Culture (Jeudi 03 Septembre 2009)
Souffles…
Il était une fois Sidna Ramadhan… (2)
Par : AMIN ZAOUI
Liberté
Sidna Ramadhan, jadis, nous apprenait à rêver, par la littérature, pour la littérature et dans la littérature.
Je vous raconte l’histoire étonnante et particulière d’un certain traducteur arabe, hors du commun, appelé Mustapha Lotfi Al Manfalouti (1876-1924). Défenseur des droits de la femme. Par ses écrits, il se positionne en véritable et courageux réformateur, dans la société comme dans la littérature.D’abord, ce Manfalouti fut l’un des écrivains traducteurs qui, énergiquement, ont marqué plusieurs générations de littérateurs et de lecteurs.
Ce Manfalouti ne savait ni lire ni écrire le français ! Et pourtant, toutes ses traductions étaient de la littérature française. Certes, il était passionné de la culture française. Ce sont les veillées du mois de Ramadhan qui l’ont poussé à traduire une partie de la littérature classique. Les jeûneurs cherchaient un nouveau goût narratif. Pour donner une différente saveur à la narration arabe ramadhanesque, Manfalouti avait demandé à un membre de sa famille, qui savait lire dans la langue de Molière, de lui raconter les romans français, de l’époque. Chose faite. Manfalouti prenait des notes tout en écoutant les récits de son cousin : la trame de l’histoire, les noms et les caractères des personnages, les détails des lieux, l’air de l’époque, etc. Une fois les détails, les intrigues et le message du récit deviennent clairs dans sa tête, il entame la réécriture. Ainsi, il a donné des romans traduits, qui sont devenus une sorte de best-sellers dans la littérature arabe : Paul et Virginie, de Bernardin de Saint Pierre (1787-1814), Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand (1868-1918), la Dame aux camélias, d’Alexandre Dumas fils (1793-1868), Sous les tilleuls, d’Alphonse Karr (1808-1890), Pour La Couronne, de François Coppée (1842-1908), Atala et le Dernier des Abencerages, de Chateaubriand (1768-1848).
Ces titres lui ont procuré une large notoriété chez le lectorat et une grande place dans la littérature arabe. Il est considéré et demeure, jusqu’à nos jours, comme l’un des écrivains arabes les plus visibles et les plus lus. Tous les écrivains arabes du XXe siècle, sans exception, d’une manière ou d’une autre, étaient imprégnés par la prose (nathr) de Manfalouti. Il reste aux côtés de Gibran Khalil Gibran et Ihssen Abdel Kaddous, l’écrivain traducteur qui a marqué la tradition de la lecture ramadhanesque arabe. Et il était une fois Sidna Ramadhan un mois du verbe et d’écoute.
La culture traditionnelle avec ses richesses d’oralité était présente.
Sur les places publiques, dans les marchés quotidiens ou hebdomadaires, dans les quartiers populaires, dans les ruelles des casbahs, les gawals étaient là, pour “dire”, pour le “dit”. Dans une langue arabe dialectale poétiquement chantée, le meddah, le griot contait les histoires fantastiques : Sidna Ali et Rass el Ghoul, Seif ibn Dhou Yazen, la reine Balkis et sidna Souleimane, Saladin et ses guerres, djouha le turc et djouha l’arabe… Un riche répertoire, de contes, d’épopées, de ciras, de belles histoiresd’ordre religieux, historique, humoristique ou sentimental ont bercé notre imaginaire et coloré notre vision du monde. Cette culture de l’oralité dont Sidna Ramadhan était le gardien fut l’origine de la naissance du roman arabe. Elle était aussi, et elle est toujours, la genèse du renouvellement du théâtre arabe, depuis Kabbani et Georges Abyad, passant par Bechtarzi et Allalou, jusqu’à Alloula,Tayeb Seddiji, Berrechid et Saâdallah Wannous.
Il était une fois Sidna Ramadhan !
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
3 septembre 2009
Histoire