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Françoise d’Eaubonne,

5 août 2009

Non classé

Françoise d’Eaubonne (née le 12 mars 1920 à Paris et décédée le 3 août 2005 à Paris), était une femme de lettres française.

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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4 Réponses à “Françoise d’Eaubonne,”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    La personne publique [modifier]
    Fille d’un membre du Sillon aux sympathies anarchistes et d’une fille de révolutionnaire espagnol carliste, son enfance toulousaine est marquée par le déclin physique de son père, dû aux effets des gaz dans les tranchées de la guerre de 1914. Elle a 16 ans quand éclate la guerre d’Espagne, 19 quand elle voit arriver les républicains en exil. De 20 à 25 ans elle subit les privations propres à l’époque et rencontre à la Libération, dans une grande gare parisienne, les rescapés juifs de retour des camps. Elle résumera plus tard son sentiment sur cette période de sa vie sous le titre évocateur de Chienne de Jeunesse.

    Cette enfance plaquée sur une personnalité hypersensible la conduit à porter sur le monde un regard critique qui façonnera la militante radicale et féministe. Un temps membre du Parti communiste français, elle co-fonde, avec Guy Hocquenghem et Anne-Marie Grélois le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) en 1971. À l’origine du terme écoféminisme en 1974, elle fonde Écologie-Féminisme en 1978. Cette vie littéraire et militante se croise avec celles de Colette, Simone de Beauvoir et Sartre, Jean Cocteau et tant d’autres qui ont marqué le XXe siècle. Elle aura eu 2 enfants, Indiana et Vincent, mais ne se sera jamais engagée auprès d’un homme. Elle meurt à Paris le 3 août 2005 au matin.

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  2. Artisans de l'ombre Dit :

    « Pas un jour sans une ligne » : c’est sous la férule de ce mot d’ordre que l’autrice a produit plus de 50 ouvrages, de Colonnes de l’âme (poèmes, 1942) à L’Évangile de Véronique (essai, 2003) en passant par quelques romans de science-fiction (L’échiquier du temps, Rêve de feu, Le sous-marin de l’espace…). Parmi ses ouvrages, on pourra distinguer :

    Les romans, parmi lesquels :
    Le cœur de Watteau, 1944
    Comme un vol de gerfauts, prix des lecteurs 1947
    Belle Humeur ou la Véridique Histoire de Mandrin,1957
    J’irai cracher sur vos tombes, 1959 (d’après le film J’irai cracher sur vos tombes)
    Les Tricheurs, 1959 (d’après le film Les Tricheurs)
    Jusqu’à la gauche, 1963
    Les Bergères de l’Apocalypse, 1978
    On vous appelait terroristes, 1979
    Je ne suis pas née pour mourir, 1982
    Terrorist’s blues, 1987
    Floralies du désert, 1995
    Les biographies, parmi lesquelles :
    La vie passionnée d’Arthur Rimbaud, 1957
    La vie passionnée de Verlaine, 1959
    Une femme témoin de son siècle, Germaine de Staël, 1966
    La couronne de sable, vie d’Isabelle Eberhardt, 1967
    L’éventail de fer ou la vie de Qiu Jin, 1977
    Moi, Kristine, reine de Suède, 1979
    L’impératrice rouge : moi, Jiang King, veuve Mao, 1981
    L’Amazone Sombre : vie d’Antoinette Lix, 1983
    Louise Michel la Canaque, 1985
    Une femme nommée Castor, 1986
    Les scandaleuses, 1990
    Les essais, parmi lesquels :
    Le complexe de Diane, érotisme ou féminisme, 1951
    Y a-t-il encore des hommes?, 1964
    Eros minoritaire, 1970
    Le féminisme ou la mort, 1974
    Les femmes avant le patriarcat, 1976
    Contre violence ou résistance à l’état, 1978
    Histoire de l’art et lutte des sexes, 1978
    Écologie, féminisme : révolution ou mutation ?, 1978
    S comme Sectes, 1982
    La femme russe, 1988
    Féminin et philosophie : une allergie historique, 1997
    La liseuse et la lyre, 1997
    Le sexocide des sorcières, 1999
    L’évangile de Véronique, 2003
    Les poèmes, parmi lesquels :
    Colonnes de l’âme, 1942
    Démons et merveilles, 1951
    Ni lieu, ni mètre, 1981
    Et quelques romans pour enfants édités dans la collection bibliothèque verte.

    Les activités littéraires diverses, parmi lesquelles des pamphlets (20 ans de mensonges, contre Longo Maï), des traductions (Poèmes d’Emily Brontë), une édition critique des lettres de Flaubert, de nombreuses préfaces, etc.

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  3. Artisans de l'ombre Dit :

    Françoise d’Eaubonne, la rebelle
    ntretien avec Marina Galimberti et Joëlle Palmieri, juin 1999

    Françoise d’Eaubonne, écrivaine, libertaire et féministe de la première heure, est de toutes les luttes. La résistance, la guerre d’Algérie, la lutte pour la contraception et l’avortement, puis contre les intégrismes, cette femme n’a de cesse de dénoncer les expressions de la phallocratie (mot qu’elle a créé). Agée aujourd’hui de 79 ans, elle entre en guerre pour dénoncer le sexocide des sorcières et demande amende honorable au Pape.

