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De l’Algérien adorateur du destin

10 septembre 2009

Religion

De l’Algérien adorateur du destin

par Boudaoud Mohamed

Ce qui est écrit sur le front, les mains ne peuvent l’effacer. Proverbe algérien.

Si on faisait l’expérience d’enregistrer les paroles prononcées par un Algérien depuis ses premiers balbutiements jusqu’à son dernier souffle, dans le vocabulaire qu’il aura employé fréquemment au cours de sa vie, figurera certainement le mot « elmektoub », le « destin ».

L’Algérien a pour ce terme un immense respect. Écoutez-le quand il le prononce : sa voix tremble et ses yeux se brouillent. C’est de l’émotion. L’Algérien adore ce mot. Il le vénère. Il aurait sûrement aimé que sa langue maternelle soit réduite à ce vocable. Ou du moins qu’elle soit composée d’une poignée de mots qui auraient les mêmes vertus et la même efficacité que celui-ci. Car si l’Algérien emploie ce terme aussi abondamment, c’est qu’il lui attribue un pouvoir illimité. Dans le lexique d’un Algérien, il n’y a qu’un mot qui pourrait prétendre à autant de puissance, à autant de respect, c’est le mot « ma », « maman ».

Tout ce qui lui arrive de bon ou de mauvais, tout ce qui arrive sur cette planète ou ailleurs dans le vaste univers, l’Algérien l’explique par le Destin. Il n’hésite pas une seconde, c’est le Destin, affirme-t-il, avec un hochement de tête lourd de sens, qui signifie en particulier qu’il refuse d’avance toute autre explication. Et s’il arrive que son interlocuteur ne soit pas d’accord avec cette manière de voir les choses (ce qui est presque impossible ici), l’Algérien, généreux, mais les oreilles fermées hermétiquement, le laissera étaler tous ses arguments, puis, aussi accroché à son point de vue qu’un responsable de chez nous à sa chaise, il répétera avec plus d’émotion que la première fois la sentence magique : « C’est le Destin. ». L’inébranlable Algérien ! Qui fait penser à un baobab.

Si le pain, la pomme de terre, et la limonade constituent l’essentiel de sa pitance, alors que d’autres veinards se remplissent le ventre de douceurs, c’est dû au Destin. S’il est tout le temps souffrant, le cerveau grillé par la fièvre, le responsable des microbes qui grouillent dans son corps, c’est le Destin. S’il rouille dans le chômage, tandis que certains gagnent un argent fou sans verser une goutte de sueur, c’est toujours le Destin. S’il étouffe lui et sa progéniture dans un taudis ou un logement-cage, et que des compatriotes à lui vivent dans des maisons qui évoquent un hôtel, c’est également le Destin. S’il gagne une misère en trimant comme un mulet. Si personne n’est venu frapper à sa porte pour demander la main de sa fille qui a complètement moisi dans l’attente. Vous avez deviné : c’est toujours l’implacable Destin qu’il invoque.

Évidemment, ça arrange certains responsables que l’Algérien colle tous ses malheurs au Destin. Et ça explique pourquoi ces responsables adorent les superstitions et les encourage en les nommant culture et identité. Ils lutteront, les malins, pour que le Destin fasse partie un jour des constantes nationales. Où trouveraient-ils une chance pareille ? Mais il ne faut pas oublier qu’un responsable algérien est avant tout et surtout un Algérien. Souvent, il ne s’agit pas d’un calcul de sa part, il est sincère, le Destin imprègne profondément sa vie. C’est pourquoi l’Algérie ne possède pas de projet de société. Ce qui est écrit, arrivera ! Pour un Algérien, s’asseoir autour d’une table et faire des plans pour l’avenir d’une ville par exemple est presque une perte de temps. Bien sûr, on se réunit tout le temps en Algérie, pendant des heures, mais sans accorder trop d’importance à la chose. Le Destin est présent dans la salle. On peut le lire dans les intonations, les paroles, les gestes et les regards. On en voit surtout les traces sur les procès-verbaux qui jaunissent dans les tiroirs. Qui ne sont jamais lus. Qui sont oubliés. Ou du moins négligés. L’Algérie est un navire piloté par le Destin.

