par Ziad Salah
Deux femmes écrivaines, deux trajectoires différentes, se sont exprimées, dans l’après midi du jeudi à la salle de conférence du centre Cervantès, sur leur expérience respective d’auteurs. Il s’agit de l’algérienne Wassila Tamzali, connue pour son livre «Une éducation algérienne» et de Juana Salabert, auteur notamment du «Vélodrome d’hiver».
En présence d’un public d’intellectuels, du consul d’Espagne, les deux femmes ont étalé ce qui les lie en tant qu’écrivaines et ce qui les différencie. La première, ancien directeur à l’UNESCO chargée de la question des femmes et la seconde fille d’un journaliste et écrivain espagnol. Ce débat s’inscrit dans le cadre du dialogue arabo-espagnol que le directeur de Cervantès initie et coïncide avec la commémoration de la journée mondiale de la femme. L’Algérienne se revendique ouvertement comme étant une féministe alors que la seconde récuse haut et fort l’existence d’une écriture typiquement féminine. Sa conviction est que l’écriture déborde les territoires. Ce qui constitue la force et l’intérêt de la littérature, selon ses dires. Dans ses interventions, Tamzali a insisté sur le fait que son livre est autobiographique. D’ailleurs, elle évoque l’histoire dramatique de sa famille, notamment de l’assassinat de son père par un jeune homme de dix ans. L’on apprendra que sa famille s’est pleinement engagée, avant et après ce meurtre, dans l’entreprise de libération du pays. C’est son oncle qui sera chargé de remettre en mains propres le texte de la déclaration du premier Novembre aux responsables du FLN se trouvant au Caire. Sa famille, très riche durant la période coloniale, mettra ses biens au service de la Révolution. Ce qui n’a pas empêché la nationalisation de leurs terres agricoles lors de la révolution agraire. Mais Tamzali, reconnaît et revendique son pleine adhésion au projet dit socialiste de l’Algérie post-coloniale au point d’approuver la dépossession de sa famille aux noms des idéaux socialistes. Son livre est néanmoins une manière de régler ses comptes avec cette période. Prenant de la hauteur, elle s’interroge sur l’échec de sa génération (actuellement elle a 67 ans indique-t-elle), patent dans l’échec du projet socialiste. Sur un plan personnel, elle dira que « l’écriture de ce livre m’a permis de me réapproprier les valeurs que ma famille m’a inculquées telles que le sens de la liberté ». D’ailleurs, Gaviar Galvan, directeur de Cervantès qui a assumé le rôle de modérateur du débat, a utilisé le terme de «thérapie» en parlant de l’oeuvre de Tamzali. Dans cet ordre d’idées, l’auteur avouera qu’elle a attendu quarante ans avant de s’acquitter d’une entreprise qu’elle devait accomplir dès le lendemain de l’indépendance. Et elle ajoute «en succombant au coup de feu, mon père devait s’interroger sur le sens de cet acte. J’ai essayé de reprendre et de résoudre son interrogation». Il faut dire que le cheminement de la réflexion de Tamzali n’est pas aisé à suivre. On ne comprend pas comment une femme a fait un bout de chemin avec ceux qui ont décidé d’éliminer son père pour prendre du recul par rapport à eux par la suite. C’est justement cette «ambigüité» qui donne tout son intérêt à son livre, selon un universitaire présent à ce débat. Pour cet universitaire, le «moi» ne coïncide pas tout le temps avec le «je». Une idée par ailleurs effleurée par Juana Salabert lors d’une de ses interventions. Quant à Juana Salabert, elle aussi est portée sur les questions identitaires mais avec une démarche moins sinueuse. Son roman retrace la quête d’un rescapé du Vélodrome (lieu parisien où la police de Vichy a regroupé, suite à une immense rafle, des milliers de juifs avant de les envoyer aux camps de concentration) pour retrouver l’histoire de sa famille. Pour écrire son roman, inspiré de faits réels, Juana a sillonné la France pendant trois ans et a lu des « tonnes » de documents, affirme-telle. Sa préoccupation se résume à « la culpabilité du rescapé » répète-elle. Plus jeune que Tamzali, puisqu’elle est née en 1962, elle semble plus apaisée. D’ailleurs ses choix, notamment de la langue d’écriture, répercute cette absence d’angoisse perceptible chez son aînée. Bien qu’ayant vécu en France et fait toute sa scolarité en français, elle opte volontairement pour la langue espagnole. «Pour sa musicalité» répète-t-elle. Mais ailleurs, elle affiche sa fierté d’appartenir au pays qui a enfanté Cervantès, présenté comme le père de la modernité ibérique. Mais Juana ne ratera pas les débats autour des femmes pour rappeler que Franco avait tout «supprimé», jusqu’aux droits civiques des femmes au point où elles ne pouvaient même pas acquérir un logement en leur nom. Malgré les lignes de fracture qui séparent les deux oeuvres, un roman et un essai, les présents ont relevé qu’elles se rejoignent au moins en un point. Elles sont une invitation à revenir sur notre passé, respectif au moins, pour mieux se réconcilier avec le présent. Ce qui peut représenter la démarche de toute une vie…
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–>Le quotidien d’Oran du 28 mars 2009
8 août 2009
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