    Votre travail d’écriture est-il lié à l’Histoire collective ?
    Je suis féministe depuis l’âge de 11 ans. À 11 ans, j’ai en effet reçu des réprimandes du couvent des Dominicaines où j’étais élevée, en écrivant, avec le bout de mon soulier trempé dans l’eau, « Vive le Féminisme ! » sur le pavé du cloître du couvent des dames. C’est dire que ça remonte à loin.
    Si l’histoire collective a toujours été plus au moins étroitement imbriquée à la mienne, il faut en accuser évidemment le fait de ma génération, puisque je serai octogénaire au XXIe siècle, le fait que ma génération a connu la tornade de l’occupation, de la résistance, de la révélation totalement atroce et imprévisible de l’univers concentrationnaire… Quand on appartient à cet univers-là, c’est difficile de distinguer son histoire personnelle, sa trajectoire, son choix de vie, de l’histoire collective.
    C’est à 12 ans et demi que j’ai reçu un prix au concours des enfants écrivains de moins de 13 ans, lancé à cette époque par Denoël. Il était une nouvelle fois difficile de se séparer de l’histoire collective du monde pour une autre raison, dans la mesure où j’étais d’une famille très engagée depuis toujours. Mon père était un militant du Sillon. Ma mère, d’origine espagnole, partageait les options de mon père et son père était non pas un révolutionnaire, mais un militant d’extrême droite, un militant carliste dont la tête avait été mise à prix. De sorte qu’il dut se réfugier en France, où il a épousé ma grand-mère. Tout ce petit tableau familial, pour vous expliquer que je ne pouvais qu’être particulièrement sensibilisée à cette étroite connivence entre mon histoire personnelle et l’histoire de la collectivité, à l’étape historique où je me suis trouvée par le plus grand des hasards.

    Vous dites que vous êtes féministe depuis l’âge de 11 ans. Pourquoi si tôt ?
    J’étais féministe d’abord par ma mère, car ma mère était une des toutes premières étudiantes scientifiques à un moment où c’était pratiquement impossible pour une femme de suivre une carrière scientifique, d’être une madame Curie, ou quelque chose d’approchant. Elle a dû d’ailleurs être l’élève de Mme Curie. Elle nous a souvent raconté, ce qui m’avait beaucoup impressionnée, la difficulté qu’il y avait pour des femmes à cette époque, de faire des études supérieures. Certaines de ses amies, qui étaient, comme elle, étudiantes en science, logeaient à l’hôtel et avaient reçu des coups de revolver à la porte. C’étaient des étudiants qui cherchaient à les dissuader de continuer. Elle-même, qui était pourtant une femme petite et frêle, très résolue, avait dû taper du poing pour pouvoir s’asseoir dans l’amphithéâtre à écouter les professeurs de l’époque qui étaient les grands noms : le grand physicien Henri Pointcarré et Mme Curie. Le paradoxe voulait qu’en effet, on essayait d’empêcher des femmes de suivre les cours de la Sorbonne. Marie Curie l’a du reste payé cher, à l’époque de la gloire de la science française.
    Voilà comment, étant enfant, j’avais déjà entendu parler de ces questions par ma mère et des difficultés qu’avaient les femmes à pouvoir s’imposer dans le monde. Elle en était un exemple frappant puisque, elle-même étant mariée et ayant mis cinq enfants au monde, n’a pas pu continuer cette carrière qui s’annonçait pourtant exceptionnelle.

    Vous aviez 20 ans à l’aube de la grande guerre, puis vous vous êtes engagée au Parti Communiste, que vous avez quitté au moment de la guerre d’Algérie…
    Forcément après la guerre, il était impossible de ne pas s’engager. Alors comme beaucoup d’autres intellectuels, et pas seulement en France, je me suis engagée en tant qu’écrivain et donc en tant que responsable d’un certain message à transmettre au public. J’étais évidemment au Parti Communiste, que j’ai quitté au moment de la guerre d’Algérie. J’étais à fond pour l’indépendance de l’Algérie et j’étais indignée de la tartufferie du PC qui, à l’époque, se conduisait exactement comme ce qu’il avait reproché à Pétain. Il a voté la confiance à Guy Mollet, qui était l’envoyé, le va-t-en-guerre de la guerre d’Algérie, alors que des tas de jeunes gens, pénétrés de l’idéologie communiste, tiraient la sonnette d’alarme des trains, refusaient de partir… Jamais le PC n’a voulu les soutenir, bien au contraire… Il disait, allez-y, comme ça vous surveillerez (comme si une guerre pouvait être surveillée !) ce qui se passe là-bas. Ce qui était exactement l’attitude du pétainisme : « c’est pas du tout qu’on soit pour les Allemands, mais au contraire, il faut faire avec ce qu’on nous donne, la France est partagée en deux, il y aura au moins une zone libre, vous ne souhaitez pas la Pologne, ici nous surveillons ce qui se passe »… Et on a vu, à partir de 42, ce qu’il en a été.
    J’étais tellement indignée par cette façon de faire, « faites ce que je vous dis et ne faites pas ce que je fais », qu’en effet, j’ai déchiré ma carte au moment de la guerre d’Algérie. Depuis, j’ai fait l’analyse de ces questions, pour savoir pourquoi les choses s’étaient passées ainsi. Je comprends davantage la trajectoire historique de l’époque, mais je ne me repends pas du tout d’avoir quitté un parti que ne pouvait absolument pas correspondre à ce que j’attendais d’un parti politique. Outre que sur le plan des femmes, précisément, c’était assez déplaisant de voir à quel point il y avait du mépris pour toutes les questions qui concernaient les femmes. Dans le PC, et surtout de la part des femmes du Comité Central, tout cela était considéré comme une déviance petite bourgeoise. Au tout premier chef, la question de la maîtrise de la procréation et de la contraception. Je n’oublierai jamais les méthodes et les campagnes anti-féministes de la femme de Thorez, comme quoi la maternité devait être une joie et ce qu’il fallait faire, c’était lutter pour changer la société qui, elle, empêchait que cette maternité soit une joie. Eh bien ce genre d’air de flûte, ça faisait long feu avec moi !

