LE TEMPS DE LIRE
DES POÈTES ET DE L’ÉDITION
M’hamed Aoune a 82 ans
Kaddour M´HAMSADJI - Mercredi 30 Septembre 2009 – Page : 21
Il est né le 27 septembre 1927 à Aïn Bessem, – joyeux anniversaire, poète algérien oublié!
Ayant réussi à retrouver sa trace à Médéa – du nom romain de la fabuleuse Labdia qui a donné Lemdiyya -, j’ai appelé M’hamed Aoune au téléphone. Je me l’imagine tout entouré de l’affection de sa famille et prenant le temps d’une retraite bien méritée qui l’encourage à lire et à écrire. M’hamed Aoune est ancien moudjahid et ancien journaliste à El Djeich. Il est membre de la toute première Union des Écrivains Algériens dont Mammeri était président.
J’ai encore dans l’oreille sa voix bouleversée par l’émotion, peu à peu devenant chaleureuse, pleine, vivante, c’est-à-dire comblée d’une humeur réjouie de ce qu’une autre voix la sollicite, lui parle d’amitié ancienne. Il exprime sa nostalgie émue de ce qu’il a aimé, Aïn Bessem, sa ville natale qu’il a quittée encore enfant, après le décès de son père, et spécialement Sour El Ghozlane qui l’a accueilli jusqu’à son exil en France.
Voilà un gamin de 82 ans, pour lequel l’écriture est toujours «magique»; elle a occupé sa vie entière d’homme et ne cesse de le préoccuper. De son âme fière de son pays et de son peuple, il tire la sève de ses poèmes fulgurants. De fait, il est lui-même poème depuis sa plus tendre enfance, mais parce que trop sensible, trop modeste, trop discret, son existence est tombée dans l’oubli, sinon sans l’ignorance.
Hélas! la mémoire est courte, celle des hommes, des amis, des camarades, ceux qui lui avaient serré chaleureusement la main, celle des anciens qui l’avaient lu, qui l’avaient publié, comme un service rendu, ici et là avec quand même une incroyable économie dans quelque coin perdu d’une revue, d’un journal, d’une anthologie (souvent trop impartiale), et celle de ceux qui lui avait fait tant de promesses rarement tenues!…
Et peut-être suis-je moi-même de ceux-là, mais quelle oreille de responsable avais-je dans la presse, la radio ou la télévision pour aider, présenter, recommander un poète aussi infatigable et prolixe, reconnu comme un beau poème par tout le monde, mais que seuls les initiés au charme de la poésie passionnée ont su lire et comprendre? M’hamed Aoune a pourtant côtoyé les plus grands de la littérature algérienne contemporaine, ce qui lui faisait présager un avenir radieux pour nos Belles-Lettres. Et puis, dans les premières années de l’indépendance, il y avait déjà tant de plumes brillantes, souveraines qui avaient pu faire éditer au moins une de leurs oeuvres: Flici, Toumi, Tidafi, Zérari, Farès, Djabali, Moknachi, Azzegagh, Guendouz… et tant de jeunes plumes exquises, frétillantes d’espérance devant la porte entrouverte d’une chance capricieuse et terriblement exclusive!… Et donc, à ce jour, aucune des oeuvres de M’hamed Aoune, qui s’est donné à l’Algérie de la Révolution et à une poésie révolutionnaire, n’a eu les faveurs d’une maison d’édition algérienne. Et je dois dire qu’il n’est pas le seul. Il me plaît de reproduire une biographie de «ce gamin de 82 ans» par Achour Cheurfi, in Écrivains algériens, Casbah-Éditions, Alger, 2003: «Très tôt orphelin de père, sa vie de poète va être une suite d’expériences douloureuses et enrichissantes. Le régime colonial heurte sa sensibilité d’adolescent. Il choisit son camp. [Après le certificat d’études, il étudie l’arabe à Tunis (c’est moi qui note)]. Fréquente la Zitouna. En 1951, il débarque à Paris où il travaille dur et suit parallèlement des cours de langues orientales et de journalisme qui lui serviront lorsque, après l’indépendance, il sera pendant plusieurs années journaliste à El Djeich. À partir de 1954, il se jette corps et âme dans l’action nationaliste et devient un torrent de lyrisme combattif, un chantre de la célébration des ´´Noces lumineuses´´»: l’homme et la nature, la dignité et l’histoire. En 1961, Aoune détruit ses poèmes. De rares survivances, à cet autodafé obligé par l’inquisition policière, seront réunies plus tard dans ´´Houles de liberté´´, plaquette maigre et intense et toujours inédite. La publication de son oeuvre s’est faite de manière parcellaire dans des revues. Des poèmes ont paru dans El Djeich, Le Peuple, Révolution Africaine, Affrontements (revue française de gauche, 1958), etc. Quelques-uns de ses poèmes ont figuré dans des anthologies ou ensembles Espoir et parole (Anthologie de la poésie de combat réunie par Denise Barrat), Pour l’Algérie et Éclater l’aube. M’hamed Aoune est un touche-à-tout intellectuel, un poète errant.»
De M’hamed Aoune, je donne quelques extraits de poèmes – oh! quelques vers! – qui, j’espère, éveilleront l’intérêt d’un éditeur de chez nous.
Étapes
Depuis longtemps l’âpre chevauchée des poignards
N’étaient qu’une forêt où l’esprit blasphémait
Loin du calme pourri, abandonné des souffles
Riches et odorants. Mille démons bourdonnent.
…
Mais les voici, ô semailles d’un peuple en sang
Et que hante le vol de quels matins magiques,
Les voici, clairs, au seuil de saisons qui nous veillent!
La nuit dynamitée
Cinq siècles après la coalition des soufres et des vagues
Tout ton pouvoir infini
Toutes tes vertus, les lumineuses mains d’acier
Ô mousson des peuples hardis, orages des contradictions
Que l’Algérie constelle aujourd’hui, qu’elle calme, rajeunit
Navire à l’apogée face aux fêtes ultimes des requins toujours tenaces
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30 septembre 2009
EPHEMERIDES