par Boudaoud Mohamed
S’il est un trait qui caractérise la plupart des Algériens, c’est bien l’intolérance. Bien sûr, l’Algérien a d’autres défauts, mais c’est celui-là qui configure le mieux sa mentalité.
Qui le distingue des autres habitants de la terre. C’est que l’Algérien n’a pas de points de vue sur le monde qui l’environne, mais des Vérités Éternelles. Il est enraciné profondément dans des mots qui nourrissent toutes ses discussions, invariablement assenés comme des certitudes en acier trempé. L’Algérien ne discute pas. Il professe. De sa bouche sortent les Grandes Vérités. Vous pouvez parcourir le monde entier, vous ne rencontrerez pas sur votre chemin une seule personne aussi affirmative que l’Algérien.
En général, l’Algérien ne comprend pas qu’il puisse exister sur cette planète des gens qui ne pensent pas comme lui, qui posent sur le monde un regard autre que le sien, il s’en offusque. Il a horreur de la contradiction. De ceux qui ne sont pas d’accord avec ce qu’il déclame. Il a raison. Comment pourrait-il admettre des idées contraires à celles qui le remplissent, alors qu’il détient la Vérité ? Installé confortablement dans ses certitudes comme dans un fauteuil profond et moelleux, sûr de lui-même, avec parfois un petit sourire qui en dit très long sur ce qu’il pense de votre avis, jubilant, ému, l’Algérien proclame ses convictions avec l’assurance d’un bulldozer qui avance vers les mûrs d’une construction illicite. Ainsi, la plupart du temps, une discussion entre deux Algériens finit toujours comme elle a commencé : chacun rentre chez-lui avec les assertions qui peuplaient sa tête au départ.
Dans le lexique d’un Algérien, le mot doute n’existe pas. Car l’Algérien ne doute jamais. Il vient au monde immunisé contre les incertitudes. Et dès qu’il commence à baragouiner, la famille se mobilise et transforme sa mentalité en une armoire avec pleins de tiroirs où sont rangées soigneusement des réponses à toutes les questions qu’il pourrait contracter au cours de sa vie. C’est pourquoi, un Algérien ne s’interroge que rarement. Sinon jamais. L’événement le plus spectaculaire qui soit ne laisse pas la moindre égratignure sur sa quiétude. Rapido-presto, il l’emballe dans une réponse toute faite. Et tandis que les autres s’enferment dans les laboratoires et s’esquintent la santé à percer le mystère, lui se marre, l’élu de la providence, puisqu’il a déjà résolu l’énigme. Cet inénarrable Algérien, gâté par le destin, s’allonge et se repose pendant que les autres bossent.
Lorsque vous n’êtes pas d’accord avec un Algérien, vous êtes nécessairement en dehors du droit chemin, vous errez. Vous êtes perdu dans un monde sans repères. Ce ne sont pas des opinions personnelles que vous avez. Ce sont des germes maléfiques que vous logez. Vous lui faîtes pitié alors, et il ressent un désir impérieux de vous sauver. Généreux, comment pourrait-il accepter que vous erriez ainsi alors qu’il vit dans un monde saturé de plaques de signalisation ? Comment pourrait-il accepter que vous soyez malheureux ? C’est que l’Algérien est persuadé que celui qui ne partage pas ses croyances est inévitablement dans la détresse. Ajoutons ceci : lorsque vous tenez à votre avis, lorsque vous n’admettez pas que vous pataugez dans l’erreur, il peut devenir très méchant. Il s’emporte. Car être en désaccord avec lui, c’est porter atteinte à la Vérité. Et comme sa personne est porteuse de cette Vérité, vous éclaboussez en fait sa personne. Vous l’insultez. Pour l’Algérien, changer d’avis, c’est comme perdre son honneur.
Ce trait de caractère décrit dans les lignes qui précèdent, on peut le remarquer un peu partout. Quand des Algériens se réunissent par exemple pour discuter un problème quelconque. Si aucun chef n’assiste à la réunion, et s’ils ne chaussent pas les mêmes lunettes, c’est alors souvent une bagarre verbale qui s’ensuit. Qui parfois dégénère en bagarre tout court. En tout cas personne n’écoute l’autre. Mais chacun attend impatiemment son tour pour étaler sa science et épater la galerie.
Il ne s’agit pas d’un dialogue animé par des interlocuteurs qui se sont réunis pour s’enrichir et enrichir un débat portant sur une question qui nécessite plusieurs avis, mais d’une cacophonie faite de vérités incompatibles et exclusives. Fusant des bouches, fières et hautaines, dégoulinantes de mépris l’une pour l’autre, définitives. Quand un intervenant arrive à faire une proposition, elle n’est jamais discutée, elle est d’abord gentiment discréditée. On lui tombe dessus et on la massacre, ensuite.