    À la même époque, vous avez fréquenté Simone de Beauvoir. Pouvez-vous nous dire ce qu’a représentée cette rencontre ?
    J’ai été très proche de Simone de Beauvoir, à partir du  » Deuxième sexe « . Quand ce livre est paru, j’étais folle de joie. Je lui ai écrit : « Nous sommes toutes vengées ». Je disais : « Enfin une femme qui a compris ». Et je peux dire qu’à l’époque ce n’était pas une réaction très répandue, y compris chez les femmes. Ce qu’elle a apporté comme analyse a mis un certain temps à pénétrer l’esprit du public. J’ai eu des contacts très agréables avec elle, mais nous ne sommes devenues vraiment amies qu’au moment du referendum de De Gaulle. Nous nous sommes retrouvées dans la campagne anti-referendum. On aurait pu l’appeler la campagne anti-publiciste, c’était pratiquement la même chose. Et à partir de là, nous sommes restées amies jusqu’à la fin de ses jours. J’ai toujours eu une grande admiration pour elle, tout en ayant des réserves sur certaines de ses analyses historiques. Cela concerne par exemple les femmes devant le patriarcat, qu’elle nie complètement au nom d’une certaine croyance au matriarcat. Ce n’est pas du tout ma conception. J’ai écrit dans « Les femmes avant le patriarcat » en 75, qui est peut-être le livre que j’ai vendu le plus longtemps, plus de 15 ans, mon point de vue très nuancé sur cette affaire : l’existence d’une culture occidentale clanique agricole qui a existé avant la fondation même du patriarcat et qui n’était pas pour autant le matriarcat. Les femmes n’étaient pas au sommet, mais au centre. Il n’y a pas eu une espèce de patriarcat inversé où les femmes tenaient un rôle de pouvoir, … Non, ça n’a jamais existé. Je dois dire que je suis heureuse d’être confortée dans cette conception, par des livres aussi importants que celui d’Ariane Esler, qui a écrit « Le Calice et l’épée », le livre tout à fait essentiel d’un professeur allemand qui s’appelle Bormann, qui a écrit  » Le patriarcat « , et aussi, beaucoup plus récemment, le gros livre de Françoise Grange, qui est paru chez Côté Femmes, « Le dieu menteur », où elle explique comment un patriarcat guerrier, militaire, oppresseur s’est instauré à Sumer, après la défaite de ce qu’elle appelle le divin féminin.

    Dans les années 68, puis 70, vous vous engagez dans la lutte pour la contraception et l’avortement. Vous rejoignez le MLAC. À la même époque, vous reprenez le flambeau de la lutte contre toutes les formes d’oppression.
    J’ai toujours été contre toutes les formes d’oppression, et pas seulement l’oppression des femmes. Il va de soit que, pour moi, elle a été la première puisque je suis femme. Néanmoins, toutes les oppressions, toutes les formes d’injustice m’ont toujours motivée. Un exemple : la démographie. Elle était une des premières grandes questions de l’écologie actuelle. La menace de l’inflation démographique planétaire n’est pas une simple question du Tiers Monde, comme le racontent volontiers les gens d’extrême droite. Cette question de démographie est tellement étroitement liée à la condition des femmes, à cause de la ré-appropriation ou du dépouillement de leur propre corps. Il est absolument indispensable que la liberté de contraception et procréation soient données aux femmes de la planète, si on ne veut pas que cette planète déborde. Par ailleurs, toutes les questions de l’ordre des richesses, fertilité ou fécondité, correspondent aussi à une évolution de l’espèce humaine. Autrefois, au moment où la terre était peu peuplée, les femmes étaient non seulement propriétaires de leur propre corps, mais aussi des richesses agricoles, qui étaient les premières richesses de l’antiquité. C’est ce que j’ai démontré dans « Les femmes avant le patriarcat » et dans « Ecologie, féminisme, révolution, mutation ». Le patriarcat a commencé avec l’appropriation des deux sources de richesse : la fécondité et la fertilité. À partir du moment où les hommes ont découvert, à une date relativement tardive, qu’ils étaient les pères de leur propres enfants, alors qu’ils croyaient la femme en rapport avec une espèce de divinité qui les fécondait d’une manière ou d’une autre, les hommes, au lieu de chasser et de consommer, ont pu prendre le temps d’élever les bestiaux qu’ils avaient capturés. L’homme a compris qu’il était le propriétaire de cette fertilité et il a décrété qu’il était tout. À ce propos, Simone de Beauvoir, dans le Deuxième Sexe, relate l’histoire d’Oreste, qui tue sa mère comme une étrangère, parce que sa mère n’est que le terreau, l’humus où le père a déposé la graine, et c’est Apollon de Delphes, qui récite ses vérités neuves qui vont transformer la face du monde…
    Donc fertilité et fécondité, autrefois propriétés des femmes, sont accaparés par les hommes. C’est le début du patriarcat, qui a abouti à notre désastre écologique actuel, avec l’inflation démographique d’une part et l’épuisement de sols nourriciers de l’autre.
    Comme je l’ai dit dans « Ecologie et Féminisme », les hommes commencent à s’inquiéter de l’augmentation de la démographie, quant cela arrive au niveau de la planète. Les femmes s’en inquiètent quand cela arrive au niveau du petit territoire ou du logement qu’elles occupent. L’une voit la chambre, l’autre voit le monde. Ceci posé, quand on arrive à l’époque où ils sont obligés de s’occuper de cette question, tant mieux si les femmes peuvent en profiter en arrêtant cette inflation, quel que soit l’outil qui est mis entre leurs mains et quel que soit le fait que ce sont des outils d’homme. Elles ne sont pas pour autant dépendantes d’une autre manière de la dictature patriarcale, dictature très nuancée évidement dans la mesure où il s’agit maintenant de forces d’argent et non plus de forces de pouvoir matériel et temporel. L’économie est une véritable théocratie. Le fait que ce nouveau pouvoir masculin met dans les mains des femmes, même pour son propre intérêt, des possibilités de limiter la procréation, c’est déjà une grande étape vers la libération. Les femmes sont alors en route pour s’emparer des différents leviers du pouvoir. Les techniques qui limitent la procréation donnent aux femmes un moyen de ruer dans les brancards ! Tant qu’il n’est pas encore possible de mettre en l’air, de pulvériser lesdits brancards, et bien il faut faire avec ce qu’on a et utiliser ce qui est donné, y compris même par le pouvoir.

