LA PETITE BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉTÉ 2009 (II)
Apprendre à lire
05 Août 2009 – Page : 21
La plus grande difficulté, c’est d’apprendre à lire. Ce n’est pas une boutade, même pas une plaisanterie.
Les véritables enseignants, c’est-à-dire ceux qui en ont la vocation, notamment ceux des petites classes, savent qu’il est facile d’apprendre à écrire et à compter et combien difficile d’apprendre à lire aux tout petits. Plus tard, quand ils seront grands, s’ils ne sont pas habitués à lire des livres, la lecture n’est pas tout à fait de leur goût et, plus tard, à l’âge adulte, elle devient pour eux l’ennemie numéro1. Le pédagogue français Alain, bien connu de tous les enseignants a écrit: «Si j’étais directeur de l’Enseignement Primaire, je me proposerais, comme but unique, d’apprendre à lire à tous les Français. [...] Je dis lire des yeux; cela définit pour moi une époque de l’humanité, dans laquelle nous entrons à peine (Propos sur l’Éducation).» Et la plus belle référence, à laquelle beaucoup sont sensibles, se trouve dans la Sourate El ‘Alaq, «L’Adhérence» avec le célèbre Iqrâ’, Lis!
Voici quelques livres qu’on pourrait lire des yeux, en silence, loin du bruit, à l’écart des opportuns qui… ne lisent pas!
LE CAFÉ DE GIDE de Hamid Grine (Éditions Alpha, Alger, 2008, 156 pages): «« L’histoire » avec Gide a suscité un chef-d’oeuvre de littérature française. Mais rendons-nous à l’évidence, il n’y a rien de glorieux pour nous, ni hier ni aujourd’hui.
Quant au roman Le Café de Gide de Hamid Grine, il commence sur un coup de téléphone de Omar, enseignant à Biskra, à son ancien camarade de classe, Azzouz, depuis longtemps venu continuer ses études à Alger, maintenant, selon lui, urbaniste blasé et surtout heureux écrivain à succès. Omar lui apprend qu’il est tombé sur un «document concernant Gide» laissé par son père Aïssa, «décédé il y a environ une quarantaine d’années» et qui avait bien connu, à Biskra, l’auteur de L’Immoraliste. Des souvenirs d’enfance s’éveillent dans la mémoire d’Azzouz; il admire toujours les oeuvres du Prix Nobel; il se rappelle avec quelle fièvre il a visité les lieux sur lesquels a vécu son «idole». Biskra aura donc enfanté un des plus grands écrivains du xxe siècle!
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE (TOME 1) Chroniques d’une tragédie annoncée de Afroun Mahrez (Éditions Houma, Alger, 2007, 558 pages): Qu’elle vienne de l’étranger – où, dit-on, il y a de sérieux spécialistes de l’histoire de l’Algérie et, plus fort encore, d’éminents laborantins sortis de quelque petite Sorbonne se faisant analystes de la Révolution algérienne – ou que cette publication se fabrique chez nous, le problème demeure le même. À défaut de sincérité, de passion de dire la vérité, l’Algérie, pour beaucoup, reste au fond de son lit de malade sur lequel certains historiens l’ont clouée. Mais rien n’empêche qu’un Algérien, fou amoureux de son pays, tout comme Afroun Mahrez dans son livre Mémoires d’outre-tombe (*), comprenne parfaitement son droit d’exprimer son sentiment. Afroun déclare: «Ni historien, ni écrivain, auteur de circonstances, je suis venu à l’écriture parce que j’ai mal quand l’Algérie est malade, par la nécessité aussi de l’histoire et par la bêtise et la cupidité humaines.»
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE (Tome 2) Discours sur la société de Afroun Mahrez (Éditions-Houma, Alger, 2008, 602 pages): «Afroun Mahrez consacre quatorze chapitres à son essai de démonstration sur « l’état d’esprit des Algériens et les questionnements sur leurs contradictions, sur leurs problèmes et sur les problèmes de ce monde, auxquels ils n’ont pas de réponses ». Évidemment, à vaste étude, exigeante analyse, par la recherche de documents solides, parlant sans détour ni retenue.»
LA SINGERIE DE SIDI FREDJ de Assia Sadoun Chaib-Draa (Éditions Alpha, Alger, 2008, 170 pages): «Dans les cages réservées jadis aux singes capturés dans les massifs des alentours de la forêt de Sidi Fredj, en 1957, les paras de Bigeard torturent des Algériens. [...] Le livre La Singerie de Sidi Fredj de Assia Sadoun Chaib-Draa dégage un charme émouvant par sa sincérité, la clarté de son écriture et l’humilité de l’auteur: « J’avais envie, confie-t-elle, que tous les enfants sachent à travers le langage d’une gamine ce que fut la guerre de libération. Je n’ai pas fait de la recherche de mots savants. J’use parfois de langage d’enfant. » Bravo, Madame Assia Sadoun Chaib-Draa, avec cette première oeuvre et en pédagogue avisée – puisque vous avez été professeur d’espagnol -, vous apportez de la fraîcheur à notre jeune littérature, tout en éloignant de nous, nous lecteurs sobres et quand même avertis, le vocabulaire aride du dictionnaire et incontestablement la phrase amphigourique dont se piquent quelques esprits prétentieux.»
L’ALGÉRIE COLONIALE PAR LES TEXTES (1830-1962) de Chikh Bouamrane – Djidjelli Mohamed (Éditions ANEP, Alger, 2009, 360 pages): «De cet algérien réduit à merci, il n’y avait plus grand-chose à connaître, donc chacun pouvait tout en dire. Inutile d’approfondir.» C’était ce que pouvaient écrire «en toute conscience» les anthropologues français Lucas et Vatin dans leur ouvrage L’Algérie des anthropologues réédité chez Maspéro, Paris, en 1975. Et l’idée de Chikh Bouamrane et Mohammed Djidjelli, de rassembler un grand nombre de textes extraits d’oeuvres connues, peu connues ou méconnues, afin de les présenter «à tous ceux qui s’intéressent à la période coloniale de notre histoire» mérite de retenir largement notre attention. En effet, [...] ces deux éminents pédagogues nous livrent, avec perspicacité, des lectures impeccablement empruntées et pesées, chacune précédée d’un court et utile commentaire qui porte sur la manière de nous en servir; des notes en bas de page apportent des clarifications attendues. Par ainsi, Cheikh Bouamrane et Djidjelli ne manquent pas de nous rappeler la subtile réflexion de Henry de Montherlant prêtée à son personnage Alvaro dans Le Maître de Santiago (1947), disant: «Les colonies sont faites pour être perdues. Elles naissent avec la croix de mort sur le front.
Kaddour M´HAMSADJI
26 août 2009
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