Ce que je retiens des « Geôles d’Alger » Par Moncef Benouniche
Décidément, Mohamed Benchicou ne résiste pas à « l’ivresse indomptable du jeteur de pavé » et il a bien raison ; non qu’il s’agisse de je ne sais quelle improbable mixture faite, à doses mesurées, de volontés informulées, de rêves indicibles, de désirs inexprimés, de projets inaboutis., de colères rentrées… et de générosité infinie à volonté ; rien de tout cela – ou peut-être un tout petit peu – mais surtout la volonté consciente, raisonnée et architecturalement aboutie de construire un monde au centre duquel de trouve l’homme. Rien que cela, me direz-vous !?
Au bout de cette logique, il y a, naturellement un combat multiple et toujours renouvelé ; celui que mène Mohamed Benchicou est remarquable d’intelligence, de courage et de détermination.
C’est lorsqu’il a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, cependant laissé en liberté contre l’avis du parquet, le 23 août 2003, que notre « jeteur de pavé » a commencé l’écriture du brulot qui lui a valu, s’ajoutant aux articles du journal qu’il dirigeait et qui toujours abordaient des sujets dont il ne faut pas parler dans la bonne société algérienne muselée par une omerta peinte en « vert mosquée », les foudres et la rancune tenace et immature du président de la République Algérienne dont on dit qu’elle doit être débarrassée de ses qualificatifs inutiles : « démocratique et populaire » .
Dans cet ouvrage, qui donne aux jets de lumière la force de transpercer la plus glauque des réalités et au lecteur qui étouffe celle de sentir un air de liberté et d’espoir dans l’atmosphère épaisse et nauséabonde jusqu’à l’écoeurement des cellules d’El Harrach (j’ai failli écrire Guantanamo), Mohamed nous décrit ce que les mots ne peuvent en rien exprimer : ce n’est ni l’enfer, ni le naufrage de l’humanité, ni l’apocalypse…mais au-delà et les mots manquent.
Même dans ce lieu situé au-delà de l’infamie, il y a des plages de solidarité et de chaleur humaines qui font que numéro d’écrou X…devient « Ami Moh » (Oncle Moh) pour des codétenus inconnus qui l’ont accompagné pour supporter l’insupportable.
Double démarche en synergie, Mohamed nous invite aussi à suivre l’itinéraire du journal « Le Matin », assassiné par le pouvoir de Bouteflika en juillet 2004 pour des questions de petits sous et l’écriture d’un ouvrage (« Bouteflika, une imposture algérienne ») qu’il a fait paraître en Algérie, dans des conditions inimaginables, très peu de temps avant que les urnes ne s’expriment, d’une façon que n’auraient même pas osée Brejnev ou Tchernenko, pour le sacre du « grand mamamouchi » pour un deuxième mandat.
Incorrigible journal qui dénonce tortures, violations de droits, rapines, corruptions, incompétences… qui se permet de briser le silence en affirmant, preuves à l’appui, des vérités qu’il ne faut pas dire…et qui va jusqu’à croire qu’ « une disparition dans l’honneur apporte plus à la cause de la liberté qu’une existence dans l’indignité »
« Bouteflika, une imposture algérienne », publié en Algérie et faisant l’objet d’une vente dédicace avec l’auteur à la maison de la presse, c’est évidemment plus que ne peut supporter un pouvoir qui a fait de la « hogra » (mépris, rejet, ignorance superbe…) la chose la mieux partagée par le peuple.
Le jeteur de pavé ne pouvait échapper à la colère de Bouteflika, de Zerhouni, son ministre de l’Intérieur et des autres et il a été condamné à deux ans de prison pour un délit de droit commun …absolument inexistant par un appareil judiciaire stupéfiant de docilité.
Mais, le temps ayant eu du temps, cela a permis à tous en Algérie et à beaucoup ailleurs, surtout dans les milieux journalistiques, de prendre la mesure de l’évidence : Ce n’est, évidemment, pas pour ce misérable délit de droit commun totalement inexistant que Mohamed Benchicou a passé deux années en enfer accompagné par la terrible maladie de Parkinson qui n’a pas été soignée mais bien pour ce qui est le nom d’une place d’Alger : la liberté de la presse.
Il est vrai que, dès le départ, cela était parfaitement connu en Algérie, ce qui, évidemment, ne provoque aucun changement d’attitude, « hogra » oblige ; mais ailleurs, c’est important pour le régime.
Pauvre Bouteflika ; il aura tout essayer pour faire que cet « entêté » de Benchicou revienne à de meilleurs sentiments ; ne lui a-t-il pas proposé d’écrire un lettre d’excuse pour organiser une sortie honorable pour tous ? Ce dernier n’a rien voulu entendre parce que Nelson Mandela était toujours près de lui pour lui rappeler qu’ « on ne peut rien contre la volonté d’un homme » ; il n’a rien voulu savoir parce que Nazim Hikmet était aussi près de lui pour lui dire que « l’important, c’est de ne pas se rendre ».
Un mot encore pour indiquer que cet ouvrage, terrible et salutaire, donne la mesure vertigineuse du système carcéral dans les pays qu’on nomme, par pudeur, émergeants quand ils sont, comme l’Algérie, riches avec un peuple pauvre et que les atteintes à la liberté ne sont en rien scandaleuses dans un régime qui se proclame liberticide ; le seul problème est que les atteintes à la liberté sont permanentes presque partout et qu’il n y a aucun régime (qui se proclame) liberticide.
Moncef BENOUNICHE
LES GEÔLES D’ALGER
Le combat du journaliste qui trempa sa plume dans la plaie
Ouvrage de Mohamed Benchicou – Inas éditions ; Alger 2007
5 octobre 2009
Non classé