    Le manifeste des 343, vous en étiez ?
    On était en réalité 360 ! Il y a eu le manifeste de 343 en 71. Je suis allée à une réunion chez Simone de Beauvoir où ce texte extrêmement concis, qui n’avait rien de déclamatoire, qui était jusqu’un constat, avait été mis sur pied par quelques féministes de choc. Je me souviens avec quelle jubilation j’ai joint ma signature à ce manifeste ! Les 343 salopes étaient les premières femmes ayant un certain nom, une certaine notoriété, qui ont signé cela, un peu comme pour le manifeste de 121 contre la guerre d’Algérie.

    Vous avez co-fondé le FHAR, le front homosexuel d’action révolutionnaire. Pensez-vous que la lutte des homosexuels et la lutte des femmes sont conciliables et qu’il n’y a pas contradiction entre domination sexuelle et domination masculine ?
    En 71, il y a eu ce que j’ai appelé le rejaillissement des sources de Mai 68. En Mai 68, toute sorte d’amorces de mouvements nouveaux, absolument ignorés jusque-là venaient de s’enfoncer sous terre. J’ai appelé cela les mouvements du désirant et du refus. Il s’agissait aussi bien des objecteurs de consciences, des maoïstes, les écologistes qui commençaient à peine, les homosexuels, les féministes… Toutes sortes de thèmes mis entre parenthèses par les partis officiels révolutionnaires qui disaient :  » ce qu’il faut, c’est changer. La société et le reste suivra « . Tout cela avait éclaté en mai 68 et lui avait donné sa dynamique parfaitement originale. Cela ne s’est pas uniquement passé à Paris. Dans le monde entier, de l’Allemagne jusqu’en Chine, il y a eu ces mouvements de jeunesse récupérant et reprenant à leur compte ces mouvements mis entre parenthèses par les partis politiques oppositionnels ou subversifs.
    C’est en fait en Amérique, qu’a commencé la dynamique de cette question du MLF et du FHAR. Là-bas, ça s’appelait le Women’s Lib et le mouvement Gay. Une émeute a duré trois jours à la stupeur à la fois des pouvoirs publics et des émeutiers eux-mêmes. Une alliance militante entre les gays et le Women’s Lib a alors été créée. C’est le début du féminisme révolutionnaire. À l’époque, Deleuze avait parlé de cette unité qui existait entre les mouvements révolutionnaires subversifs, surgis brusquement en 71, et d’un lien absolument incontournable, et pourtant difficile à analyser, entre la revendication des homosexuels et l’écologie.
    Les gays, on ne les appelait pas encore ainsi, et les femmes en révolte, avaient le même ennemi, qui était précisément le patriarcat oppresseur, qui persécute le féminin, pas uniquement chez les femmes, mais aussi chez les hommes. En 71, j’ai vu que les forces de subversion, les forces libertaires, les forces d’opposition, pouvaient se rejoindre et former, je ne dis pas une unité, ça c’est un mot de l’époque des grands partis officiellement oppositionnels, mais un fer de lance, un front de bataille uni contre un ennemi commun.
    Pendant au moins deux ans, je me donne à fond et je fais la passerelle entre le FHAR et le MLF. Le résultat a été des manifestations, des colloques et des prises de parole à l’étranger, la fondation d’autres mouvements en Belgique, en Italie…

    Il me semble que même à l’émergence de ces mouvements, il y a toujours eu une certaine domination entre gays et lesbiennes…
    Domination, non. Quels que soient les tiraillements qu’il y a eu entre les gays du FHAR et les lesbiennes du MLF, la question ne s’est jamais très sérieusement posée quand il s’agissait d’analyses ou d’alliances au coup par coup contre des oppressions communes. J’ai moi-même noué des liens très chaleureux envers les uns et les autres et cela a toujours été une joie pour moi d’assister à ce type de contacts. Cela a d’ailleurs même abouti à me faire poser un paradoxe : « il y aura peut-être un jour, la réconciliation des sexes grâce à l’homosexualité ».

