Les mille et une histoires d’Algérie de Fellag
La tête dans les étoiles et les mains dans le cambouis, revoilà Fellag à Paris. Après avoir sillonné une bonne partie de la France depuis septembre 2008, le Chaplin algérien se pose au Théâtre du Rond-Point jusqu’à fin-février, et le public, « son » public, lui fait fête : il avait fallu patienter presque cinq ans depuis Le Dernier Chameau, son précédent spectacle. C’était long. Fellag a troqué sa chemise à pois, son petit chapeau et ses bretelles pour un costume mi-bleu de travail mi-bleu de Chine. Avec ce nouveau spectacle, Tous les Algériens sont des mécaniciens, c’est une fois de plus l’Algérie entre débâcle et débrouille dont Fellag démonte en douceur la mécanique, avec son talent de conteur, de mime-danseur.
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En avant donc pour voir ce qu’il a sous le capot, ce pays où « le moteur d’une voiture est le seul endroit où la démocratie s’exerce en toute liberté, égalité, fraternité », et où chacun doit bricoler sa vie avec les pièces détachées d’une histoire éclatée, entre colonialisme, révolution, corruption et islamisme.
SE LAVER DANS UN VERRE D’EAU
Ce qui est nouveau, c’est que Fellag n’est plus seul. Lui qui a tant tourné en dérision les relations entre les hommes et les femmes, vues comme un des grands maux de son pays, a proposé à la comédienne Marianne Epin de le rejoindre. Ils forment un couple de théâtre comme Fellag aimerait sans doute qu’il y en ait plus en Algérie : aimant et libre. Les voici donc, Salim et Shéhérazade, sur la terrasse ensoleillée de leur taudis d’un bidonville d’Alger, au milieu des grands draps blancs qui sèchent sur les cordes à linge, en un joli clin d’oeil au néoréalisme italien. Ils ont été mis à la retraite forcée, eux qui travaillaient dans un lycée, au moment où l’administration a été arabisée. Fauchés mais joyeux, les voilà à raconter mille et une histoires d’Alger, mille et une histoires où la mécanique de la vie se détraque et se répare.
Il y a d’abord celle du moteur de la voiture de M. Saïd, que l’on réussira à réparer grâce à un stylo à ressort « comme ceux qu’il y avait quand la France était encore là », en une réjouissante scène inaugurale qui permet à Fellag de convoquer moult personnages, de l’islamiste, moqué pour son ignorance, au professeur de philosophie « laïc, francophile et au chômage technique ».
Côté mécanique des fluides, les choses ne vont pas beaucoup mieux : à Alger, l’eau est distribuée au compte-gouttes, selon des tranches horaires fantaisistes. Mais là aussi règne le système D : on se lave dans un verre d’eau, plutôt que de se noyer dedans. Et puis à Alger, maintenant, il y a aussi les Chinois : » En trois-quatre ans, ils ont appris à parler l’algérien. Les Français, en 132 ans, ils n’avaient pas réussi… » Alors tous les espoirs sont permis. Car les Chinois « travaillent… eux ! ».
Fellag glisse d’une histoire à l’autre avec la légèreté de la vie qui passe, entre les familles entières entassées dans une pièce, les rêves de départ (« un sondage dit que 50 % des Algériens veulent quitter le pays. Elle était où, l’autre moitié, le jour où ils ont fait l’enquête ? »), la télévision où la chaîne unique a fait place à la mondialisation Hollywood-Bollywood.
SANS VULGARITÉ NI DÉMAGOGIE
La finesse et la drôlerie de l’écriture sont là, et le sens de l’absurde, comme dans l’histoire du vieux lion du jardin zoologique soigné en priorité à l’hôpital. Mais le rire aussi est une mécanique et, sur ce spectacle peut-être un peu moins « feu d’artifice » que les précédents, cette mécanique semble un peu moins bien huilée, entre petits trous de mémoire et baisses de rythme.
Reste l’essentiel : le charme piquant et la vivacité de Marianne Epin, qui permet à Fellag de passer au duo avec bonheur, et la qualité de ce comique sans une once de vulgarité ni de démagogie, chose rare aujourd’hui. A bientôt 60 ans, le petit Kabyle qui imitait Charlot pour les copains du bled en a peut-être un peu rabattu sur la verve à la Dario Fo. Mais c’est pour mieux renouer avec la grâce teintée de mélancolie, l’enfance des grands clowns.
Tous les Algériens sont des mécaniciens, de Fellag. Théâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin D. Roosevelt, Paris-8e. Mo Franklin-Roosevelt. Tél. : 01-44-95-98-21. Jusqu’au 28 février. Du mardi au dimanche, à 18 h 30, De 10 € à 33 €. Durée : 1 h 30. Tournée en France jusqu’en juin.
source : Le Monde
30 août 2009
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