre roman, entre autres, pour ne pas trop anticiper. J’espère qu’on aura l’occasion d’en parler au moment opportun.
Mais parfois, l’appréhension du recul de la lecture, l’inaccessibilité aux moyens de publicité, mais d’abord aux maisons éditions, influe sur le rendement et la périodicité de l’écriture et sa régularité.
A. S.
15 octobre 2009
Non classé