    1999 est l’année du PACS et de la parité. Quelles ont été vos positions respectives ?
    J’ai beaucoup applaudi le PACS. J’ai participé à la campagne pour le PACS. Il était temps de mettre ça en activité. Lorsque deux personnes du même sexe vivent ensemble et que, à la mort de l’un d’eux, tout le travail qu’ils ont fait ensemble et qui a porté tel ou tel fruit revient à la famille du défunt, que l’autre n’a aucun droit et peut se faire mettre à la porte comme un malpropre, … Quelles que soient les petites astuces juridiques qui peuvent être tentées, comme par exemple la fameuse tontine, suggérée par les arcadiens, tout cela n’a rien d’aussi fort que la reconnaissance officielle du couple unisexe, qui, d’une part, résout cette injustice et d’autre part, établit une reconnaissance officielle à un état de fait qui existe en milliers et milliers d’exemplaires. Quel que soit l’éclat qui existe dans la culture, dans les médias, quelle que soit cette reconnaissance du phénomène gay, tout cela continue d’être occulté. Rien que de voir les slogans que braillaient ou affichaient les ennemis du PACS, je me suis régalée d’observer ce qu’il y a de plus bas et dangereux dans l’obscurantisme qui règne encore dans ce monde.
    Pour ce qui concerne la parité, je n’ai jamais voulu faire campagne pour. Elle est admise aujourd’hui. Très bien, je n’ai rien à dire. Puisque c’est considéré comme une nouvelle victoire des femmes, ce n’est pas moi qui vais brailler contre. Mais, je n’ai jamais voulu participer à cette entreprise parce que j’estime qu’il y a un danger dans le fait que, précisément dans cette société d’inégalité, c’est une concession de proclamer qu’on peut se reconnaître comme égales, au lieu de démolir un système. En quelque mots, je dirais que le fait, pour les femmes, d’être à tel ou tel levier du pouvoir, à tel ou tel siège selon un pourcentage ou un autre dans les partis, c’est diviser les femmes plutôt que de les unir. En fait, chacune s’unit avec le parti qui lui donne un siège ou un levier de commande. Elle se reconnaît dans une parcellisation du pouvoir patriarcal, au lieu de s’unir avec les autres contre ce même pouvoir patriarcal.

    Le mouvement féministe français ne souffre-t-il pas d’une forme de ghettoïsation ?
    La ghettoïsation était une question qui pouvait se poser dans les années 80. À l’heure actuelle, il s’agit d’autre chose. La ghettoïsation ne concerne que les types de luttes qui ont été enfermées dans un cercle trop étroit pour pouvoir s’élargir avec l’évolution historique. Or, l’évolution historique apporte d’autres perspectives, d’autres formes de lutte qui n’ont plus rien avoir avec le ghetto. Bien avant 70, à l’époque des premières vagues du féminisme, tout ce qui a été autrefois apporté par la lutte des femmes, dans un contexte tout à fait différent et dont les éléments peuvent paraître aujourd’hui dépassés ou faire sourire, comme le Modern-style ou les bijoux de Sarah Bernard, continue à exister et nourrir les luttes dans lesquelles nous sommes engagées. Je ne peux pas prévoir exactement les modalités, mais je sens très bien ce qui se passera. De toutes manières, on sera toujours confronté à la question primordiale : savoir si cette société d’inégalité pourra se maintenir sous un pouvoir d’argent, comme elle se maintenait autrefois sous un pouvoir dictatorial ou impérialiste. La conquête, l’expansion des territoire, etc., ont été remplacés non seulement par l’argent, mais par un mode particulier de l’argent qui est la spéculation, remplaçant la production. Voilà les grandes questions qui vont se poser dans le prochain siècle, et pour lesquelles les femmes devraient organiser de nouveaux combats et ouvrir de nouveaux champs de bataille.

    Que pensez-vous des mouvements des jeunes féministes ? N’y a-t-il pas eu des problèmes de transmission entre les générations ?
    D’autres formes de luttes apparaissent à partir du moment où d’autres ont disparu. C’est incroyable le nombre de choses qui existaient et qui semblaient aller de soi dans ma jeunesse et qui maintenant sont complètement passées et démodées ! Il n’est plus questions d’élever les filles pour un certain type de métiers féminins, ou de penser que le mariage est la seule carrière qui leur est ouverte. Ces choses-là sont complètement et fort heureusement disparues.
    Je pense que les luttes des femmes qui vont être prioritaires dans le siècle à venir, seront pour maintenir le facteur d’humanisation, d’humanité. À l’âge cybernétique et numérique, il faudra lutter pour ne pas remplacer les animaux par des créatures transgéniques et les humains par des robots. Je crois que si les femmes ont une priorité à envisager dans le monde qui vient, c’est précisément celle de la solidarité qui est l’autre nom de la convivialité. C’est précisément cette option que le foudroyant développement de la technologie risque de remettre en cause, en déshumanisant l’espèce à laquelle nous appartenons.
    Quant à la transmission, il faut considérer qu’elle se fait de manière subtile. Aujourd’hui, je pourrais déterminer non pas des résurgences, mais des résultats, des conséquences concrètes du féminisme socialiste idéaliste du XIXe siècle. Ils ont l’air d’être complètement dépassés, mais peuvent dicter certaines formes de réaction et de luttes de l’époque moderne. Nous sommes beaucoup plus dépendants de ce que nous croyons du passé. Je pense, par exemple, à Louise Michel qui n’est pas une désuétude, ni un bibelot sur une étagère. Au moment de la lutte pour l’indépendance en Nouvelle Calédonie, j’étais heureuse de pouvoir écrire un livre sur elle, tellement ce qu’elle avait dit et examiné, réapparaissait sous une lumière neuve, d’une actualité sensationnelle. Cela me faisait dire , « elle a inventé et écrit un livre d’une science qui n’existait pas encore : l’anthropologie. » Son ouvrage sur la culture kanak a complètement été ignoré. Voilà un exemple parmi beaucoup d’autres.