Cependant, quand il y a un responsable dans les lieux, les choses changent. Dans ces circonstances, les Algériens laissent une grande partie de leurs petites vérités au vestiaire. Comme on se débarrasse de signes ostentatoires susceptibles d’attirer des ennuis. C’est que les Algériens savent que nos chefs n’apprécient pas du tout qu’on se distingue par des idées personnelles qui ne sont pas en harmonie avec les leurs. Mais il faut avouer qu’il n’y a pas que cette raison. En vérité, si les Algériens approuvent et applaudissent tout ce qui sort de la bouche sacrée d’un chef, c’est qu’ils ont des projets et des désirs secrets et souvent louches que ce dernier ne manquerait pas de saccager et de piétiner si jamais il est contredit. Ce n’est pas de la lâcheté. C’est une stratégie. Entre ses intestins et le sort de son pays, l’Algérien choisit sans la moindre hésitation ce que vous savez. Il est fasciné par les bruits mélodieux qui lui parviennent de son ventre. Ce chant de sirène qui fait des ravages chez nous. C’est pourquoi le pays est défiguré par des plans qui n’ont jamais été discutés et débattus.
C’est la même chose à l’école. Sur l’estrade trône un enseignant qui bousille le contenu des livres scolaires avec ses convictions et ses histoires personnelles. En d’autres termes, il entrecoupe ses leçons de commentaires de son cru qui les vident de l’essentiel : le questionnement et le doute constructifs. Tout ce qui est scientifique est gâté par les superstitions et les fabulations du maître qui sont administrées comme des vérités implacables. Évidemment, ils ne sont pas tous comme ça, Dieu merci. Mais les histoires que nous rapportent nos enfants de temps à autre sont angoissantes. Elles révèlent l’ambiance malsaine que produisent beaucoup d’enseignants dans les classes. Elles expliquent cette explosion de joie, farcie de cris et de grossièretés, qui s’empare des élèves à la sortie de l’école. Qui se vengent ainsi à leur manière d’une atmosphère autoritaire, ruisselante d’une morale qui entend purifier l’humanité, suspecte, passionnée, excessive, ne souffrant aucune objection ou réflexion, réduisant les enfants au silence ou à l’approbation. C’est pourquoi après avoir été à l’école pendant des années, un élève algérien aura eu rarement sinon jamais l’occasion de dire ce qu’il pense des choses et des êtres qui l’entourent. On n’attend pas de lui qu’il s’exprime. On attend de lui qu’il gobe. Il n’a pas d’avis. Il ne pense pas. On pense pour lui. Pendant toute une vie, il est condamné au silence. Ses idées sont refusées avant même d’être formulées.
En général, l’enseignant algérien est beaucoup plus préoccupé par le mal et le dévergondage qu’il voit partout. Ce ne sont pas des élèves qu’il a sous les yeux, mais un troupeau de moutons dévoyés qu’il faut placer dans le sentier pur et sanctifié qui sillonne majestueusement sa tête. Et c’est à lui que la réforme du système éducatif demande d’enseigner la tolérance et le respect de l’autre et de ses opinions.
C’est encore la même chose à la maison. La mère algérienne apprend à ses enfants que la parole des parents est sacrée. Donc indiscutable. En faisant recours au bâton quand c’est nécessaire. En Algérie, les parents ne se trompent jamais. Comme nos chefs et nos enseignants. Notre culture est pleine d’histoires effroyables qui racontent les châtiments terribles qui frappent tout enfant qui ose discuter les discours parentaux. Même quand ils commettent les pires injustices, les parents algériens ne demandent jamais pardon à l’enfant qu’ils ont lésé. Ils ont ce privilège sacré de gaffer à loisir sans essuyer la moindre remarque. Protégés par des traditions qui les auréolent.
Les dégâts de cette absence de consultation et de discussion au sein de la famille, de l’école et des institutions sont visibles partout où vous posez le pied. Les comportements infantiles qui foisonnent chez nous viennent de là. La violence aussi. Des gens affreusement susceptibles qui se froissent pour des vétilles et peuvent aller jusqu’au meurtre. Mais le scribouillard qui a pondu ces mots est un Algérien. Il est très possible donc qu’il ait tort. Peut-être que l’Algérien soit un homme très tolérant. Qu’il sait écouter les autres sans ressentir l’envie de bondir sur eux quand ils ne sont pas d’accord avec lui. Que les enseignants écoutent gentiment les avis de leurs élèves et leurs permettent de s’exprimer. Que nos chefs prêtent l’oreille attentivement aux propositions et critiques de leurs subalternes. Que nos parents discutent avec leurs enfants les projets de la famille. Qu’ils admettent qu’ils peuvent commettre des bourdes. Peut-être. Cependant, vous conviendrez que c’est difficile à croire.
Pour finir, il semble que le proverbe s’est trompé. La vérité ne sort pas de la bouche des enfants. Elle sort de la bouche des Algériens.
10 septembre 2009
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