Des humains aussi fatalistes que les Algériens, ce n’est pas la peine de vous déranger et de fatiguer votre mémoire, vous n’en trouverez nulle part. Même la littérature, qui pourtant a pour fonction principale d’inventer des histoires, n’a pas su produire un fataliste aussi parfait. Il semble qu’un certain Diderot a essayé avec un livre intitulé Jacques le fataliste, mais s’il était parmi nous aujourd’hui, il aurait sûrement déchiré son bouquin en mille morceaux.

Mais les exemples que nous avons cités plus haut pourraient faire croire que l’Algérien ne fait appel au Destin que quand il subit une quelconque injustice ou un évènement qu’il ressent comme une injustice. Non, ce n’est pas aussi simple que ça. L’Algérien ne se résume pas aussi facilement. Aucune description ne pourrait venir à bout de cet être bizarre. Voici d’autres exemples pour illustrer nos propos.

Quand un Algérien écrase un passant avec sa voiture, ce n’est pas dû à un excès de vitesse, au permis de conduire obtenu avec un pot-de-vin, ou aux trente bières qu’il a ingurgitées. Le chauffard qui était au volant, c’est le Destin. Quand il nettoie son arme, le canon dirigé sur son épouse, et qu’une balle part et traverse la poitrine de la pauvre femme, le doigt qui a appuyé sur la gâchette appartient au Destin. Quand il abandonne sur le sable d’une plage une boîte de conserve au couvercle aussi tranchant qu’un rasoir, et qu’un estivant marche dessus et récolte une blessure béante au pied, les vacances esquintées pour de bon, ce n’est pas lui qu’il faut montrer du doigt. Celui qui a tailladé la plante du pied du pauvre vacancier, c’est le Destin. Quand il laisse sans barrières une fosse qu’il vient de creuser au milieu de la chaussée, et qu’un passant se casse tous les os dedans, il n’y est pour rien. C’est encore le Destin qui a poussé le pauvre bonhomme dans le trou. Quand une Algérienne accouche tous les neufs mois jusqu’à ce que la ménopause vienne interrompre cet exploit cyclique qui a transformé la maison en pouponnière, et sa vie en enfer, ce serait une injustice de lui reprocher cette admirable fécondité. Elle n’a été qu’un simple distributeur de bébés entre les mains séductrices du Destin. Quand craignant la rumeur, elle se hâte de se débarrasser de sa fille en accordant la main de celle-ci au premier venu, et que ce dernier la lui renvoie de temps à autre tabassée et méconnaissable, ou l’enferme dans la cuisine jusqu’à ce qu’elle soit rangée dans une tombe, il ne faut pas l’accuser. C’est l’agence matrimoniale du Destin qui est à l’origine de ce malheur.

Vous voyez bien : il serait impossible de trouver une langue autre que la nôtre qui contiendrait un mot avec autant de force et de significations. On peut s’en servir dans toutes les situations. Vous n’aurez jamais une idée précise des services qu’il rend aux Algériens et de la reconnaissance révérencieuse que ces derniers nourrissent pour lui. Mot inépuisable. Mot magique. Là où il faudrait des heures de réflexion et de recherche pour expliquer un événement, dans les moments les plus gênants, l’Algérien prononce ce mot et tout rentre dans l’ordre. C’est une merveille ! La liste de ses vertus est aussi longue que celle des maladies que guérit le miel pur.

Et voici maintenant quelques conseils pour vous aider à chasser les mouches importunes qui pourraient venir zozoter autour de votre conscience et vous empêcher de déguster votre vie.

Si vous êtes un député et qu’un électeur mal élevé vous déclare qu’il a fait de vous un membre de l’APN gagnant plusieurs salaires par mois, non pas pour lever la main quand on vous le demande, mais pour parler de lui aux gouvernants, ne répondez rien à cet imbécile, ne soyez pas blessé par des idioties pareilles. C’est de la jalousie. Un jour il saura comme vous, que c’est le Destin qui a décidé de vous arracher à la vie traumatisante que vous meniez auparavant.

Si vous êtes nommé à un poste de responsabilité et qu’il vous parvient par des bouches amies qu’on répète partout que vous ne possédez pas les compétences requises, ou que c’est la main malpropre du piston qui est derrière votre nomination, laissez dire, ne vous tracassez pas, Monsieur. Les mauvaises langues sauront tôt ou tard comme vous, Monsieur, que c’est la main nette et pure du Destin qui vous a transformé en chef.