    Vous avez écrit, en début d’année, un manifeste sur le sexocide des sorcières. Existe-t-il un lien entre ce que vous venez de dire et le livre que vous venez de publier ?
    Un lien certain existe entre ces considérations historiques et mon dernier livre qui s’appelle « Le sexocide des sorcières ». Je veux souligner comment ce qu’on a appelé la chasse aux sorcières, qui a duré deux siècles, les siècles de Renaissance et d’âge classique, et non de Moyen Age comme le croit le public, représente un lien direct avec un très ancien complexe du patriarcat : le rêve du monde sans femmes. De ceci est né un plan institutionnel, qui évidement n’a jamais pu s’instaurer mais qui s’enracine déjà en Grèce où certains poètes se lamentent de penser qu’il faut passer par une femme pour avoir des fils… Il existe un vieux phantasme de l’absence de l’autre, d’un univers qui serait le même, la culture du  » logos « , ce que j’appelle la culture du  » phallo logos « . L’autre, c’est la femme, et l’autre a quelque chose de tellement insupportable qu’on rêve de le voir disparaître, bien qu’on soit bien obligé d’accepter qu’il soit là. C’est ce vieux phantasme qui est à l’origine de ces deux siècles de massacres absolument insensés, plus que délirants, qui ont d’abord consisté en une extermination des sorcières et ensuite, plus simplement des femmes elles-mêmes. Les deux grands inquisiteurs ont publié « les sorciers sont peu de chose ». Ça signifie quoi ? Nous seuls (les hommes) sommes les véritables croyants. Toute femme est, à l’origine, une sorcière et tout le féminin doit être éliminé. Dans l’archevêché de Trèves, les femmes étaient mises à mort à partir de l’âge de sept ans, et sur cette rive, la rive droite du Rhin, les hommes se plaignaient d’avoir à traverser des pays et des pays pour arriver à trouver une épouse…
    Il s’agit là d’un véritable désir de mort qui se concrétise non pas pour une chasse à, mais par une extermination de, c’est-à-dire un génocide, un génocide de quoi ? Un génocide du sexe. On voit d’ailleurs réapparaître ce phénomène, à l’heure actuelle dans les pays intégristes, et en particulier chez les Islamistes. Dans ces pays, il ne s’agit même plus de parler des femmes comme de sorcières, mais de pécheresses, de tentatrices, d’organes de Satan. Le mot Satan est tout à fait utilisé par les Talibans et les Mollahs : toute femme est susceptible d’être une tentation de péché, donc le féminin doit être complètement éradiqué. J’ai volontairement fait publier en appendice de mon livre, les quinze commandements des Talibans.
    J’ai introduit en 71 le mot  » phallocrate  » dans la langue française, je voudrais bien qu’aujourd’hui celui de  » sexocide  » y soit également reconnu.

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  4. Artisans de l'ombre Dit :

    Le Deuxième Sexe: un coup de tonnerre

    par Françoise d’Eaubonne*

    1949. Paraît Le Deuxième Sexe. Je suis une jeune femme qui sort de la guerre (et de la Résistance) et je viens de publier « Comme un vol de gerfauts », qui lancera les Editions Julliard. J’écris à Beauvoir: « Vous êtes un génie. Nous sommes toutes vengées ».

