La librairie Maughin était pleine comme un œuf, jeudi dernier, à l’occasion de la rencontre littéraire avec l’écrivain Leïla Sebbar, organisée par Chantal Lefevre, initiatrice des “Causeries blidéennes”, avec l’association Mémoire de la Méditerranée.
Professeurs d’université d’ici et d’ailleurs, tels Christiane Chaulet-Achour, Bouba Tabti, Paul Faisant, Mme Amhis, Mlle Lounis, Faïza et M’hamed Bensemmane,
écrivains et écrivaines, critiques littéraires, journalistes, étudiants…
Quatre heures durant lesquelles, en dépit de la chaleur et de l’inconfort de la position (debout, pour beaucoup), l’assistance était suspendue aux lèvres de l’invitée de la causerie, venue en pèlerinage dans la vile de sa jeunesse, celle d’Elissa Rhaïs, la romancière juive de Blida, de Jean Daniel, éditorialiste et directeur du Nouvel Observateur, celle encore des années de pensionnaire au lycée de jeunes filles (aujourd’hui lycée El Feth, le même établissement où a été scolarisée Leïla Sebbar) d’Assia Djebbar. Quatre heures qui auront laissé le public sur sa faim, tant elles sont passées vite. Mes Algéries, premier recueil de nouvelles publié en Algérie aux Editions Dar El Gharb (2004) est encore une œuvre des “Algéries” des deux rives (l’ombre de la “langue du pays”, de “l’homme du pays” plane, réelle, sur l’autre rive), de l’exil volontaire ou forcé, du silence, des silences, ceux de l’histoire…
Silence imposé à l’enfant, à l’adolescente Leïla Sebbar à qui on a appris à ne jamais dire “je”, qui ne doit pas savoir, qui ne doit pas voir… l’horreur de la guerre. Elle est “protégée” par ses parents. Cet enfermement, elle s’en libère curieusement par la guerre. La violence coloniale est à l’origine de son départ d’Algérie, de sa libération. Avec la permission de ses parents, elle quitte le pays pour l’université d’Aix-en-Provence où elle entreprend des études de lettres et à l’issue desquelles elle s’installe à Paris. Jusque-là, il y a eu des silences, l’inconnu profond, un père mutique qui tait sa langue, sa tribu. Un père qui la fascine et qu’elle va “fabriquer”, créer (celui qui l’a procréée) dans ses œuvres. Ce père laïc, républicain et non moins musulman “car lorsqu’on est né musulman, on le demeure”, dit-il un jour à sa fille. Tout le temps, Leïla Sebbar va chercher, observer, interroger l’histoire, les livres, les photos (de guerre, de préférence, qu’elle découpe dans les journaux…), les cimetières musulmans qu’elle trouve plus intéressants que les cimetières chrétiens austères, lugubres, les lieux de là-bas ou d’ici, les travailleurs immigrés, le boulevard des Orangers de Blida, ville où elle a vécu de 1955 à 1959 (de 14 à 18 ans, les années du lycée de jeunes filles) et qu’elle vient de retrouver, l’école de la Cité musulmane où son père était directeur et sa mère institutrice, les boîtes de tabac à chiquer qu’elle se baisse pour ramasser dans une rue de Blida, en quête d’une mémoire, d’une réponse… Ces boîtes qu’elle a ramassées, aussi de l’autre côté de la mer, sur les trottoirs (combien cela fait-il de boîtes ?) et jetées par des “chibanis” qui portent une histoire que les jeunes beurs ne cherchent pas à connaître. Ces boîtes qui lui ont, sans doute, servi de palets de marelle, ne sont plus les mêmes, aujourd’hui. ہ Blida, elle ne retrouve pas les mûriers de l’ex-place d’Armes (aujourd’hui, “placet ettout”). Ils ont été remplacés par des faux mûriers dont les feuilles ne nourrissent plus les vers et dont les fruits ne sont pas comestibles. Le reste est dans l’imaginaire, dans les représentations qu’elle se fait du réel. Car ce qu’elle voyait dans son enfance, c’était toujours derrière un écran — protecteur, du reste — celui des livres, d’une moustiquaire, d’une grille, des micocouliers, de la cité populaire, des monts de Blida…
Elle ne connaît pas Blida, ni sa ville de naissance Aflou, ni même celle de son enfance, Hennaya (ex-Eugène-Etienne-Hennaya). Il y a une souffrance derrière. L’exilée entre terre et langue souffre d’une rupture généalogique. L’exil est dans la langue de son père, la langue de sa terre que son père ne lui a pas apprise. L’exil est dans ce manque, dans l’inconnu profond. Elle se considère quelque part comme “un produit contaminé” ayant un rapport complexe, conflictuel, passionnel à l’Algérie. Un rapport pathologique.
Briser le silence, les silences qui lui furent imposés longtemps ici et ailleurs. Pour comprendre.
Le retour de l’absente en a ému plus d’un et plus d’une.
L’après-midi très conviviale s’est achevée sur la partie dédicace de Mes Algéries, un produit vite épuisé à la librairie Mauguin.
- Leïla Sebbar est née en Algérie, d’un père algérien et d’une mère française, tous deux instituteurs. C’est à Aix-en-Provence puis à Paris, où elle vit aujourd’hui, qu’elle poursuit des études supérieures de lettres. Elle centre son travail de recherche sur les représentations du “bon nègre” dans la littérature coloniale du XVIIIe siècle et sur l’éducation des filles au XIXe siècle (publications dans Les Temps modernes, 1973, 1976). Elle collabore à des revues littéraires et à France-Culture. Elle a également publié des essais, des nouvelles et des romans. Elle a participé à des recueils de nouvelles et à des albums de photographies. Leïla Sebbar a publié des essais, dont On tue les petites filles et Le Pédophile et la maman, chez Stock ; Lettres parisiennes : autopsie de l’exil, en collaboration avec Nancy Huston, aux éditions Barrault, des nouvelles, entre autres, Soldats, au Seuil, et des romans, parmi lesquels la trilogie Sherazade et Le Silence des rives, qui a reçu le prix Kateb-Yacine en 1993, chez Stock.
F. SEMAN
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9 août 2009
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