Benjamin Stora à El Khabar
«C’est le combat anticolonial qui a fait plié
la France»
La politique du général de Gaulle en Algérie vient d’être revisité récemment par l’historien Benjamin Stora, un spécialiste du Maghreb et de la colonisation française natif de Constantine.
Dans son dernier livre « Le Mystère de Gaulle – Son choix pour l’Algérie » Stora livre au lecteur une face cachée de la décision qu’aurait prise De Gaulle en faveur de l’autodétermination de l’Algérie. Une occasion pour les lecteurs d’El Khabar de prendre connaissance de la profonde conviction de l’auteur que c’est bien la révolution armée qui a finalement chassé
la France de l’Algérie.
El Khabar : – Comment De Gaulle a-t-il réussi à entretenir le mystère autour de l’Autodétermination ? Qui était dans la confidence ?
Benjamin Stora : Il y a bien, en effet, un « mystère » dans cette proposition de l’autodétermination faite dans son discours du 16 septembre 1959. Le général de Gaulle avait arrêté sa position sur une sortie du statut quo colonial depuis plusieurs années. Je cite dans mon récent ouvrage1 les nombreuses confidences faites à des proches, de Jean Amrouche à François Mauriac, qui vont dans ce sens. Avant 1958, il n’évoque pas la nécessité du maintien de l’Algérie dans le giron de
la France, et ne prononcera qu’une fois, le slogan colonial « vive l’Algérie française », à Mostaganem en juin 58. Mais, en fin politique, il sait qu’il faut manœuvrer, qu’il va devoir affronter les Européens d’Algérie et l’armée française. D’ou ses silences, sa prudence. Quelques rares personnes étaient dans la confidence, comme Bernard Tricot ou Edmond Michelet. Pour autant, De Gaulle n’était pas pour l’indépendance, comme le réclamaient les nationalistes du FLN. Mais il tentait de mettre en place une formule préservant les intérêts français, comme celle « l’association », sur le modèle du Commonwealth britannique. Le durcissement de la guerre et les revendications algériennes ont transformé « l’autodétermination » en « indépendance ».
- « L’Algérie restera dans ses fibres aussi française que
la France est devenue gallo-romaine. » Cette prédiction attribuée au général De Gaulle semble s’inscrire en faux contre votre hypothèse selon laquelle ce dernier aurait estimé que l’Algérie, de par son islamité, restera toujours réfractaire à toute forme d’intégration avec
la France. Qu’en pensez- vous ?
De Gaulle a pu prononcer cette phrase, sur le « caractère français » de l’Algérie. Mais je cite dans mon ouvrage de nombreuses conversations privées, en particulier celles menées avec Alain Peyrrefite où il insiste, lourdement, sur l’incompatibilité entre l’Islam et la présence française. Le général de Gaulle était un homme de culture très classique, avec ses humanités latines et le caractère chrétien qu’il attribuait au nationalisme français. Il voyait le nationalisme algérien avec ces lunettes-là, celles du religieux et de la langue. En se prononçant pour l’autodétermination, il envisage une séparation au nom du de la défense du nationalisme français, et non de la reconnaissance des revendications de l’homme colonisé.
- Pourtant, l’immigration en direction de l’ancienne puissance coloniale ne cessera pas durant les premières années de l’indépendance et ce précisément sous le règne de De Gaulle. Comment expliquer, alors, qu’il n’ait pas pensé, à l’inverse, que l’Islam pouvait également être un obstacle à l’intégration des algériens en France ?
Effectivement, l’immigration algérienne vers
la France s’est poursuivie après l’indépendance, y compris pendant l’exercice du pouvoir de de Gaulle, jusqu’en 1969. Mais, à ce moment, ce qui domine dans les esprits, en France comme chez la plupart des immigrés, c’est la nécessité du « Retour » vers le pays d’origine. Personne n’envisage sérieusement une installation définitive, et donc ne réfléchit pas à la place et au rôle de l’Islam dans la société française.
- Peut-on considérer à partir de cette conviction de De Gaulle que c’est plutôt
la France qui a pris son indépendance vis à vis de l’Algérie ?
Sans le combat anticolonial livré par les nationalistes algériens, je crois que
la France serait encore restée présente en Algérie. D’autant que la découverte et l’exploitation du gaz, et du pétrole, ont aiguisé les appétits des partisans de l’Algérie française. La conquête de souveraineté était devenue un mot d’ordre très populaire parmi les Algériens, et il fallait sortir de l’immobilisme. De Gaulle a donc accompli ce pas, qui, finalement, a abouti à l’indépendance.
- On dit que l’histoire se répète. Votre affirmation sera perçue probablement en Algérie comme une évidence tant l’Islam avait déjà effacé les traces de la romanisation, du judaïsme et du christianisme. Et puis De Gaulle s’était bien fait comprendre lorsqu’il est revenu au pouvoir en 1958. Pour le peuple algérien, il n’y avait aucune équivoque possible : l’indépendance de l’Algérie était, bel et bien, en ligne de mire. Ce sont les biographes Gaullistes (ou ce qui en reste) qui pourront, peut être, vous apporter la contradiction. En avez-vous eu des échos ?
Mon livre vient juste de sortir en France (le 03 Septembre NDLR), et il y a peu d’échos. Mais je suppose, effectivement, qu’il peut y avoir des divergences de vue sur cette question.
Entretien réalisé par Mohamed-Chérif Lachichi
8 septembre 2009
Colonisation