    Je suis la petite-fille d’une enseignante que son couvent a mal castrée et qui a quitté son mari pour suivre un amant en Argentine avec sa petite fille. Cette petite fille sera ma mère. Supérieurement douée en sciences, elle n’aura jamais le laboratoire ou la chaire qu’elle méritait, car elle s’est mariée et a eu cinq enfants.
    A onze ans, je mouille le bout de ma chaussure et j’écris sur le sol du cloître des Dominicaines qui m’élèvent: « Vive le féminisme. » On m’en punira. C’est un laurier.
    Le livre de Beauvoir préside à notre rencontre, mais notre amitié véritable commencera en 1958 au moment du référendum et du combat de la gauche contre le pouvoir personnel.
    Presque autant que la lecture de cet ouvrage inoubliable m’aura passionnée la tempête qu’il soulève. Il faudrait faire un recueil de toutes les âneries et malvaillances, insultes, aberrations qui l’ont accueilli. Je les collectionne (et malheureusement pas toutes). Les André Rousseaux, Robert Kempf, André Wormser, etc. rivalisent de hargne et de fureur. Je pense que la plus belle bouse est celle posée par Mauriac, directement aux « Temps Modernes »: « Maintenant, je sais tout sur le vagin de votre patronne! » Rigoureusement sic.
    Le même, on s’en souvient, avait publié une enquête dans le Figaro Littéraire sur ce thème dont je n’ai pas exactement les termes en mémoire, mais qui demandait grosso modo:
    « Croyez-vous que l’actuelle orientation de la littérature pour le désespoir et les sujets les plus bas ne soit pas un danger pour la morale, la nation et les Lettres elles-mêmes? »1
    Les cibles reconnues de tous étaient Sartre et Beauvoir.
    J’avais répondu que c’était une bonne plaisanterie et que « jamais la nation n’avait été aussi forte qu’au XVIe siècle où tout le monde forniquait à la bonne franquette dans une atmosphère de déchristianisation générale. » Le Figaro Littéraire publia ma réponse.
    Conclusion de Mauriac sur le même journal:
    « Je ne vois plus, dans toute la littérature actuelle, que Mlle Françoise d’Eaubonne à prononcer de gros mots avec un plaisir tout neuf de petite fille émancipée. » 2
    Beauvoir rit beaucoup de cet échange et m’écrivit que « l’enquête » s’était terminée à la confusion de notre ennemi. C’est à cette occasion que nous prîmes notre premier pot à St-Germain-des-Prés.
    Parmi les autres zoïles, notons André Wormser qui, dans les « Lettres Françaises » d’inspiration communiste, signala qu’il lisait parfois des ouvrages où se manifestaient certaine compréhension, certaine lucidité sur les thèmes qui intéressaient le communisme, mais qu’il n’en dirait pas plus, car « je ne parle pas des livres obscènes ». (Re-sic!) Et d’insister: « Je ne cite aucun nom, n’est-ce pas? »
    Le plus fielleux: André Rousseaux traite l’auteur de « bacchante » et « ne croit pas à l’avenir de cette révolution de pédantisme et d’alcôve ». Ce n’est pour lui qu’une « tentavive de destruction de la femme par une femme. » Plein de compassion, le chrétien Guitton discernera dans cet essai la confession « de sa tragique histoire » par Beauvoir! (Je crois que c’est le seul commentaire qui l’ait vraiment interloquée). Armand Hoog (qui attaquera également le post-scriptum que j’écrivis à ce livre, Le complexe de Diane) déclarera Beauvoir « humiliée d’être femme, douloureusement enfermée dans sa condition par le regard des hommes » et qui donc « refuse ce regard et cette condition ». La communiste Marie-Louise Baron, brillante Résistante, écrivit que les ouvrières de Billancourt rigoleraient bien en lisant tout ça. Colette Audry répondit à cette vulgarité que c’était bien peu estimer lesdites ouvrières. (Combat, 1950), Françoise de Quersize (Francine était son pseudo) refusa d’insérer ma réponse indignée aux anathèmes de « Marie-France » en me répondant par lettre que si elle le faisait, ses jeunes lectrices se précipiteraient sur Le deuxième sexe « et que les conséquences pourraient être bien graves! » (!!!) O tempores, o mores…3
    Jeannette Prenant, autre journaliste communiste, qui s’indignait dans La nouvelle critique, que Beauvoir se soit consacrée à décrire tout ce qui pouvait décourager la femme de devenir épouse et mère fut pourtant la première, le 19 avril 1986, à la levée du corps de notre Castor.
    Armand Hoog, encore, décréta, que tout ce livre était « nié par le regard rayonnant qu’échangent deux amoureux », (je n’invente rien).
    Un peu plus tard, dans un restaurant, une table voisine de clients reconnaissant Beauvoir ne cessa de ricaner et de l’insulter à mi-voix, jusqu’au moment où en sortant elle leur dit ce qu’elle pensait d’eux.
    On pourrait allonger à l’infini une liste aussi désolante de bêtises et de méchancetés. Mieux vaut replacer le livre dans son contexte historique pour comprendre les motifs de cette triste manifestation de « la chiennerie française », terme de Beauvoir elle-même.
    On sortait de la guerre depuis à peine cinq ans, les « restrictions » se faisaient encore sentir (on ne vit reparaître des oranges qu’en 1948) et le misérable statut du Français créait l’obsession de la consommation, d’un gagne-pain qui ne soit pas sous-payé, tout ce qui constituait la force du parti Communiste. L’Eglise était la seconde puissance culturelle de cette époque et censurait la presse féminine, étendait sa puissance sur le cinéma et le théâtre; rappelons que chez nos voisins belges « Le diable et le bon Dieu » fut, en cours de représentation, l’objet d’un mandement menaçant d’excommunication les spectateurs! Sartre et l’existentialisme étaient aussi haïs par les croyants que le PC, et le PC les exécrait autant que sa grande rivale, l’Eglise. Sartre et Beauvoir en prenaient de tous les côtés. Les peuples qui souffrent de la pauvreté sont facilement plus puritains que les autres, comme les travailleurs exploités donnent régulièrement aux nantis des leçons de « moralité ». Ce puritanisme d’époque se combinait avec la vieille tradition chrétienne restée si vivace en France laïcisée, et que le PC respectait: son potentiel révolutionnaire s’arrêtait à la frontière des mœurs. (Seuls les anars et libertaires – faibles et peu influents – avaient franchi la barrière).
    Il est difficile, un demi-siècle plus tard, d’imaginer jusqu’où allait cet anti-physis. Les femmes ne votaient que depuis 1945 et restaient soumises à la maternité involontaire, continuaient à intégrer les vieux tabous (virginité avant le mariage, morale sexuelle différente selon le sexe, etc.). Aucun livre n’aurait abordé la question de l’autonomie féminine, ce sujet même aurait semblé aberrant, « démodé comme les suffragettes », etc. Seules exceptions: le roman d’Aragon, « Les cloches de Bâle », et une traduction: « Une Chambre à soi », de V. Woolf, dans une petite édition tôt disparue, essai passé presque inaperçu qui sera en livre de poche vingt ans après. Les communistes se targaient d’être défenseurs des femmes, mais ne traitaient de leurs cas que sous trois aspects: la travailleuse, l’épouse et la mère. Jamais comme sujet autonome.
    Une audace théorique du « Deuxième Sexe » est d’avoir osé, en 1949, traiter de deux approches culturelles du sujet, le marxisme et la psychanalyse: deux sœurs ennemies, irréconciliables. C’était déjà dérangeant; mais c’est le 2e tome, celui de la sexualité féminine, qui mit le feu aux poudres. Claudine Chonez avait prévenu Beauvoir: « On va vous massacrer! » La philosophe n’y croyait pas; elle pensait que les ouvrages de psychanalyse avaient suffisamment initié le public français. Elle ignorait la chair à vif du lecteur devant ce même langage employé par une femme, et pour parler des femmes. Mauriac devait s’écrier: « Nous avons atteint les limites de l’abject! » (Hélas, il lui restait donc moins de vaticinations à la parution des livres de Genet!)
    Peut-on se souvenir que un certain nombre d’années plus tard Gallimard refusa « Thérèse et Isabelle », ce qui provoqua une crise de démence chez son auteur?
    La liste des citations faites ici prouve à quel point on reste suffoqué de lire sous la plume de Mme Suzanne Lilar: « Il est temps de manquer de respect à Simone de Beauvoir. » (Le malentendu du Deuxième Sexe). 1970.
    L’intérêt le plus frappant, quand on récapitule cet ensemble en 1998, c’est celui du double passage consacré à « La lesbienne » et à « L’avortement », parus sur les Temps modernes avant la sortie du livre. Ils suscitèrent cette réaction: comment prendre au sérieux un ouvrage qui prétend traiter de la condition féminine, et qui donne une telle place – deux chapitres – à deux pareils sujets si minoritaires?
    Vingt-deux ans plus tard, en 1971, quand les mouvements « du désirant et du refus » purent s’engouffrer dans la brèche ouverte par mai 1968, avec l’héritage beauvoirien, les deux mouvements les plus percutants furent le FHAR (revendication de l’homosexualité des deux sexes) et le MLF, (renaissance du féminisme) sur la base du « Manifeste des 342″, le droit à l’avortement.
    Dans les motivations si peu honorables de ce « parfum de haine » (Frédérique Vinteuil, Paris Féministe) qui reste attaché au nom de Beauvoir, même après sa mort, demeure un dernier élément de misogynie qui s’est manifesté en France – jusqu’à tout récemment – contre la femme qui écrit. En 1948, le réactionnaire Claude Elsen, (la Gazette des Lettres), pouvait écrire:
    « C’est surtout à propos des femmes de lettres qu’on peut dire: le style, c’est l’homme… Quand on pense à elles, on pense tout de suite: Colette; et puis il n’y a rien; et puis il n’y a rien; et puis il n’y a rien; et puis… deux ou trois noms viennent à l’esprit. »
    C’était l’époque où Nathalie Sarraute avait déjà publié Tropismes, Marguerite Yourcenar Alexis ou le traité du vain combat, Marguerite Duras ses premiers textes isolés, et Beauvoir corrigeait les épreuves du Deuxième sexe (après L’Invitée).
    Le Castor l’a écrit dans « La force de l’âge », à propos de l’écrivaine en France (du moins à cette époque):
    « Vieille, elle a droit au respect; jeune, à une sorte de complicité égrillarde; mais entre les deux, quelle volée de bois vert! »
    La pauvre Violette Leduc en a su quelque chose.

