Edition du Samedi 18 Juillet 2009
CHRONIQUE DE MUSTAPHA MOHAMMEDI
NOIR ET BLANC
Par : Mustapha Mohammedi
Il y a une soixantaine d’années, au boulevard Stalingrad à Sidi El-Houari, un paisible quinquagénaire tenait boutique.
A priori, il n’y a là rien d’extraordinaire à officier derrière un comptoir, sauf qu’il était musulman. Et c’est là toute la différence.
Parce que les indigènes qui géraient des épiceries fines à cette époque, au beau milieu des réfugiés catalans et de la bourgeoisie urbaine, se comptaient sur le bout des doigts.
Les places étaient si chères qu’une photo relique a conservé l’illustre magasin.
Jauni et fripé par le temps, ce document pris sans doute à partir d’un Kodak de la première génération montre un homme rasé de près, à la coupe presque militaire, un impeccable tablier blanc autour du corps, servir avec le sourire des clientes. Sourire, tablier blanc, on croit rêver tellement ses articles sont introuvables dans les rayonnages d’aujourd’hui. En fait, cette photo a définitivement brouillé, à mes yeux, l’image du commerçant de la “houma”, un dadais doublé d’un amateur à la sauce salsa… À l’évidence, les métiers d’hier étaient investis par des professionnels, des vrais de vrai. A l’heure où je vous parle, n’importe quel réparateur de machines à laver peut ouvrir un restaurant, n’importe quel receveur de bus, n’importe quel gérant de douche peut monter sa propre cuisine, aligner des tables et allumer des fourneaux. Et le comble, ils arrivent même à avoir pignon sur rue.
“Restaurant chez Azzedine”.
Qui êtes-vous, Monsieur Azzedine ? Un repère, un point cardinal ou une référence ? Et si c’est le cas, quelles références avez-vous en matière gastronomique, culinaire et de diplômes ? Avez-vous publié des ouvrages comme Bocuse ou comme Loiseau ?Avez-vous inventé des recettes qui ont fait le tour de la planète ?
Avez-vous tenu des conférences de presse, formé des maîtres, gagné des étoiles ? Il y a aussi une autre variante dans le même créneau.
“Alimentation générale chez Habib”.
Et chez Habib justement, les couches bébés et les serviettes Always sont entassées sur le trottoir devant les passants pendant que les cageots de lait caillent au soleil. Je mettrais ma main au feu que ni Azzedine ni Habib n’ont appris le moindre mot d’un métier qu’ils exercent au pif.
Ils n’en savent pas plus que vous et moi. C’est pourquoi il y aura toujours une différence entre l’art et la débrouille, entre “tcherek” et “bourek”.
Mustapha Mohammedi
27 septembre 2009
Contributions, M. MOHAMMEDI