Si vous êtes un enseignant universitaire et que des envieux disent que vous percevez de l’argent pour des heures de vacation que vous ne faîtes pas, ou par l’intermédiaire d’un projet de recherche qui ne vous concerne pas, ne vous inquiétez pas, dormez tranquillement. Ils finiront, les jaloux, par se plier à l’évidence : le trésor public appartient au Destin.

Si vous êtes un patron et que des serviteurs fidèles vous rapportent qu’on raconte que vous faîtes trimer vos ouvriers plus que ne le faisaient les colons, continuez de les faire bosser comme vous l’entendez. C’est évidemment le Destin qui a divisé le monde des humains en deux : les patrons et ceux qui triment pour les patrons.

Les exemples foisonnent, mais il est temps de nous séparer. Cependant, nous voudrions ajouter quelque chose si vous le permettez. Ne croyez surtout pas que le mot « destin » n’a pas de place dans le parler des adolescents.

Que seuls les adultes en usent. Au contraire, nos enfants l’ont adopté et l’ont en quelque sorte modernisé. Par exemple, quand une jeune fille algérienne montre à ses copines la photo du beau garçon qui peuple ses rêves, elle roucoule, les yeux jetant des étincelles : c’est «mektoubi». C’est-à-dire, «mon destin». Vous voyez ! Il est partout ce mot ! Nous aurions aimé vous en parler encore, mais il était écrit que ce papier finirait sur ce roucoulement plein d’amour et de menaces.

Source : le quotidien d’oran du 30 juillet 2009

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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3 Réponses à “De l’Algérien adorateur du destin”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    Le destin désigne, au moment présent, l’histoire future d’un être humain ou d’une société telle qu’elle est prédéfinie par une instance qui est soit considérée comme supérieure aux hommes (éventuellement divine) dans les conceptions finalistes du Monde, soit comme immanente à l’univers (éventuellement la Philosophie de l’histoire ou la nature) dans les conceptions déterministes.

    Face à son destinDans ces conceptions, il est souvent considéré comme très difficile – voire impossible – à un homme ou à une société d’échapper à son destin, au moins dans ses grandes lignes. La notion de destin s’oppose ainsi à celle de libre arbitre
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Destin

    Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup

  2. Artisans de l'ombre Dit :

    Mythologie grecque et romaine
    Le Destin, ou Destinée, est une divinité aveugle, inexorable, issue de la nuit et du chaos. Toutes les autres divinités lui étaient soumises. Les cieux, la terre, la mer et les enfers étaient sous son empire : rien ne pouvait changer ce qu’il avait résolu; en un mot, le Destin était lui-même cette fatalité suivant laquelle tout arrivait dans le monde. Le plus puissant des dieux, Jupiter, ne pouvait fléchir le Destin en faveur ni des dieux, ni des hommes.

    Les lois du Destin étaient écrites de toute éternité dans un lieu où les dieux pouvaient les consulter. Ses ministres étaient les trois Parques : elles étaient chargées d’exécuter ses ordres.

    On représente Jupiter ayant sous ses pieds le globe terrestre et tenant dans ses mains l’urne qui renferme le sort des mortels. Il porte une couronne surmontée d’étoiles et un sceptre, symbole de sa souveraine puissance. Pour faire entendre qu’il ne variait pas, les anciens le figuraient par une roue que fixe une chaîne. Il y a, en haut de la roue, une grosse pierre et, en bas, deux cornes d’abondance avec des pointes de javelot.

    Dans Homère, les destinées d’Achille et d’Hector sont pesées dans la balance de Jupiter et, comme celle du dernier l’emporte, sa mort est arrêtée : Apollon lui retire l’appui qu’il lui avait accordé jusqu’alors.

    Ce sont les aveugles arrêts du Destin qui ont rendu coupables tant de mortels, malgré leur désir de rester vertueux : dans Eschyle, par exemple, Agamemnon, Clytemnestre, Jocaste, Œdipe, Étéocle, Polynice, etc., ne peuvent se soustraire à leur destinée.

    Les oracles seuls pouvaient entrevoir et révéler ici-bas ce qui était écrit au livre du Destin

    Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup

  3. Artisans de l'ombre Dit :

    En islam, la prédestination divine est un pilier de la foi, mais Allah ordonne aux musulmans de pratiquer les causes et les œuvres. Il y a donc une insistance sur la responsabilité personnelle de tous les croyants.

    Dans la religion orthodoxe, la doctrine officielle est le semi-pélagianisme, qui met beaucoup d’emphase sur les œuvres.

    Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup

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