    Françoise d’Eaubonne

    P.S.: Il y a quelques années à peine, j’ai appris que dans un procès en divorce le mari avait avancé ce grief: sa femme réunissait des amies pour discuter du Deuxième Sexe…

    (1) Dans Le bon sexe illustré Tony Duvert s’est gaussé de ce genre d’ »enquête formulée pour dicter la réponse, genre: « Croyez-vous que les Arabes soient voleurs et que les pauvres sentent mauvais? » (Editions de Minuit)
    (2) Je répondis à nouveau « Je vois l’œil d’aigle de l’écrivain balayant le territoire littéraire, se heurtant à ma modeste personne et me rajeunissant du nom de Mademoiselle-quoi! le beau nom de jeune fille est un titre, ma sœur! » (Les femmes savantes).
    (3) Et elle me citait « un jeune homme très cultivé (sic) qui jugeait Beauvoir d’un parti pris de réalisme navrant! ». Tout cela est authentique.

    * Auteure d’une cinquantaine d’ouvrages, dont quinze traduits à l’étranger et deux prix littéraires, Françoise d’Eaubonne est aussi fondatrice d’ « Ecologie – Féminisme », et ex-animatrice de radios libres. Amie de feues Violette Leduc et Simone de Beauvoir, et de Nathalie Sarraute, elle prépare actuellement son dernier volume de Mémoires (1980 – 1999), sous le titre Les Feux du crépuscule .

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