La langue est, par définition, un moyen de communication. La langue de l’autre est source de débat et sujet de discorde. Dans l’essai Tu ne parleras pas ma langue, de 168 pages, Abdelfattah Kilito se réfère à la littérature arabe et démarre du postulat que la langue est avant tout problématique.
Tu ne parleras pas ma langue est un essai écrit en arabe par l’universitaire marocain Abdelfattah Kilito et traduit par Francis Gouin. Paru aux éditions Média-Plus, l’essai pose la problématique du bilinguisme et du biplurilinguisme, et tout ce
que ces deux notions impliquent et renferment comme considérations, sur le plan aussi bien individuel que social.
En effet, parler la langue de l’autre s’étale sur un continuum ; elle va de la connaissance minimale à la connaissance parfaite. Dans une perspective extralinguistique, et c’est là que s’inscrit le propos de l’essayiste, parler la langue de l’autre engendre parfois certains phénomènes très graves, comme l’assimilation, l’aliénation, l’acculturation, l’exil intérieur, le déni ou encore le refus de l’autre.
Abdelfattah Kilito use de ses connaissances en littérature, notamment arabe, pour réfléchir sur ce thème épineux, problématique et très actuel puisque nous sommes dans un contexte de mondialisation où la communication est primordiale, voire déterminante.La démarche de l’essayiste est donc littéraire et non linguistique.
Pour cela et pour le plaisir de ses lecteurs, il revisite les grands classiques de la littérature arabe : de Hamadani à Tawhidi, en passant par Jahiz et Ibn Batouta.Tous ces auteurs ont réussi à maîtriser la langue arabe et ses méandres et, en même temps, ils ont atteint, dans leurs littératures, une dimension universelle. Pourtant, dans le monde occidental, on ne peut citer le nom de ces auteurs sans transposition, sans — ce qu’appelle l’auteur — traduction culturelle ; c’est-à-dire qu’on ne peut pas évoquer aux Occidentaux sans faire un parallèle avec un de leurs auteurs.
Kilito arrive à la conclusion désolante que les chercheurs et universitaires arabes sont condamnés à faire de la littérature comparée. Mais n’est-ce pas le propre de la coexistence ?En réalité, l’homme ne peut se positionner et exister que par rapport à un autre. L’auteur évoque également un autre problème lié à la littérature arabe. En fait, les auteurs arabes ont atteint un degré de maîtrise de leur langue très important, qu’il faut apporter des traductions à l’intérieur de la langue avant de changer de code. Ce qui n’est pas une mince affaire.Tu ne parleras pas ma langue s’intéresse également — et ce n’est pas innocent — au parcours des auteurs et leur vie faite de voyages. Explorer le monde et voir ses merveilles peut élargir les perspectives et ouvrir l’esprit sur l’autre. Mais cet autre, on l’envisage généralement dans la violence. De là à parler sa langue !ہ travers le voyage d’Ibn Batouta, par exemple, l’auteur nous démontre à quel point il est difficile de vivre loin de chez soi, loin des siens… vivre dans un double exil : géographique (largement gérable avec le temps) et l’exil intérieur (insurmontable).Ibn Batouta n’a pu écrire qu’une fois retourné chez lui. De là, on réalise que l’artiste ne peut créer qu’auprès des siens et dans une situation de sérénité. Par ailleurs, bien que ce soit une traduction, Tu ne parleras pas ma langue se caractérise par une grande fluidité dans le fond (le propos) et dans la forme.
Le propos de Abdelfattah Kilito dans son essai ; au titre interpellateur et apostropheur, est de montrer à quel point il est difficile de parler une langue autre que la sienne.La situation au Maghreb est d’autant plus délicate par rapport à la langue française. Ces pays, qui représentent les anciennes colonies de la France, entretiennent un rapport particulier avec cette langue qu’ils parlent, qu’ils rejettent, qu’ils aiment et qu’ils refusent. Une relation passionnée, passionnelle et, parfois, dévastatrice.
La coexistence entre les langues est tout aussi délicate que celle entre les cultures. Mais voilà un thème qui invite à la méditation et la réflexion, surtout lorsqu’on sait que la langue est véhiculaire de culture. Parler la langue de l’autre, c’est comme accepter de se voir dans un miroir.
Sara Kharfi
“Tu ne parleras pas ma langue” de Abdelfattah Kilito, 168 pages, Média-Plus, Constantine, octobre 2008 |
9 août 2009
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