Né le 20 novembre 1945 à Boudouaou, à 30 kilomètres d’Alger, dans une famille de petits paysans, Rachid Mimouni obtient une licence de chimie, puis se consacre à son métier d’enseignant dans une école de commerce d’Alger. Son premier roman, Le printemps n’en sera que plus beau (1978), publié en Algérie, raconte, dans une construction élaborée, une histoire d’amour et de mort située à la veille du déclenchement de la guerre d’Algérie.
Une paix à vivre (roman paru avec quelque retard en 1983) évoque, d’une manière encore didactique, l’Algérie euphorique des lendemains de l’indépendance. Le ton change du tout au tout avec deux romans publiés directement à Paris, Le Fleuve détourné (1982) et Tombéza (1984) : l’écriture y est puissante, violente, et n’hésite pas à aller jusqu’au bout de l’atroce ; la satire s’y fait virulente pour dénoncer les nouveaux maîtres de l’Algérie qui confisquent l’indépendance à leur profit.Le héros du Fleuve détourné (le titre renvoie métaphoriquement à la déception des Algériens devant l’évolution de leur pays) est un ancien combattant de la guerre d’indépendance qu’on avait cru mort et qui revient au village. Mais il dérange par le regard critique qu’il porte sur cette société prétendue nouvelle, où la misère continue de régner, où le mensonge, la démagogie, la corruption remplacent les valeurs au nom desquelles avait été menée la lutte anticoloniale.
Tombéza va beaucoup plus loin dans l’horreur. Le personnage-titre, né du viol de sa mère et doté d’un physique monstrueux, agonise, frappé d’aphasie, sur le lit de fer d’un hôpital. Sa conscience confuse reconstitue son itinéraire coupable (Tombéza, ancien collaborateur des Français, a beaucoup manœuvré et corrompu pour s’assurer pouvoir et richesse) et livre au lecteur des éléments pour une analyse féroce de la folie politique et sociale algérienne.
Ces deux romans ont suscité à la fois l’agacement de beaucoup de lecteurs algériens, dont la fierté nationale se hérissait en lisant ces dénonciations sans complaisance, et l’incrédulité du côté européen, quand on ne voulait pas entendre la critique du “modèle” révolutionnaire algérien. Avec le recul du temps, ils apparaissent comme le sommet de l’œuvre, par la lucidité du regard, l’impertinence, la violence insolente du ton.
L’Honneur de la tribu (1989), sans doute moins incisif et moins neuf, a rencontré un large succès public, renforcé par une adaptation au cinéma. Le roman évoque l’histoire d’un village, aux lointaines origines andalouses, que l’on suit de la colonisation française jusqu’aux transformations autoritaires que lui impose un potentat local, fort de l’autorité du parti au pouvoir.
La peinture de la régression d’une Algérie prise dans le piège de la bureaucratie et de l’obscurantisme se continue dans les nouvelles de La Ceinture de l’ogresse (1990), tandis qu’Une peine à vivre (1991) tente de comprendre les mécanismes mentaux d’un dictateur déchu face au peloton d’exécution.
Les dernières œuvres se dressent contre la montée de l’intégrisme religieux, et vont du pamphlet véhément (De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, 1992), prolongé par des entretiens dans divers journaux français, jusqu’au dernier roman, La Malédiction (1993), qui s’en prend au radicalisme islamiste et à tous les “enturbannés”.
Exilé au Maroc, Rachid Mimouni avait jeté toutes ses forces dans le combat contre l’intégrisme. Infléchie à la fin dans un sens plus polémique, son œuvre s’impose par la cohérence de son cheminement et par sa force de vérité.
30 septembre 2009
EPHEMERIDES